Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Mon monde n'est que silence. Pas un être ne se plaint, crie, grogne ou hurle sous la surface des eaux. Nous seuls, les êtres les plus grands, brisons parfois le silence...
A la surface, en revanche, la voix du vent est incessante, le choc des vagues, les cris des mouettes et des cormorans et parfois la voix de l'être le moins apte à vivre en mer.
L'homme.
D'un coquillage trouvé sur la plage, une voix se fait entendre, c'est celle de la baleine blanche (un cachalot). Elle sait de quoi elle parle, elle qui a pendant des décennies protégé les eaux entre la côte et l'île sacré des indiens Mapuches, les Lafkenches, qui vivent là tout près de la mer et que l'on surnomme pour cela, les Gens de la mer.
La baleine blanche nous raconte sa vie quotidienne. Se nourrir, dormir parfois seulement d'un oeil, se reproduire, protéger les petits après leur naissance et jusqu'à ce qu'ils soient autonomes. Elle a vécu longtemps et a beaucoup de choses à nous raconter même si elle a connu parfois la solitude, elle a aussi connu l'entraide, les appels de détresse des autres cétacés et beaucoup d'autres choses.
Mais ce qu'elle a tenu coûte que coûte à faire, c'est à remplir la mission secrète que lui avait confié une vieille baleine blanche, juste avant de mourir : protéger les morts des Gens de la mer lors de leur traversée sur l'île. Et le moment venu guider leurs âmes au-delà de l'horizon.
Mais au XIXe siècle, il est devenu difficile de remplir cette mission : des hommes viennent de plus en plus nombreux pour chasser la baleine. Arrive même sur les lieux un horrible capitaine, se sentant puissant sur son baleinier Essex (vous voyez de qui elle nous parle ?), un homme terriblement cruel qui ne voudra plus qu'une seule chose dans sa vie : attraper cette énorme baleine blanche qu'il va surnommer Mocha Dick car elle a mis ses hommes à la mer et sa fierté de capitaine avec...
La baleine blanche devra livrer une guerre terrible pour se défendre de la folie des hommes et ce que nous découvrons d'eux à travers son regard acéré, n'a vraiment rien de très réjouissant.
Tous les hommes ne sont pas comme les Gens de la mer.
Nous les baleines et les dauphins, nous avons entendu leurs voix inquiètes de la présence de plus en plus nombreuses d'autres hommes venus d'endroits lointains, des étrangers qui prennent dans le bois, la terre et la mer tout ce qu'ils veulent, sans demander avant et sans aucun signe de gratitude.
Les baleiniers appartiennent à cette espèce d'hommes venus du monde de l'ingratitude et de la convoitise.
J'ai trouvé cette fable écologique animalière vraiment émouvante ainsi énoncée du point de vue de la baleine blanche qui porte, vous vous en doutez, un regard sans concession sur le monde des hommes. Elle est racontée en quatorze chapitres courts ce qui la rend facile à lire, mais malgré les apparences, ce livre ne s'adresse pas du tout aux jeunes enfants car il est très engagé au point de vue social et politique. Je l'ai d'ailleurs emprunté dans le rayon adulte de ma médiathèque.
Pour comprendre l'histoire, le vocabulaire, tout comme le message véhiculé dans ses pages, il faut être à mon avis un grand ado et c'est, à mon avis à cet âge, une lecture à partager en famille pour en débattre.
J'ai trouvé très intéressante la découverte des Lafkenche, ce peuple du bout du monde qui vit en Patagonie et continue à perpétuer les traditions apprises de leurs ancêtres. Je ne connaissais pas cette légende amérindienne des "trempulwake" dont l'auteur relate l'histoire : Quatre baleines blanches doivent porter vers l'au-delà après leur mort, les hommes du peuple Lafkenche, un peuple qui a toujours vécu près de la mer et dans le respect de ce qu'elle leur a donné.
Luis Sepulveda est un auteur d'origine chilienne.
Il a toujours trouvé important de nous faire connaître son pays natal à travers son œuvre. De plus, il adore la mer et la connait de manière intime car il a été mousse sur un baleinier, puis il a sillonné les mers pour Greenpeace, dans les années 1980, ce que je l'avoue, j'avais oublié.
J'aime l'écriture poétique de l'auteur, une écriture forte qui nous touche en plein cœur. Protéger l'environnement est plus que jamais d'actualité et protéger les Cétacés aussi quand on pense que certains pays les chassent encore.
L'auteur débute l'histoire en évoquant un cachalot échoué sur une plage. Nous savons tous que lorsque c'est le cas, ils sont rarement morts de mort naturelle. L'ingurgitation de plastique peut en être la cause et cela nous concerne directement, remet en question nos modes de vie au quotidien, et les décisions prises par nos dirigeants politiques.
Enfin, c'est la mer qui prend la parole dans le dernier chapitre...et nous livre un message émouvant.
Bravo à Anne Marie Métailié, la traductrice, qui a su préserver la beauté des mots...le lecteur entend le chant des baleines, nage dans l'océan avec la baleine blanche, découvre ce peuple magnifique que l'on surnomme "les Gens de la mer"...
Les illustrations de Joëlle Jolivet, tout en noir et blanc sont très belles. Mais j'ai lu sur le net que celles de l'édition en VO l'étaient plus encore.
Enfin, dans ces pages, vous l'aurez compris l'auteur fait référence à l'histoire vraie qui a inspiré Herman Melville pour son célèbre récit d'aventure maritime, "Moby Dick" que j'ai présenté ICI et ICI en BD l'année dernière.
La lecture de ce livre me permet de participer à deux challenges tout d'abord le Printemps Latino organisé par "Je lis, je blogue" qui se termine bientôt avec le printemps et que j'ai décidé de consacrer entièrement à Luis Sepulveda au lieu de me disperser, et Le Book Trip en mer 2025 organisé par Fanja, auquel j'avais avec grand plaisir participé l'année dernière.
Bon weekend de Pentecôte à tous, je vous retrouve pour ma part seulement... mardi !
Dans cette rencontre en mer, le comportement des hommes me parut très étrange. La minuscule sardine n’attaque pas une autre sardine, la lente tortue n’attaque pas une autre tortue, le requin vorace n’attaque pas un autre requin. Il semble que les hommes sont la seule espèce qui attaque ses semblables, et je n’ai pas aimé ce que j’ai appris d’eux.