Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Là-bas, dehors, il y avait des volcans qui assombrissaient la steppe des semaines durant, des rivières qui débordaient et coupaient les routes, des tempêtes, des sècheresses et des inondations qui emportaient les troupeaux aux quatre coins de la plaine, il y avait de fortes chutes de neige, des hivers cruels et des étés mesquins, et elle faisait partie de cet univers.
Parker est devenu camionneur. Il a quitté Buenos Aires, la grande ville, pour fuir son ancienne vie. Il transporte avec lui tout ce dont il a besoin, des meubles et un lit récupérés dans son ancienne maison, ainsi qu'un saxophone dont il ne joue plus, ne voulant pas se rappeler son appartenance à un ancien groupe de musique.
Il voyage à bord d'un camion dont il n'a plus les papiers, et livre des cargaisons au contenu parfois douteux, mais qui doivent être déposées dans un port à une date donnée. En échange, il récupère une nouvelle cargaison et traverse ensuite les routes les plus inhospitalières de la Patagonie, en suivant son trajet sur une vieille carte routière pour éviter au maximum les grands axes. En effet, il travaille illégalement pour un patron avec qui il ne communique que par téléphone et qui oublie toujours de le payer.
Son seul ami est un journaliste un peu "fou" qui recherche des vestiges d'anciens sous-marins nazis. Ils se donnent tous deux des rendez-vous réguliers, pour faire le point sur l'avancée des recherches et surtout rompre leur solitude et boire un coup.
Un jour, alors que son camion est tombé en panne et qu'un garagiste en vacances accepte de s'en occuper, Parker se rend à la fête foraine du village. Là, il va rencontrer Maytén, une jeune femme qui va chambouler sa vie qui n'est autre que la femme de Bruno, le propriétaire des manèges.
Parker décide alors d'enfreindre les règles et de suivre les forains pour la revoir. Mais comment faire pour la retrouver puisqu'il ignore que Bruno, son mari, a décidé de changer de route pour descendre moins au sud que prévu !
Sa vie va prendre un nouveau tournant. Les paysages grandioses, bien que tous identiques, le vent qui souffle sans discontinuer dans le désert, le sable qui s'infiltre dans tous les interstices du camion et même sous les vêtements, les animaux sauvages et ces routes qui n'en finissent pas, constituent à présent son quotidien.
Et que dire des habitants qui ne répondent jamais directement à une question surtout si elle vient d'un étranger qui pour eux ne peut qu'être obligatoirement originaire de la ville, donc pas très futé !
Le pire c'est que parfois, par sympathie et pour lui donner l'impression de s'intéresser à ses recherches, les gens lui indiquent une fausse direction, changent même le nom des lieux (et Parker ne les retrouve plus sur la carte) ou alors, lui donnent des explications incompréhensibles, car dans cette gigantesque région, les distances ne se mesurent pas en kilomètres, mais en jour et en nuit...
Cette nuit-là, Parker dormit dans la cabine pour gagner du temps, une sensation de hâte le dominait depuis le moment où il avait décidé de revoir cette femme. “Maytén”, répétait-il dans sa tête. Le son de ce prénom évoquait la terre et le paysage, les lacs bleutés de la cordillère, la brise tiède du printemps qui caressait les corps ; il produisait un écho fragile et cristallin, un accent, un final sans voyelle, ce qui ajoutait une grâce subtile, vaporeuse. Plus Parker se répétait ce prénom dans la pénombre du camion immobile sous les étoiles, plus il prenait de significations, jusqu’à devenir magique et parfumer l’aube. il alluma l'éclairage de la cabine et l'écrivit sur une feuille blanche qu'il posa sur le tableau de bord...
C'est loin Teniente Primero Lopez ?
- Deux jours, s'il n'y a pas de vent. Tu files tout droit et demain tu tournes à gauche, tu traverses la colline, puis encore à gauche pendant une demi-journée, plus ou moins...
Il avait traversé plusieurs fois cette ligne imaginaire, au-delà de laquelle s’ouvrait un monde propice aux visions fantastiques et aux aventures, le monde des régions australes, des falaises vertigineuses tombant à pic sur les vagues déferlantes, les fjords et les canaux traversés par le rugissement des vents et les courants furieux qui reliaient les deux océans. Il avait déjà parcouru ces côtes, infestées de légendes et de naufrages, où la voûte céleste s’inversait, le haut se plaçait en bas, et où le continent dessinait un animal préhistorique plongeant son échine dans l’océan pour réapparaître dans une autre géographie, avec d’autres noms et d’autres mythes. Il connaissait bien ces régions, pourtant il n’avait jamais éprouvé au plus profond de lui-même une telle sensation d’égarement.
Voilà un livre trouvé au hasard des rayonnages de la médiathèque alors que je recherchais des auteurs d'Amérique du sud. Eduardo Fernado Varela est argentin et il s'agit de son premier roman.
Tout d'abord la nature est omniprésente, sauvage, dépaysante, balayée par les vents. Les grands espaces sont grisants et l'être humain s'y sent encore davantage minuscule.
Les noms de lieux nous font voyager (ils sont fictifs je pense..."Mule morte", "Saline du désespoir", "Colline plate", "Jardin Epineux", "Vallée joyeuse")... et les personnages sont atypiques et déconcertants à souhait, en fait plutôt misérables et solitaires. Les histoires qu'ils colportent, sont peuplées de légendes dans lesquelles on rencontre des Trinitaires, ou même des fantômes.
J'ai trouvé qu'il y avait des scènes et des personnages vraiment drôles comme par exemple : le garagiste qui va envoyer Parker chercher lui même la pièce manquante à vélo, en oubliant de lui dire qu'au retour, le vent l'empêchera de revenir peut-être pendant plusieurs jours ; le chef de gare qui est incapable de dire si un train va passer ou pas ; Dietrich le néo-nazi abandonné en plein désert par ses potes allemands ; les gendarmes qui ne servent à rien car ils sont facilement corrompus ; les jumeaux de la foire, impossible à différencier et qui sont fidèles à Bruno leur patron violent qui lui, adapte les règles du jeu d'échecs à sa convenance... et bien entendu tout ce qui tourne autour du journaliste, ami de Parker.
L'histoire d'amour est intéressante car elle confronte deux mondes, deux rêves quasiment inconciliables...
Résistera-t-elle au temps ? Je ne vais pas vous le dévoiler.
Cependant, j'ai trouvé la seconde moitié du roman un peu moins intéressante car elle s'étire en longueur, et j'ai eu l'impression de tourner en rond sans trop savoir où j'allais arriver et où l'auteur voulait nous emmener....mais je ne regrette pas ma lecture pour autant car ce roman d'ambiance est à découvrir pour un dépaysement assuré et l'humour qui étaye ses pages.
C'est un road trip dont on a beaucoup parlé et qui a obtenu de nombreux prix ou fait partie des sélections de prix connus ce que j'ignorai quand je l'ai emprunté et lu et que je découvre en rédigeant cette chronique.
Prix Casa de las Americas en 2019
Prix de l'Université Inter-Ages du Dauphiné en 2021
Prix du Premier roman : sélection catégorie romans étrangers en 2020
Prix Expression 2020 : sélection (prix de la librairie Expression à Châteauneuf de Grasse) en 2020
Prix Femina étranger : finaliste en 2020
Prix LDB 2020-2021 : sélection (prix de la librairie des bauges à Albertville) en 2020
Prix Transfuge du Meilleur roman hispanophone en 2020
Et, Sélection rentrée littéraire Fnac en 2020
Cependant sur Babelio les avis sont partagés (voir ICI).
Bien qu'il se passe en Patagonie, le héros ne quitte pas l'Argentine, c'est la raison pour laquelle je ne propose pas ce titre pour le Printemps Latino...
Parker se demanda si c'était ce moment de la journée, le rythme lent de la musique ou la nature instable de son esprit qui créait en lui certains états d'âme. Il connaissait la réponse, mais la situation était irréversible : les aiguilles de sa montre clouées sur le cadran cosmique le rivaient au présent et au paysage. Il n'avait pas d'autres remèdes que de changer de musique, il savait très bien, il l'avait appris après des heures et des heures et des kilomètres de route, que son état d'esprit changeant lui imposait de ne pas se laisser aller.
Quand cette sensation de vide l'enveloppait, il avait l'impression que les roues décollaient doucement de l'asphalte, et qu'il s'élevait au-dessus des reliefs ocrés du désert patagonien. L'air devenait plus dense, le poids se dissolvait dans l'atmosphère et la route n'était plus qu'une ligne incertaine qui se perdait au loin. A mesure que Parker s'élevait et que le ciel prenait un bleu plus vif, les cours d'eau asséchés apparaissaient telles des cicatrices sur la surface rugueuse de la terre. Les détails se perdaient, le passé s'assombrissait, le futur devenait un halo transparent...