Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Notre "Kabann" c’est Charlemagne Fontaine, mon grand-père qui l’a construite. Comme toutes les "Kabann" de la cité, elle est faite de matériaux de récupération, planches, tôles, bâches en plastique, ferrailles. La plupart des maisonnettes sont minuscules, moins de 9m2, les murs sont faits de tôles ondulées complètement rouillées, le toit est bas, un adulte peut à peine s’y tenir debout. À l’intérieur, des parents avec plusieurs enfants s’entassent la nuit pour dormir. La journée, quel que soit le temps, tout le monde vit dehors. La cité Simone c’est un immense bidonville, un dédale de baraquements, d’allées sombres, d’égouts à ciel ouvert. Une ville dans la ville, puante et grouillante.
Charlemagne, mon grand-père est mort quelques mois plus tard à la suite d'un accident sur le port.
La disparition de M'Umititi a été pour moi un passage, tout comme mon entrée au collège quelques semaines plus tard. Dans la religion vodou, ce sont des moments importants de la vie. Tout au long de notre existence nous prenons des couloirs qui nous font progresser.
Ce livre à mi chemin entre le roman et le reportage, nous emmène en Haïti dans les années 60/80. Calixte Fontaine est un jeune adolescent qui vit dans un bidonville de Port-au-Prince, la cité Simone, avec ses parents, Toussaint et Olivette, sa petite soeur, Daniya, et sa grand-mère Ma’Umtiti, qui est mutique depuis que Charlemagne le grand-père est mort. Le père travaille sur le port à décharger des bateaux.
La pauvreté dans ce bidonville est terrible. Les chiffres sur la durée de vie, sur la mortalité infantile et périnatale sont effarants par rapport à ceux de l'occident à la même période et ne parlons pas de la santé générale des habitants. Les gens qui vivent là sont totalement démunis et à la merci de patrons sans scrupules qui les exploitent et ne leur versent pas leur salaire au moindre problème. Un regard de travers, un client qui se plaint, un retard de quelques minutes... et les quelques gourdes attendus disparaissent malgré la journée de travail effectuée.
Mais dans ce bidonville règne aussi l'entraide et la générosité, car même s'ils n'ont rien les gens se soutiennent, ils savent qu'un jour ce sera peut-être leur tour d'avoir encore plus de malheur. Ce qui est très beau c'est que le bonheur des uns est également partagé par tous et les fêtes (mariage, baptême, réussite exceptionnelle), le carnaval, les combats de coqs pour les hommes, permettent de s'évader un peu d'un quotidien souvent trop lourd à porter.
Calixte n'a jamais connu son aïeul qui est mort quand il était encore bébé, mais cela n'empêche pas Charlemagne de lui rendre visite la nuit. Il s'assoit au bord de son lit et lui donne des conseils que le jeune adolescent suit avec beaucoup d'attention. Il est persuadé que son grand-père veille sur lui.
Travaillant bien à l'école qu'il fréquente seulement l'après-midi après avoir travaillé tout le matin avec sa mère au grand "Marché en (de) Fer" de la ville pour gagner quelques gourdes supplémentaires, Calixte n'a qu'un désir, c'est de continuer à étudier.
Là-bas, l'avenir des jeunes est tout tracé : les filles seront vendeuses au marché et les garçons se feront embauchés sur le port à moins que...ils ne soient enrôlés avant dans un des gangs qui sévissent sur la cité et font régner leur lois sur la population.
C'est d'ailleurs dans un de ses gangs que Gratitude, l'ami d'enfance de Calixte finira par s'engager et cela signera la fin de leur amitié.
Le Père Céleste qui se bat depuis des années pour instruire les enfants du bidonville dans sa Maison Bleue (la Kay blé), et qui est aidé dans sa quête par une association qui lui envoie des fonds, va tout faire pour lui permettre de réussir son certificat d'étude (le Sètifika Edikasyon), puis continuer au lycée, obtenir son baccalauréat et réaliser son rêve de devenir professeur. Calixte sera parrainé par un couple français qui paiera tout ce qui est nécessaire à son instruction en plus de dédommager sa famille pour compenser le fait qu'il ne gagne pas d'argent. Il gardera des contacts étroits avec eux et ne manquera jamais de leur écrire chaque semaine des lettres très émouvantes.
Mais changer de milieu social n'est pas facile quand on habite Haïti même si cela lui permet d'aider sa famille financièrement et d'envoyer sa petite sœur à l'école.
La fin m'a littéralement révoltée.
Dans la cité, on ne rêve pas trop. Tout le monde est préoccupé par le lendemain, et surtout savoir s'il aura assez de gourdes pour acheter de quoi nourrir sa famille. La peur de ne pas être mbauché par le patron le matin et de rentrer à la maison sans rien dans ses poches. Chacun vit dans l'attente de la distribution de l'eau, pour la nourriture on arrive toujours à se débrouiller mais sans eau on ne peut pas survivre.
Le Père Céleste ne se permet pas d'évoquer le retour de mon père pour qu'il donne lui aussi son accord. Il sait parfaitement que si les hommes jouent les gros bras dans toutes les cahutes de la cité, ce sont les femmes qui ont le pouvoir.
Toussaint est un "Tambouye", un joueur de "Tanbou Petwo". C'est mon grand-père Charlemagne qui l'a initié. Ensemble, ils ont choisi l'arbre dans le tronc duquel a été taillé son tambour. Une cérémonie avait été organisée pour avoir l'approbation de l'arbre avant de l'abattre. La nuit précédente, mon père avait passé une nuit sous l'arbre, fin d'entrer en communion avec celui qui après l'abattage deviendrait son compagnon.
L'auteur nous emmène avec brio dans les pas de Calixte, un narrateur très attachant que nous suivons les yeux fermés tant nous sommes acquis à sa cause, de son enfance à l'âge adulte.
C'est un roman empli d'humanité qui m'a beaucoup touché. Le lecteur est révolté puis au détour d'une phrase ou d'une page l'émotion le submerge.
J'ai découvert avec grand plaisir un auteur incroyable qui sait nous captiver dès les premières phrases avec sa plume tellement évocatrice, réaliste et colorée que nous nous retrouvons immergés dans l'ambiance dépaysante de ce pays étonnant, bruyant, vivant, odorant, auprès d'un peuple chaleureux pour lequel les coutumes sont toujours très présentes, mais c'est un pays, nous le savons qui subit aussi beaucoup trop de malheur.
Depuis avant la naissance de Calixte, le pays s'est en effet enfoncé dans la pauvreté et la misère est partout. Les plus de trente années de règne de la famille Duvalier père (François Duvalier) et fils (Jean-Claude Duvalier) ont ruiné le pays. Pendant des années les Duvalier ont détourné les fonds de l'aide internationale pour leur usage personnel. Pas étonnant que le peuple se rebelle avec les conséquences que l'on sait, les massacres, les emprisonnements, les disparitions. Pour atteindre leur but, ils ont créé à la fin des années 60, leur propre milice privée, les Tontons Macoutes, qui se charge de la répression politique dans le pays.
Il y a aussi les gangs qui règnent sur la ville et terrorisent la population autant que la milice faisant vivre les habitants dans une ambiance de peur permanente comme en temps de guerre.
Au milieu de l'histoire poignante de Calixte et de sa famille, Yves Montmartin sait distiller les informations historiques et culturelles, et les remarques intéressantes dans des notes qu'il place à la fin de presque tous les chapitres. Ainsi au fur et à mesure que nous découvrons l'histoire de Calixte et de ses proches, on en apprend encore davantage sur l'histoire de ce pays, les jeux comme les combats de coq, les conditions de vie et de scolarité. Il n'hésite pas à employer des mots créoles (toujours traduits) et à nous décrire dans les détails la vie quotidienne et ses difficultés : insalubrité, restriction d'eau, santé.
J'ai également beaucoup appris sur les rites et les croyances vodou. J'ignorais par exemple que le mariage vodou était maintenant reconnu comme légal. L'auteur s'est beaucoup documenté et peut-être même est-il allé là-bas autrement qu'en pensées.
Je remercie vivement l'auteur, Yves Montmartin que je connaissais sur Babelio, sans savoir qu'il avait écrit des livres. Merci à lui de m'avoir proposé de m'envoyer ce beau roman en service de presse, j'ai vraiment fait une très belle découverte et j'espère pouvoir lire très vite la suite.
Vous pouvez lire d'autres avis ICI (chez Jean-Paul et Ghislaine Degache) ou sur Babelio ICI.
Quelques timides manifestations ont eu lieu, vite réprimées dans la violence par les Tontons Macoutes. Mais il suffirait d'allumer la mèche pour que tout explose. Il faut simplement être patient, continuer notre lutte souterraine. L'homme haïtien est réputé pour ne jamais se plaindre, il fait face à l'adversité climatique ou autre, comme une fatalité. Mais nous sentons poindre dans tous les quartiers, un vent de révolte...
Aujourd'hui dans ce pays exsangue à tout point de vue, l'économie criminelle est la seule qui fonctionne encore, et elle est particulièrement lucrative.