Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Dépeçage
Et le navire se métamorphosa en une sorte d'abattoir, chaque marin en boucher. On aurait cru que nous offrions aux dieux de la mer, le sacrifice de dix mille boeufs rouges.
Frété de sauvages, chargés de feu, brûlant un cadavre et s'enfonçant dans les ténèbres, le Pequod semblait la matérialisation de la folie obstinée de son capitaine.
Voici une adaptation en deux tomes de l'oeuvre éponyme d'Herman Melville devenue aujourd'hui un classique.
Dans ce premier tome de 118 pages, l'histoire se met en place.
Ismaël est un jeune homme solitaire qui est venu en plein hiver se perdre dans les ruelles proches du port de Nantucket.
Il recherche une chambre mais l'aubergiste n'en a plus et lui propose d'en partager une avec Queequeg un harponneur, facilement reconnaissable à ses tatouages (c'est un cannibale !) qui va bientôt repartir en mer. Après avoir fait connaissance dans des circonstances que je ne vais pas vous raconter, tous deux se font embaucher sur un baleinier, le Pequod.
Aucun des deux, malgré les mises en garde, n'imaginent ce qui les attend. Le capitaine Achab chasse la baleine, certes, mais veut surtout traquer un énorme cachalot dont la légende commence à circuler entre les différents matelots, et qu'il a surnommé Moby Dick. C'est à cause de ce cétacé que le capitaine a perdu une jambe et il compte bien le retrouver en le poursuivant jusqu'au bout du monde s'il le faut, et se venger de ce qu'il lui a fait en le massacrant.
Nous voilà donc embarqués avec les hommes sur ce baleinier. Nous sommes à la fin du XIXe siècle. Le lecteur entre de plein fouet dans la vie quotidienne des marins. Ils sont trente sur ce bateau et partent pour une campagne de pêche qui doit durer trois longues années.
La vie est rude, la promiscuité leur faisant perdre beaucoup de leur humanité. La peur est omniprésente. Ils doivent en effet non seulement vaincre les tempêtes et les dangers de l'océan, mais aussi embarquer sur de frêles embarcations pour s'approcher au plus près des baleines qu'ils tenteront de tuer avec de simples lances et des harpons. Ils semblent si petits et fragiles à côté de ces mammifères marins gigantesques !
Les visages sont creusés par la fatigue. Le travail est harassant à bord non seulement pour diriger le baleinier, suivre les instructions de plus en plus désordonnées du capitaine, mais aussi lors de la chasse qui n'est qu'une faible partie du labeur. Il leur faut ensuite remorquer leur proie jusqu'au navire, la hisser sur le pont, la dépecer, récupérer le spermateci pour en extraire et faire fondre la précieuse huile, sans mettre le feu au navire, une huile qui sera ensuite stockée dans des fûts et rangée en fond de cale...
Mais la quête du capitaine le pousse à aller toujours plus loin et Starbuck, officier intègre et courageux, se révolte, tentant de le ramener à la raison.
Alors une grande baleine fit brêche et s'élança...Elle avait un front d'une blancheur de lait, une bosse et n'était que rides et pattes d'oie !
- C'était ELLE !! C'était ELLE !
Elle avait des harpons fichés près de sa nageoire de tribord !!
-OUI ! OUI !! Ce sont les miens !!
Les miens !!
J'ai lu Moby Dick il y a des années et donc je suis dans l'incapacité absolue de comparer l'oeuvre d'origine à cette adaptation. Il faudrait le relire à présent. Je vous rappelle qu'Herman Melville s'est inspiré d'une histoire vraie, le naufrage d'un baleinier en novembre 1820, coulé par un cachalot.
Christophe Chabouté nous offre ici une adaptation remarquable. Le graphisme tout en noir et blanc, donne encore plus de profondeur et de réalisme aux situations. L'ambiance est palpable, le drame est proche et les visages sont très expressifs. Les marins s'expriment avec peu de mots mais le lecteur n'a aucun mal à comprendre leur ressenti. Pour ceux qui ne connaissent pas encore l'histoire, ce qui va advenir dans le second tome se met en place peu à peu en particulier la montée en puissance du désir de vengeance du capitaine Agab, qui va petit à petit devenir palpable, surprenante, obsédante jusqu'à friser la pure folie...
Le lecteur découvre la personnalité des différents personnages. Il y a ceux qui ont peur, ceux qui se méfient, ceux qui se révoltent et résistent comme Starbuck. Les croyances de Queequeg et la naïveté d'Ismaël sont très bien rendues, car tout sonne juste. La tension est palpable et accentuée par l'alternance de pages silencieuses, mais non moins vivantes, et de dialogues entre marins.
Le découpage est très cinématographique et l'ensemble donne un roman graphique à la fois sobre et riche en détails minutieux. Le récit est en effet découpé en chapitres qui débutent chacun par une phrase de l'oeuvre de Melville résumant très bien ce qui va être développé dans les planches suivantes.
L'auteur retranscrit à merveille l'ambiance effroyable qui régnait sur le pont de ces baleiniers. Ne soyez pas étonnés d'entendre les pas du capitaine quand il approche et que sa jambe de bois heurte le pont, ni de voir la couleur du sang sur les pages noir et blanc, ce n'est pas une illusion, tout est tellement réaliste que notre imagination s'envole.
Ce premier tome a reçu le Prix Gens de mer au Festival Etonnants Voyageurs en 2014. Comme il décrit très bien les conditions de travail des marins sur les baleiniers cela me permet de participer à nouveau au challenge "Monde ouvrier et monde du travail"chez Ingannmic ICI .
Et comme il se passe en mer, je participe aussi au challenge "Book Trip en mer" organisé par Fanja ICI qui durera jusqu'en novembre. Il était temps que je me jette à l'eau...!
Ce n'est pas la première fois que je lis sur ce thème (voir pour les détails ICI sur le blog de Fanja) mais la première fois que je participe à ce challenge.
Vous trouverez sur ce blog quelques titres sur ce sujet (romans ou nouvelles) :
- Les naufragés de l'île Tromelin ICI / Irène Frain
- Mon dernier continent ICI / Midge Raymond
- Histoires de mers ICI / Hubert Delahaye
- Au-delà de la mer ICI / Paul Lynch
- Face au vent ICI / Jim Lynch
- Novecento ICI / Alessandro Baricco
- Le vent se lève ICI / Sophie Avon
Pour les ados
- Le garçon qui voulait devenir un être humain ICI (roman) ou ICI (T1 en album) et ICI (T2 en album) et ICI (T3 en album) / Jorn Riel
Et en BD
- Le singe de Hartlepool ICI / Wilfrid Lupano
- Esteban tome 1, le baleinier, ICI / Matthieu Bonhomme et les tomes suivants : tome 2 ICI, tome 3 ICI, tome 4 ICI (Attention ce tome ne se passe pas en mer!) et tome 5 ICI.
Ce qui est signé est signé. Ce qui doit être sera. Mais cela n'arrivera peut-être pas après tout.
De toute façon tout est déjà écrit, prévu et il faut bien qu'il y ait des marins pour partir avec lui, vous ou n'importe quel autre.
Et que Dieu les ait en pitié.