Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Comme bon nombre de ses compatriotes, Audrey ignorait jusque-là que sur environ cent trente-neuf pensionnats ouverts au pays, douze l'avaient été au Québec. Comment un peuple qui lutte contre l'assimilation depuis trois cent ans a-t-il pu lui-même tenter d'en acculturer un autre ? L'idée lui avait paru d'autant plus choquante que les pensionnats étaient dirigés par le même clergé qui, dans le passé, s'était posé en rempart contre l'intégration forcée des francophones.
Août 1936. Alors qu'elles reviennent de la chasse et se préparent à quitter Pointe Bleue pour partir vers les territoires d'hiver des Innus avec leur famille, Virginie Paul et Marie Nepton sont embarquées avec les autres enfants du village pour aller passer l'année scolaire dans un pensionnat. L'ordre est venu du gouvernement canadien et leurs parents, le coeur gros, n'ont pas pu faire autrement que de les laisser partir à plus de mille kilomètres de chez eux, à Fort George.
Le voyage est éprouvant pour tous les enfants d'autant plus que rien de ce qui a été annoncé aux parents ne s'avère vrai. Les religieux leur dispensent bien des cours, mais sles enfants subissent quotidiennement de nombreuses violences et humiliations de toutes sortes. Ils ont faim et froid et n'ont plus le droit de parler leur langue, même entre eux. Leurs cheveux sont coupés et tout ce qui les reliait à leurs proches leur est retiré...même leur nom. Désormais, ils ne porteront qu'un simple numéro, et ils devront endurer quotidiennement des critiques sur le mode de vie sauvage de leurs parents. Le but du gouvernement, c'est de les assimiler en leur faisant perdre leur idendité d'indien.
Là-bas, Virginie va faire connaissance avec Charles Vollant, un étrange garçon, toujours seul et les deux adolescents vont se rapprocher et tomber amoureux ce qui leur donnera plus de force pour lutter contre leurs agresseurs. Un jour les deux jeunes gens disparaissent mystérieusement.
Soixante et dix ans plus tard, en 2013, Audrey Duval, une jeune avocate, doit remplir son contrat moral annuel : le barreau invite en effet tous les avocats à défendre gratuitement une cause qui leur tient à coeur. Elle décide d'enquêter sur le pensionnat de Fort George. Elle espère que les personnes toujours en vie, pourront toucher l'indemnité à laquelle ils ont à présent droit. Mais elle découvre que parmi tous les enfants présents à Fort George, trois ont mystérieusement disparu sans que personne ne soit capable de savoir ce qu'ils sont devenus, et s'ils sont encore en vie.
Audrey va donc mener une véritable enquête qui la mènera loin de chez elle pour tenter d'amadouer une vieille dame mutique, devenue alcoolique, et comprendre pourquoi elle est venue s'échouer là, dans cette réserve où personne ne la connait : c'est Marie Nepton.
Le vieux Nakota n'est guère difficile à trouver. Il passe ses journées dans sa roulotte où il accueille les Autochtones dont personne d'autre ne se préoccupe. Les perdus, les abandonnés. Ces hommes et femmes qui ont quitté leur réserve pour venir s'échouer dans une ville qui n'en veut pas.
Une fois au lac, il faut pousser plus haut encore, là où les rivières se tournent vers le nord. Il faut aller jusqu'à la limite des arbres. Un voyage qui prend presque deux mois. C'est le bout du monde, le meilleur endroit pour chasser le caribou.
Notre territoire se trouve tout près de leurs lieux de passage dans la grande plaine du Nord. Il n'existe rien sur terre de plus majestueux que le spectacle d'un grand troupeau...
Voici un roman que je ne connaissais pas qui a déjà été publié une première fois en 2013 sous le titre, "le vent en parle encore".
Après avoir lu du même auteur, "Kukum" présenté ICI que j'ai beaucoup aimé, il était normal que je continue la découverte de cet auteur en lisant "Maikan" qui signifie "les loups". Inutile que je vous précise que l'auteur s'est inspiré de faits réels. Comme vous pouvez le deviner les loups ce sont les religieux qui traquent inlassablement les enfants pour assouvir leurs instincts les plus primitifs. L'auteur ne condamne pas, il expose simplement des faits, avec une certaine distance même, mais en les rendant les plus réalistes possibles. Le ton employé par l'auteur ne rend pas plus facile pour le lecteur, à accepter les scènes très révoltantes de viols et de maltraitance envers ces enfants et adolescents.
J'ai aimé cependant retrouver l'écriture toute en simplicité mais tellement émouvante de Michel Jean. Et la manière dont l'auteur s'empare des différents personnages en nous restituant leur vécu, est totalement bouleversante.
C'est donc une histoire infiniment triste. On perd espoir dans la nature humaine en le lisant. Comment le gouvernement canadien a-t-il pu participer à une telle destruction, à la disparition programmée de tout un peuple ? Nous savons tous à quel point les autochtones (ici dans l'histoire, ce sont les Innus de Mashteuiatsh) ont vécu des événements douloureux, mais je connaissais peu la responsabilité du Canada dans cette catastrophe humaine.
On frémit quand on pense aux 150 000 enfants qui ont vécu la même chose sous prétexte d'être assimilés et de "tuer l'indien" en eux. On frémit aussi quand on pense que le dernier pensionnat a fermé ses portes seulement en 1996.
Mais ce que j'ai trouvé très positif, c'est le fait que le roman traite aussi de l'importance de la parole pour se libérer du passé, de l'importance de la réparation et de la reconnaissance des torts endurés pour les survivants (et les descendants) de tels actes de violence, mais aussi bien entendu du traumatisme et de la manière dont chacun va arriver à l'accepter et parfois à le dépasser pour continuer à vivre.
La plupart des élèves avaient, d'une manière ou d'une autre, peu à peu oublié leurs familles.
Qu'auriez-vous voulu que nous fassions ? A force de vous faire répéter que vos parents ne sont que des illettrés et des incultes, vous finissez par le croire. Vous vous dites qu'après tout, s'ils ne l'étaient pas, ils vous auraient gardés auprès d'eux plutôt que de vous confier à des inconnus, même si c'était des religieux, et de vous envoyer à l'autre bout du monde, sur une île dont ils n'avaient jamais entendu parler.
Personne n'ose parler de peur que cela attire la malchance. De peur des représailles, surtout, que cela ne manquerait pas d'entraîner. Virginie ferme elle aussi les paupières. Elle pense à sa forêt, à son lac, respire le parfum du tapis de sapin, l'arôme de la bannique fumante quand on la retire des braises chaudes. Elle n'entend plus le vent qui tourne autour d'elle...
Aujourd'hui, les Nations unies considèrent comme un génocide le fait de retirer les enfants de leurs foyers en se basant sur leur appartenance ethnique pour les placer dans un environnement étranger afin de les endoctriner. Le Canada reconnaît maintenant publiquement que l'objectif des pensionnats était d'assimiler les Autochtones, en somme de "tuer l'Indien dans l'enfant" mais souvent comme le dit le chanteur innu Florent Vollant, ils ont tué l'enfant aussi...