Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Plus je lisais tes dépositions plus j'en étais convaincu : tu t'étais enivré d'aventures. Sans penser ni à bien ni à mal, sans te savoir traître ou te revendiquer patriote. Tu as enfilé des uniformes comme des costumes de théâtre, t'inventant chaque fois un nouveau personnage, écrivant chaque matin un autre scénario.
La seule chose dont tu as été conscient, c'est que tout le monde te recherchait. Tu étais comme un enfant, papa. Malin comme un gosse de village qui échappe au gendarme après un mauvais tour, mais un enfant. Ces quatre années ont été pour toi une cour de récréation. Un jeu de préau. Tu ne désertais pas, tu faisais la guerre buissonnière.
Nous sommes en 1987. L'auteur, journaliste est envoyé à Lyon pour couvrir le procès de Klaus Barbie accusé de "Crime contre l'humanité", une première en France. Sorj Chalandon obtiendra le Prix Albert Londres pour cela.
Lorsque démarre le procès, le journaliste sait que ce chef de la gestapo de Lyon, celui qu'on surnommait "le bourreau de Lyon" est coupable de ce pour quoi il est accusé. C'est lui qui a donné l'ordre et donc aurait été responsable de la déportation de nombreux juifs de la région parmi lesquels les 44 enfants réfugiés à Izieu.
Ce procès sera forcément éprouvant pour lui.
En parallèle, il s'interroge sur certains événements de cette terrible guerre et sur l'implication éventuelle de son propre père dans les événements, son père, dont il vient de découvrir le passé trouble.
Qu'en est-il réellement ? Qu'a-t-il réellement fait durant la guerre ? Chalandon réalise qu'il ne sait rien de ce père, fantasque, prompt aux mensonges, empli de contradiction...et de violence à qui il n'a jamais osé poser de questions.
Tout cela le poursuit depuis son enfance et les mots terribles qu'un jour son grand-père a prononcé devant lui : "C'est un enfant de salaud, il faut qu'il le sache". Le petit Sorj n'avait alors que dix ans !
Depuis, il a cherché à comprendre et a réussi à consulter le dossier de son père. Le 18 août 1945, ce dernier a en effet été condamné par la Cour de Justice de Lille a un an de prison et cinq ans de dégradation nationale pour des "actes nuisibles à la défense nationale" commis en 1942. Il a donc été considéré comme un traitre.
Tout en suivant le procès Barbie que son père suit aussi, mais pour de toutes autres raisons, l'auteur va chercher à confronter son père aux témoignages poignants révélés par les victimes.
Le père était jeune certes un gamin de 18 ans à peine, sans instruction, menteur et manipulateur, totalement inconscient du danger, déserteur, passant de la résistance aux lignes ennemies selon son bon vouloir ou pour tout simplement survivre...Recherché comme traitre, il a continué toute sa vie à berner son entourage, racontant à son fils ses exploits de résistants, enjolivant son histoire personnelle pour se faire valoir aux yeux de ses proches, femme et enfant. L'auteur attend en vain une explication à tous ces mensonges et une explication à sa condamnation. Il n'a donc de cesse de découvrir la vérité sur ce qu'il a réellement fait ou pas pendant la guerre. Il veut obtenir enfin une réponse claire concernant ces actes pour lesquels il a été condamné...mais il s'interroge.
Jusqu'où est-il allé pour sauver sa peau et trahir ?
Qu'y a-t-il de vrai dans tout ce qu'il lui a raconté ?
Toutes ces années après, je comprends mieux la colère de mon grand-père. Parce que tu avais choisi "le mauvais côté, il avait été humilié durant toute la guerre. Et plus tard encore. Avec la police française qui avait fouillé dans ses affaires, dans ses sentiments, dans ses convictions. Il avait été obligé de faire ses preuves, comme s'il avait du racheter ta conduite...
Au départ cela m'a étonnée que l'auteur ait eu l'idée de mettre en relation la Grande Histoire, à travers les détails du procès de Klaus Barbie, cet ancien nazi dont tout le monde connait le nom et les méfaits... et son histoire personnelle avec son père.
D'un côté, il y a donc le procès de Klaus Barbie qui se déroule dans la dignité, un procès durant lequel on ne peut omettre les atrocités commanditées par ce chef de la gestapo, atrocités face à laquelle le prévenu affiche une certaine froideur, allant même jusqu'à sourire, ou refuser d'être présent dans le box des accusés au cœur même du procès. Les témoignages des victimes, le plus souvent des rares rescapés de la Shoah, dont l'auteur n'hésite pas à donner le nom, tout comme ceux des disparus, sont absolument épouvantables. Et puis, il y a la défense mise en place par Jacques Vergès, et l'impatience des journalistes, pressés d'en finir avec ce procès éprouvant pour tous mais nécessaire pour les victimes et leurs familles.
D'un autre côté, le lecteur entend le cri de désespoir de l'auteur, un cri qu'il retient depuis son enfance, alors que son père le maltraitait comme il nous l'a très bien décrit et expliqué dans "Profession du père" que j'ai présenté ICI sur mon blog. Il est désormais prêt à tout pour rétablir la vérité et espère les aveux de celui qu'il aime et qui, il l'espère l'aidera à mieux le comprendre.
Comment un enfant peut-il supporter de découvrir que son père était un salaud et continuer à vivre avec ?
Cette confrontation avec son père a-t-elle eu réellement lieu ou l'auteur l'a-t-il imaginé de bout en bout ? Je ne le sais pas en fait, mais ce roman est tout à fait bouleversant...et leurs dialogues tout à fait crédibles et émouvants. Encore un roman de l'auteur qui a su me toucher.
Si vous le désirez vous pouvez aller retrouvez l'auteur sur les podcasts de RadioFrance ICI.
A savoir : En réalité ce n'est qu'en 2020, bien après le procès de Klaus Barbie donc, que l'auteur a eu connaissance des faits en rapport avec son père et donc de son dossier complet conservé dans les Archives Départementales de Lille. Lorsque l'histoire démarre dans le roman, le narrateur connait déjà tout ce que son père a fait, il est accablé de culpabilité d'avoir lu le dossier et il sait à présent que son père a revêtu cinq uniformes différents, de la SS aux Francs-tireurs et partisans et que son instinct de survie hors du commun l'a mené à mentir, à tromper et à trahir. Dans la réalité ce n'était pas le cas lors du procès Barbie.
Cette Lecture me permet de participer une nouvelle fois au challenge de Géraldine "Lisez votre chouchou" (voir ICI)
"Un jour, grand-père m’a dit que j’étais un enfant de salaud.
Oui, je suis un enfant de salaud. Mais pas à cause de tes guerres en désordre, papa, de tes bottes allemandes, de ton orgueil, de cette folie qui t'a accompagné partout. Ce n’est pas ça, un salaud. Ni à cause des rôles que tu as endossés : SS de pacotille, patriote d’occasion, Résistant de composition, qui a sauvé des Français pour recueillir leurs applaudissements . La saloperie n’a aucun rapport avec la lâcheté ou la bravoure.
Non. Le salaud, c’est l’homme qui a jeté son fils dans la vie comme dans la boue. Sans traces, sans repères, sans lumière, sans la moindre vérité. Qui a traversé la guerre en refermant chaque porte derrière lui. Qui s’est fourvoyé dans tous les pièges en se croyant plus fort que tous : les nazis qui l'ont interrogé, les partisans qui l'ont soupçonné, les Américains, les policiers français, les juges professionnels, les jurés populaires. Qui les a étourdis de mots, de dates, de faits, en brouillant chaque piste. Qui a passé sa guerre puis sa paix, puis sa vie entière à tricher et à éviter les questions des autres. Puis les miennes.
Le salaud, c’est le père qui m’a trahi."