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Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...

La légende de nos pères / Sorj Chalandon

Grasset, 2009

Grasset, 2009

J'avais laissé partir mon père. Pas mon papa, mon petit homme, mon terne, mon hibou d'enfance derrière ses grosses lunettes. Pas celui qui me portait au lit, sa joue contre la mienne, qui nous avais aimés du regard et de la peau. Mais mon père, l'autre. Ce héros sans lumière, ce résistant, ce brave, ce combattant dans son coin d'ombre. J'avais laissé partir cet inconnu, ce soldat, ce déporté. Qui était retourné à la liberté comme on va au silence. J'avais laissé partir une page de notre histoire commune...

Quelque part dans le Nord de la France, au printemps 2003, Marcel Frémaux, le narrateur est contacté par Lupuline, une jeune femme qui aime porter des chaussures rouges. Il l'avait remarqué, bizarrement car il ne la connaissait pas, à l'enterrement de Pierre Frémaux, son père, un ancien résistant.

Après avoir été instituteur puis journaliste pour "La Voix du Nord", Marcel est devenu biographe professionnel jugeant que "toute vie mérite d'être racontée". La jeune femme veut qu'il rencontre son père, un ancien cheminot qui a été résistant et dont le nom de code était Beuzaboc, afin d'écrire sa biographie, enfin plutôt ses mémoires. Elle veut lui faire ce cadeau pour son prochain anniversaire en souvenir des histoires qu'il lui a racontées quand elle était petite. Il accepte car il n'a jamais écrit la biographie d'un résistant et son propre père n'a jamais voulu lui parler de cette période de la guerre.

Tous les mardis les deux hommes se rencontrent. Marcel prend des notes dans son carnet sur la page de droite. Sur la gauche il écrit son ressenti, les émotions de Beuzaboc, son intuition quant aux événements. Il procède toujours ainsi, d'abord il écoute la personne face à lui, puis met en forme les souvenirs et fait lire le texte rédigé au fur et à mesure de sa progression. Ensuite, il s'occupe de faire imprimer l'ouvrage.

Lupuline lui prête le carnet où jeune adolescente elle notait les histoires de son père.

Contrairement à ses habitudes, Marcel va tenter d'en apprendre davantage en posant des questions de plus en plus pressantes et précises au vieil homme qui en prend ombrage. 

Petit à petit l'ambiance change totalement entre eux, appesantie par les non-dits et la canicule de l'été 2003...Marcel se met à douter de la véracité de ce que l'ancien résistant lui raconte.

Où est la vérité ? Qui la détient et est-ce bien cela l'essentiel ? 

Vous vous en doutez, rédiger cette biographie devient pour Marcel un vrai casse-tête...d'autant plus que son propre père et ses non-dits viennent s'immiscer entre les deux hommes. Marcel a en effet toujours souffert que son père ne veuille rien lui raconter. Il a pourtant été lui-aussi résistant et a été déporté, et inconsciemment Marcel en écoutant le vieil homme, cherche à entendre son propre père. Le vieil homme va le  comprendre...

J'ai eu honte. Jamais je ne m'étais posé de telles questions. Le client raconte, le biographe écrit. C'est son devoir, sa fonction, son rôle. Et peu importe si tout est trop beau ou trop calme....
Le biographe est là pour autre chose que pour rapporter les faits. Il existe pour ce que d'autres disent d'eux-mêmes, pour ce qu'ils prétendent de leur vie. Il est là pour offrir à chacun sa part de vrai et sa part d'autre chose.
Ni mensonge, ni falsification, mais promenade en lisière de tout cela à la fois.

C'est une très belle histoire, un peu étrange au départ mais qui au-delà des mots nous parle avec tendresse de la difficulté d'être un héros au temps de la guerre quand on a choisi de se protéger et de tourner les yeux pour ne pas voir l'indicible. 

C'est un roman plein de pudeur qui montre bien qu'en chaque enfant sommeille ce héros, ce père idéalisé qui souvent en a rajouté par rapport à la réalité pour voir briller nos yeux d'enfants et notre imagination a fait le reste, a bâti la légende, la légende de nos pères. 

L'auteur emploie des mots justes et utilise des phrases courtes, dans des chapitres également courts, pour donner du rythme à cette histoire. Dès le premier chapitre le lecteur est ferré et ne peut plus lâcher le roman. Doit-on porter un jugement sur le vieil homme ? Son attitude entache-t-elle sa famille ? Est-ce un manque de respect pour les vrais Résistants qui ont perdu leur vie, d'avoir menti ?

L'auteur dit qu'il a voulu écrire ce roman car son propre père lui a menti, lui faisant croire qu'il avait été résistant. Le livre est dédié au père de son ami, qui lui, a été réellement résistant et un des chefs du commando Vengeance, dont il est question dans l'histoire. Mais lui, n'a jamais parlé ni raconté sa résistance, ne s'est jamais vanté de ce qu'il avait fait. "J'ai fait ce qu'il fallait" a-t-il dit. Le contraste entre celui qui a fait, et se tait, et celui qui parle mais n'a pas fait, est intéressant et mis en avant dans le roman. On peut sans peine imaginer que l'auteur règle ainsi ses comptes avec son propre père, en brouillant toutefois les pistes, mais il lui rend aussi un bel hommage. Il en reparlera dans d'autres romans.  

C'est un très beau roman qui nous questionne sur l'admiration filiale, la transmission familiale, l'image du père, la légende... que chacun d'entre nous avons bâtie autour de nos pères, nos héros, celle qui nous a aidé à grandir et qui, vrai ou pas, est celle que nous gardons au plus profond de nous. 

La lecture de ce roman de Sorj Chalandon me permet de clore le challenge proposé par Géraldine. "Lisez votre chouchou" (voir ICI). Merci à elle de l'avoir organisé. 

 

J'en profite aussi pour souhaiter à tous les papas qu'ils soient des héros ou pas, une belle fête des pères et pour avoir une pensée émue pour ceux qui ne sont plus là...

La légende de nos pères / Sorj Chalandon

Il n'avait prétendu à rien...
Il avait volé quelques hommes, s'était glissé dans la peau de l'un, le courage de l'autre, la douleur du troisième, pour les ramener tous les trois à la vie. Il n'était pas la somme de ses renoncements, mais l'addition de leurs courages... Il leur rendait hommage. Et toute son existence, jusqu'à son dernier souffle, il se demanderait ce qu'il aurait fait, s'il avait eu deux jambes pour porter ses vingt ans...

Voici mon petit bilan de lecture des œuvres de Sorj Chalandon . Je les ai classé par ordre de lecture et non de parution. 

J'ai découvert l'auteur avec :

- le Quatrième mur en 2014, mon préféré entre tous, et puis...

- Mon traître en février 2015, puis...

- Retour à Killybegs en mai 2015, puis...

- Profession du père en 2016 , puis...

- Le Jour d'avant en 2017 et ...

Ensuite, dans le cadre du challenge de Géraldine "Lisez votre chouchou", j'ai eu envie de parfaire ma connaissance de cet auteur en lisant :

- L'enragé en avril 2024,

- Enfant de salaud en septembre 2024,

- Une joie féroce en octobre 2024,

- Le petit Bonzi en décembre 2024,  

- Une promesse en mai 2025,

 ET enfin...

- La légende de nos pères (publiée aujourd'hui en juin 2025).

 

J'ai lu également deux BD, adaptées des deux romans éponymes déjà lus précédemment (hors challenge puisque Géraldine n'acceptait pas les BD même adaptées des romans déjà lus). 

- Mon traitre / BD

- Retour à Killybegs / BD

Si je compare avec la bibliographie officielle de l'auteur, il ne me reste plus qu'à découvrir :  "Notre revanche sera le rire de nos enfants : reportages Irlande, Libération" (1977-2006), Black-star Éditions, un livre paru en 2022 qui est malheureusement totalement inconnu de mes deux médiathèques et que je n'envisage pas d'acheter. 

Bien entendu, je continuerai à découvrir ses prochaines publications. C'est un auteur que j'aime beaucoup vous vous en doutez puisque je l'ai choisi ! 

Il était où ton papa ? Inconnu au bataillon des braves. Nulle part. Ni dans les livres, ni sur la pierre des monuments. Il commandait tes rêves dans ta chambre d'enfant. Tu étais son soldat, son témoin pour demain. Tu étais à toi seule ses foules libérées, ses drapeaux agités, ses médailles, ses honneurs. Il n'avait que toi, petite fille. Avec toi, il rêvait. Il résistait. Il avait une vie d'homme.

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C
Je l'avais découvert avec Une promesse, bouleversant, puis relu et beaucoup aimé avec Le quatrième mur. J'ai lu aussi une adaptation BD de Retour à Killybegs, qui m'a moins emballée. J'avais aussi beaucoup aimé (contrairement à d'autres) Une joie féroce. Je note en tout cas ce roman pour ses thèmes.
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F
Nos pères ces héros....dans la lumière ou dans l'ombre ... pour de vrai ... pour de faux.... On ne sait pas tout de ses parents même ayant vécu en harmonie et bonne entente avec eux ... Il y a les récits du père, des anecdotes avec parfois des actions héroïques ... enfant on aime y croire ... adulte on peut aussi être effrayé de la réalité .... Ce roman nous place dans cette perspective du doute entre conteur et biographe ... la vie qu'on s'invente pou la faire plus belle que celle réellement vécue, elle, aucunement légendaire...<br /> Amitiés.
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E
Je n'avais pas ce titre sur ma liseuse alors j'ai pris "Le jour d'avant" et j'ai presque fini de le lire, c'est très bien écrit avec du suspense ! Bisous
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P
Merci pour ce partage. Ce livre tombe si bien ce jour de la fête des Pères. Bonne fin de dimanche. Bises Manou
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S
En lisant ton récap je constate que j'en ai lu 4 mais pas celui-ci, qui me semble pourtant très bon. A suivre car je compte bien rattraper cette lacune un jour ou l'autre.
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B
Une excellente chronique Manou !<br /> Douce soirée à toi et doux dimanche.<br /> Bisous.<br /> Bernadette.
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M
J'ai eu la chance d'avoir un père brillant, courageux, plein de talents et qui aimait sa famille. Tous les 5 nous avons eu de la chance.<br /> Il a beaucoup compté dans ma vie, je n'aurais pas aimé que son nom soit associé à un mensonge !<br /> Je t'embrasse fort Manou
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S
Ah, pour une fois, un roman de cet auteur m'intéresse ! Je le note. Bravo pour ce défi auteur chouchou très impressionnant et pour avoir en plus fait coïncider ton billet avec la fête des pères !
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G
Un roman qui m'a sacrément remuée, d'autant qu'il se passe dans ma région d'origine, et que je me suis dit, en lisant : mais que sais-je de la guerre qu'ont mené mes deux grands-pères ? Rien ou presque. Ils ont été faits prisonniers en Allemagne, c'est tout ce que je sais...
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T
Ta liste des romans lus est impressionnante. Tu me tentes avec ce titre-ci qui a tout pour m'intéresser, je le trouverai sans doute à la bibliothèque.
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C
merci pour cette idée lecture et ton ressenti, cela pourrait me plaire. bises.celine
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F
Bravo pour ce challenge des chouchous relevé haut la main ! Je n'ai lu qu'un Chalandon il y a un moment et je n'y suis pas revenue depuis, mais ce roman-ci me tente bien par ses thématiques.
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A
Cela fait un momyque cet auteur me fait signe. Je l'ai entendu à la radio. Je vais réserver un de ses livres. Bises
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P
Eh bien il y a vraiment beaucoup de romans de Chalandon dont je n'ai jamais entendu parler. Ce n'est pas un auteur très populaire chez nous. <br /> Bon weekend
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V
Je me souviens d'une très belle histoire, racontée en retenue, un des meilleurs de l'auteur, d'après moi.
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D
Je vois que tu as quasiment tout lu de ton auteur chouchou :)<br /> Les thématiques abordées dans celui-ci interrogent, avec le travail de mémoire et l'embellissement de la réalité.
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S
il pourrait me plaire ce bouquin, je note!!! bisous
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I
Un auteur qui ne m'attire toujours pas, malgré l'intérêt que semblent présenter certains de ces titres. En tout cas, bravo pour ton assiduité au challenge de Géraldine !
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K
Rien à faire, j'ai même rencontré l'auteur 'en vrai', il est très sympathique et sait raconter, je confirme, mais je ne l'ai jamais lu et je ne sais même pas m'y retrouver dans ses livres, le vrai de l'imaginé, etc.
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J
Je crois que c'est le roman le plus abordable pour moi. Les autres livres de Sorj Chalandon sont, sans doute intéressants, mais tellement durs
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