Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Nul ne sera tenu en esclavage ni en servitude, l'esclavage et la traite des esclaves sont interdits sous toutes leurs formes.
Au fait, d'où viennent-elles, les vagues, pour être si pressées, si violentes ? Et que cherchent-elles quand, dépassant la langue de sable, elles continuent, furieuses, à courir vers le nord ? Vont-elles interroger les puissances du destin ?
Qui n'a jamais entendu parler de l'île de Tromelin anciennement appelée l'île des sables ? Je me souviens des fouilles qui avaient eu lieu sur l'île, mais j'ai réalisé, à la lecture d'un article fort intéressant, que je n'en savais pas plus sur cette terrible histoire. C'est donc grâce à "ta d loi du ciné" qui squatte régulièrement le blog de Dasola (voir ICI son article sur le sujet) que j'ai eu envie de me plonger dans ce livre (le seul à vrai dire de sa bibliographie_ qui en propose quatre, que j'ai pu trouver en médiathèque).
Voici l'histoire...
Le 31 juillet 1761, dans l'Océan indien, l'Utile, un navire de la Compagnie française des Indes, parti de Bayonne, après une escale à l'île de France (ex appellation de l'île Maurice) passe à proximité de l'île des Sables. L'île n'est pas encore positionnée avec exactitude sur toutes les cartes. Malgré les conseils de prudence, lancés par les marins et le commandant, le capitaine s'entête à vouloir passer par un itinéraire inhabituel et à garder le cap à l'Est.
Dans la nuit, le navire heurte les récifs coralliens qui entourent l'île et fait naufrage. A son bord, plus de cent quarante marins sont à pied d'œuvre délaissés par le capitaine Lafargue qui ne réapparaitra qu'à la fin de la nuit. Une grande partie de l'équipage arrivera à rejoindre l'île à la nage, en s'accrochant à des planches, et portés par les courants vers la plage de sable.
MAIS, dans la cale, cent soixante esclaves clandestins hommes, femmes et enfants étaient enfermés, les marins craignant une révolte durant la nuit. Peu survivront. Ils avaient été embarqués à Madagascar et devaient être revendus par le capitaine, une fois arrivés à l'île Maurice et cela, malgré l'interdiction de la traite décrétée par le gouverneur.
C'est Barthélémy Castellan du Vernet, qui va prendre en main la suite du commandement, le capitaine Lafargue ayant apparemment perdu la raison durant le naufrage. Deux cent dix hommes ont survécu dont seulement quatre vingt esclaves. Le Commandant Castellan va organiser le creusement d'un puits, car trop peu de barils d'eau ont pu être récupérer, bâtir des abris avec ce qu'ils peuvent aller chercher dans l'épave ou ce qui s'échoue grâce aux courants sur la plage, et finalement décider de reconstruire un bateau d'une dizaine de mètres de longueur, une prame, pour pouvoir se sauver.
Mais très vite, les hommes réalisent que la prame ne pourra jamais emmener tous les survivants. Castellan en est ulcéré. Le jour du départ, alors qu'ils ont travaillé ensemble, main dans la main, il est obligé d'abandonner les esclaves en leur faisant la promesse qu'il reviendra les chercher.
Mais à son arrivée sur la terre ferme, personne ne veut l'aider, la Compagnie des Indes ne veut pas qu'il retourne là-bas les chercher. C'est quinze ans après que Jacques Marie de Tromelin, commandant de la Corvette "la Dauphine", découvrira les survivants : seules sept femmes et un bébé sont alors secourus le 29 novembre 1776.
Comment la France a-t-elle pu abandonner quatre vingt esclaves malgaches ? Comment ont-ils pu survivre sur cet îlot désert et hostile ?
...ce sont des filles et des garçons intelligents, même si le naufrage les as sonnés, comme tout le monde ; ils n'auraient pas pu sinon construire ce bateau comme ils l'ont fait, ils viennent de lui démontrer qu'ils sont nés, comme lui, du sexe d'un homme et du ventre d'une femme. Et qu'ils se trouvent par conséquent, exactement comme lui- et plus étroitement encore que dans l'île-, enfermés dans l'humaine condition.
Personne n'a prévenu les Noirs de la distribution d'eau. On n'est pas allé les chercher, on les a laissés où ils étaient partis, au bout de la plage. ça s'est fait tout seul, on les a oubliés le plus spontanément du monde, on s'en est tenu à la dernière image qu'on avait d'eux...
Mais le remords est pervers, il sait prendre son temps. Un jour ou l'autre, la mauvaise conscience perd pied dans les brouillards qu'elle a elle-même créés.
Cela faisait des années que je n'avais pas lu Irène Frain et j'ai été agréablement surprise de découvrir la façon dont elle s'empare de ce fait historique dramatique, tout en restant au plus près de la réalité. Elle nous offre un roman historique passionnant et marquant, doublé d'un récit d'aventure qui s'ancre dans les rapports humains, analyse avec finesse la psychologie des différents protagonistes dans ces conditions extrêmes et totalement inhumaines où il est question avant tout de survie.
Dès les premières pages, alors que je connaissais parfaitement l'issue du drame, j'ai été captivée par l'histoire.
Nous passons lors de cette lecture par tous les sentiments possibles. Le comportement des français qui n'ont pas hésité à pousser à la mer des esclaves en train de se noyer, pour sauver leur peau, nous choque profondément et nous révolte, tout comme leur comportement face au rationnement de l'eau et des vivres. Les privations seront fatales à un grand nombre d'esclaves, à peine quelques jours après le naufrage.
Les provisions sont prioritairement données au français, pourtant certains n'hésitent pas à voler pour en avoir plus. Heureusement, l'île regorge d'oiseaux (et donc d'œufs), et les eaux sont poissonneuses mais les malgaches, s'ils savent pour certains nager, ne savent pas forcément pêcher.
De plus, ils sont tenus à distance : deux camps sont construits pour les séparer de l'équipage y compris lors de la construction de la prame, alors qu'ils sont volontaires pour aider à la réaliser.
Bien entendu, il faudrait qu'à présent je me plonge dans le documentaire de Max Guérout (qui n'est pas dans ma médiathèque) pour savoir la part de réalité et de fiction dans le roman d'Irène Frain.
Mais tout ce que je peux vous dire c'est que l'auteur s'est documenté et a fait un travail de recherche époustouflant. Elle s'est rendue sur l'île pour s'imprégner de l'ambiance. Elle a bâti son récit à partir de faits concrets et précis trouvés dans les archives, de témoignages, de notes conservées et écrites par l'écrivain du navire qui tenait le journal de bord, de rapports des fouilles archéologiques qui ont eu lieu sur l'île depuis 2006, pour les 70 ans de la Déclaration des Droits de l'Homme. Suite à ces fouilles une exposition itinérante a été créée en 2009. Elle a traversé la France pour ensuite terminer son voyage au Musée de l'Homme à Paris.
L'auteur a pu ainsi nous parler dans ce roman des quelques français, simples marins ou gradés qui ont évolué au fil de cette expérience, ont appris à découvrir les malgaches et à les respecter davantage. Leur conscience a été mise à mal par l'abandon de ceux qui les avait aidés.
C'est réconfortant pour nous de penser que c'est suite à cet événement dramatique que Condorcet s'est battu pour l'abolition de l'esclavage. Certains ont pris leur défense. Que de drames auraient pu être évités si les hommes avaient tout simplement tendu la main à leurs frères de couleur. Mais "en ce temps-là", tous les êtres humains n'avaient pas la même valeur et donc nous, lecteurs, passons par tous les sentiments de révolte, de colère, d'impuissance, puisque nous connaissons l'issue fatale dès le début du récit.
J'ai été touchée par l'humanité de Castellan qui s'acharne pour convaincre ses supérieurs de la nécessité de tenir sa parole et d'aller chercher les esclaves, persuadé qu'ils sont encore en vie. L'avenir lui donnera raison mais il ne le saura pas. Beaucoup de marins seront hantés par cet abandon et ne pourront pas reprendre le cours d'une vie normale par la suite.
Ce roman est un hommage émouvant à ces hommes et ces femmes qui ont survécu dans des conditions extrêmes sur une île balayée par les vents, les marées et les ouragans dévastateurs.
Merci au squatteur préféré de Dasola pour cette belle découverte !
Castellan exactement comme les Noirs -et même quand la fatalité semblait à deux doigts d'avoir sa peau-, a toujours choisi le parti de l'espoir. Espérance éclairée, dans son cas, par l'esprit des Lumières : être au cœur de l'action, et simultanément, quoi qu'il arrive, apporter sa pierre au monument du savoir universel.
Si vous voulez en savoir plus, vous pouvez aller écouter le podcast à ce sujet en cliquant sur le lien ci-dessous.
Les esclaves abandonnés de l'île Tromelin
Sur un minuscule morceau de terre perdu dans l'océan Indien, s'est déroulée au milieu du XVIIIeme siècle une histoire tragique. 80 esclaves malgaches ont été abandonnés par des marins franç...
Ou consulter les documents proposés (cartes et autres) sur le site d'Irène Frain.
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Rendez-vous sur le site officiel des naufragés de l'île Tromelin et découvrez des vidéos, des photos de l'île Tromelin ainsi que le premier chapitre du livre. Irène est récompensée du Grand...
http://www.irenefrain.com/les_naufrages_de_lile_tromelin.php
Bon weekend à tous, une Bonne fête
à tous les papas dimanche
et mille pensées pour ceux qui ne sont plus là
autrement que dans nos cœurs.