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Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...

Kukum / Michel Jean

Seuil, Points 2022

Seuil, Points 2022

Venir me réfugier au lac, comme ce matin, m’apaise, car il me rappelle qui nous avons été et qui nous sommes toujours. Pekuakami : ta surface lisse se mêle à l’horizon, le soleil s’y mire comme dans une glace, et ce miroir me renvoie à tous mes souvenirs.

J'ai fixé les yeux de celui qui me demandait de le suivre jusqu'au bout du monde. J'y ai vu la rivière, le lac long et, au milieu, moi et ce jeune homme aux larges épaules et au regard confiant.

Almanda est une jeune orpheline québécoise, âgée de 15 ans, lorsqu'elle rencontre Thomas Siméon, un jeune amérindien de la tribu des Innus de Pekuakami (le lac Saint-Jean au Canada). Elle tombe immédiatement amoureuse de lui. 

Adoptée depuis toute petite par un couple d'irlandais, qui, comme beaucoup d'immigrés cultivent la terre pour en tirer de maigres ressources leur permettant de survivre,  elle va les quitter pour suivre Thomas et se marier avec lui. 

Elle qui n'avait jamais vécue en dehors de la ferme, va vivre maintenant toute l'année avec le clan des Atuk-Siméon, remonter la rivière Peribonka pour gagner leurs territoires de chasse plus au nord dans la forêt reculée des Passes-Dangereuses, où le clan des Atuk-Siméon installe son campement pour y passer l'hiver. L'été, ils redescendent au bord du lac jusqu'à Pointe bleue. 

Almanda nous raconte tout d'abord tous les détails de leur vie quotidienne. Le lecteur subjugué ne peut que l'écouter et s'installer avec elle au coin du feu, la suivre dans la forêt, car c'est là-bas durant le premier hiver, qu'elle apprend les gestes ancestraux du quotidien, indispensables pour devenir une vraie Innue.

Elle est très vite acceptée par le clan, apprend la langue innue_aimun, écoute les légendes racontées par Malek le patriarche, des légendes qu'un jour_ mais elle ne le sait pas encore_ elle racontera à son tour à ses petits-enfants. Elle apprend à aimer cette vie nomade. Elle aime chasser, pose des collets, remercie les animaux de bien avoir voulu se laisser capturer... Elle apprend à lire la météo, à tanner les peaux et à broder des perles sur les vêtements. 

Les années passent, heureuses, ils ont des enfants qui grandissent auprès d'eux...mais les hommes blancs, ivres de pouvoir, vont peu à peu briser le rêve d'une vie éternelle, libre et nomade. 

Sous prétexte de progrès, ils arrivent en masse pour exploiter les forêts, détruisant l'environnement au mépris de ceux qui vivaient là avant eux. Non contents de déforester, ils font fuir le gibier, font descendre les troncs le long des rivières les rendant impraticables pour les Innus, construisent routes et chemins de fer.

Impossible alors pour leur peuple de rester nomade, car la forêt  a été rasée et les chemins tracés par leurs ancêtres, et empruntés depuis des décennies, ceux qui justement permettaient d'accéder aux territoires d'hiver, sont désormais coupés par des routes, ce qui les rend impraticables. Et maintenant les territoires d'hiver n'existent plus...

Avec le temps, j'ai compris que, pour apprendre, il fallait regarder et écouter. Rien ne servait de demander.

Coupés du territoire, nous avons dû apprendre à vivre autrement. Passer directement d’une vie de mouvement à une existence sédentaire. Nous n’avons pas su comment faire et, encore aujourd’hui, on ne sait pas toujours. L’ennui s’est infiltré et a distillé son amertume dans les âmes.

Grand-mère, voilà comment mes petits-enfants et mes arrière-petits-enfants m'appellent. Voilà ce que je suis devenue, moi qui rêvais d'être "kukum". Parfois je m'inquiète pour eux. Le monde d'aujourd'hui est devenu plus cruel que celui que tu m'as offert en cadeau, Thomas.

Almanda est l'arrière-grand-mère de l'auteur. Il a choisi pour nous raconter son témoignage de lui donner la parole. C'est donc assise au bord du lac, LEUR lac, alors qu'elle est à présent quasiment devenue centenaire et que son Thomas tant aimé l'a quitté depuis des années, qu'elle va prendre la parole pour nous raconter l'histoire de son peuple et tout ce qu'il a eu à endurer quand il s'est retrouvé privé de liberté.  

Car ces colons ne se sont pas contentés de tout détruire dans la nature et les forêts, en plus de leur cadre de vie, ils ont détruits aussi leur culture, leur ont enlevé leurs enfants pour les éduquer dans des pensionnats en les éloignant de leurs familles, considérées comme primitives, pour leur apprendre leur propre langue, les coupant des leurs pour toujours. 

C'est avant tout un très beau roman d'amour entre Thomas et Almanda. 

Mais c'est aussi un roman qui nous parle de liberté, d'un temps révolu où l'homme était à sa juste place dans la nature, où il ne savait prélever que ce dont il avait besoin pour vivre chaque jour, et vivait dans une telle harmonie avec son environnement, que nous ne pouvons qu'être admiratifs de la manière dont il savait si bien préserver les ressources de notre Terre. 

Le lecteur ne peut qu'être révolté et ressentir une immense tristesse en assistant ainsi à la fin de ce mode de vie nomade. Comme pour tous les indiens d'Amérique, les peuples du Nord-est de l'Amérique subissent toujours aujourd'hui les conséquences de la colonisation de leur territoire de chasse par les colons blancs : alcoolisme, sédentarisation forcée, violence, privation de liberté...

L'auteur a une écriture sensible et émouvante que je découvre avec ce texte magnifique que j'ai beaucoup aimé et dont je reconnais que l'on ne sort pas indemne tant les faits sont révoltants. Il nous parle avec beaucoup de simplicité de ses ancêtres et de ce que sa kukum (sa grand-mère donc) lui a appris sur son peuple, sur sa culture, son mode de vie, et son adaptation impossible et tellement violente à la vie dite "moderne".

Les dernières pages sont poignantes, c'est l'auteur qui a son tour prend la parole. Avec pudeur et tendresse, une page de la vie de ses ancêtres se tourne...

C'est difficile d'expliquer le territoire d'avant. Le bois d'avant les coupes à blanc. La Péribonka d'avant les barrages. Il faut imaginer une forêt sautant d'une montagne à l'autre jusqu'au-delà de l'horizon, visualiser cet océans végétal balayé par le vent, réchauffé par le soleil. Un monde où la vie et la mort se disputent la préséance et au milieu duquel coule, entre des berges sablonneuses ou des falaises austères, une rivière...

Ils n'ont pas eu besoin de nous tuer. Ils n'ont eu qu'à nous affamer et à nous regarder mourir à petit feu. Beaucoup se sont réfugiés dans l'alcool...

Écrivain, journaliste à Montréal, Michel Jean est issu de la communauté innue de Mashteuiatsh.

Il a reçu de nombreux prix...

Lauréat du prix du meilleur roman des lecteurs et lectrices Points 2023
Lauréat du prix Étincelles 2022
Lauréat du prix littéraire Nature Nomade 2021
Lauréat du prix VLEEL 2020
Lauréat du prix littéraire France-Québec 2020
Finaliste du prix Jacques Lacarrière 2020

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C
un livre surement très émouvant, merci de ta chronique<br /> bisous<br /> patricia
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P
Tu me donnes très envie de découvrir ce livre.
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A
Un livre à lire. Dans ce style de livre nous découvrons des vies différentes des nôtres. Et c'est important <br /> Bises
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G
Il a l'ai très fort ce témoignage
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P
Bonjour Manou,<br /> Je note tout de suite car c'est un sujet qui me parle beaucoup.<br /> Durant des années nous avons travaillé avec des réserves Indiennes pour promouvoir leurs artisanats. <br /> Merci à toi. Bises
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M
Je note le titre oui sûre que je vais le lire... Merci<br /> "Nous autres, Indiens, vivons dans un monde de symboles et d'images où le spirituel et l'ordinaire des jours ne font qu'un."<br /> sagesse Sioux
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M
je pense que je le lirais avec plaisir j'ai toujours été passionnée par les amérindiens bisous bisous
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E
Cela doit être un très beau livre. Je suis allée au Canada et j'ai admiré ce lac Saint-Jean et sa région. Je note le titre. Bonne journée et bisous
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E
Tiens je vais faire un petit voyage au Canada au milieu des bois et forêts ,affrontant l'hiver ! Je télécharge le roman ! Il va sûrement me plaire ! Bisous !
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P
Je ne connais pas, mais l'histoire me semble intéressante. Merci pour la présentation. Si je le rencontre, je l'embarque !
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L
Bonjour Manou,<br /> Bonne lecture. Bonne fin d'AM. Bisous. Huguette
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G
Un sujet qui me tient à cœur, il faut que je lise ce livre.....<br /> Merci pour le partage, Bises Manou !!!
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R
Voilà un livre qui me tente énormément je vais voir si je le trouve en ebook....merci. Bisous bonne journée
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R
I feel heartache when I read this review. I have a great great great grandmother who was a Native American. It is tragic their story ending. HUGS
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M
Bonjour Manou,<br /> ta présentation m'a tant plu que j'ai téléchargé le bouquin illico... (ainsi que la notede Babelio).<br /> Bisous.<br /> Bon après-midi,<br /> Mo
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J
Bonne lecture et bon après midi<br /> Amitié<br /> Jossy
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V
quelle tristesse, mais tu donne quand même envie de le lire! gros bisous Manou. cathy
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A
Un livre que je veux lire depuis longtemps. Il est à la bibliothèque, mais il faut que je trouve le temps.
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C
Dire que je ne l'ai pas encore acheté : c'est vrai que je lis si peu. Cet auteur est québécois et il est un journaliste bien connu ici. Ton article m'incite à me le procurer : ça semble bouleversant. Bises et belle semaine !
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M
Tu en parles si bien et ce sujet me touche énormément, à lire même si je pense il y a des pages difficiles à encaisser !<br /> Bises Manou, merci
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