Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
L'enfant savait que rien ne viendrait mettre Liouba Popov dans le rang, et elle aurait pu signer des lois, des décrets ou des armistices, jamais les autres, grands ou petits, puissants ou ordinaires, ne la considéreraient comme des leurs. Elle venait d'ailleurs. Tôt ou tard on le lui rappellerait.
Cela fait longtemps que je voulais découvrir d'autres romans de Véronique Olmi dont j'avais apprécié la plume dans Bakhita, présenté ICI sur mon blog (Prix du roman FNAC en 2017) et, "Nous étions faits pour être heureux", présenté ICI sur mon blog.
Je poursuis donc la découverte de son œuvre. J'ai eu du plaisir à retrouver la plume de l'auteur, réaliste mais toute en pudeur et pleine de tendresse pour ses personnages, même si je trouve ce roman un peu en dessous des deux précédents cités.
Enzo s'assit sous le préau. Il fallait qu'il trouve le moyen d'exister dans ce monde à moitié disparu, pour rapporter à sa mère des bulletins exemplaires qui la récompenseraient de tout le mal qu'elle se donnait pour faire de son fils un enfant parfait, et d'elle, par ricochet, une mère parfaite. Il était son miroir. Il était son reflet.
Voilà un beau roman sur l'amour maternel mais aussi sur le thème de la précarité et de ses conséquences, une situation vécue par beaucoup de femmes qui élèvent seules leurs enfants. Je ne pouvais pas passer ce thème sous silence cette semaine.
Ce roman retrace la vie d'Enzo, un jeune adolescent et de Liouba, sa mère. Ils vivent tous deux dans une seule chambre d'un appartement chic de la rue de Rivoli. La mère d'origine russe, est employée au black par de riches propriétaires, toujours en voyage, qui collectionnent les objets d'arts récoltés ici ou là, pour les revendre ensuite.
Elle est très jeune puisqu'elle n'a pas 30 ans, elle a eu son fils alors qu'elle était une toute jeune fille de 17 ans. Elle n'a jamais voulu ni lui parler de son père, ni de ses origines russes ou de celles italiennes de son prénom. Il sait tout simplement qu'elle a vécu à la campagne dans la Creuse et qu'elle a de temps en temps un copain qu'elle ramène le samedi soir à la maison, espérant que les patrons ne choisiront pas ce soir-là pour débarquer de leur voyage, à l'improviste, comme ils le font souvent en pleine nuit.
Enzo fréquente le collège chic du quartier. Il est rejeté par ses camarades parce qu'il est différent, trop gros, mal habillé, toujours vêtu de noir (parce que sa mère pense que ça le mincit), qu'il a des tennis à bas prix, quand les autres adolescents portent tous des marques. De plus, vu son nom, il est étranger et en plus, fils de femme de ménage...
Il n'en faut pas davantage pour qu'Enzo finisse par devenir le bouc émissaire de ses camarades. Le retour en classe tous les matins le plonge dans l'angoisse.
C'est un enfant silencieux qui ne se sent jamais à sa place, ni dans l'appartement trop spacieux qui n'est pas "chez eux", ni dans ce collège trop huppé où personne ne le comprend. Il accepte les punitions de ses professeurs et les remontrances du principal qui lui demande de faire tous les efforts possibles pour s'intégrer et de ne pas laisser passer sa chance d'être admis dans son établissement prestigieux.
En parallèle, Enzo qui veut ménager sa mère, signe les mots à sa place et lui envoie de faux mails pour justifier sa désertion d'un cours, prétextant l'absence d'un professeur. Pourtant, c'est un ado intelligent, en avance pour son âge physiquement mais aussi intellectuellement. Il aime lire ce qui lui permet de fuir dans l'imaginaire sa triste vie quotidienne.
Enzo aimerait savoir d'où il vient, pourquoi sa mère a accepté ce travail humiliant, et surtout, qui était son père. Dans le placard-chambre où il décide de s'installer en ayant assez de partager son intimité avec sa mère, il a une nuit des visions, un soldat tente de lui parler, de l'attirer vers le passé...c'est un membre de sa famille, il en est certain.
Mais un jour sa vie bascule, il est coincé dans une cave par un groupe d'élèves, agressé et torturé. Stimulés par le groupe, ils vont filmer les horreurs qu'ils lui infligent...
Enzo les voit comme ils ne se verront jamais. Et comme ils sont pourtant. Ce moment de torture, ils le partagent bien plus qu'ils ne le croient, chacun d'eux en souffrira, et pour toujours. Cela surgira un jour, une minute, une seconde peut-être, mais cela sera...
Mon avis
C'est un roman sensible et marquant sur l'amour maternel. L'amour entre Enzo et sa mère transparait à chaque page. Loubia est touchante car toute jeune et maladroite. Elle apprend son métier de mère au fur et à mesure, aurait besoin d'un peu de légèreté dans sa vie mais n'y arrive pas. Elle aussi est exclue du monde qui l'entoure. Sa solitude est terrible et elle n'arrive pas à aider son fils à sortir de la sienne. Tous ses actes et ressentis sont ambivalents : elle aime son fils, mais il l'encombre ; elle trouve qu'il mange trop, mais lui achète des sucreries et des gâteaux.
C'est un livre éprouvant tant la détresse de ce jeune adolescent est forte. L'auteur nous décrit parfaitement le passage du harcèlement à la violence et le silence des adultes qui ne voient rien ou ne veulent pas voir. Le roman débute pourtant tranquillement, il ne se passe pas grand chose et puis peu à peu le lecteur fait connaissance avec les personnages, s'étonne de leur humanité, découvre le poids du passé. Ces deux-là sont un peu perdus, hors du monde, on a envie de les protéger, de leur tendre la main.
Le quartier ne se prête pas à la tolérance. L'auteur décrit avec réalisme les différences de classes sociales et ce qu'elles impliquent pour les enfants mais aussi pour leurs parents, là une mère isolée, qui élève seule son enfant et ne peut pas agir, car en situation précaire. Jeune femme exploitée par des patrons peu scrupuleux, comme tant de femmes en situation irrégulière, elle a du mal à se défendre et à défendre son fils face à la violence de notre monde d'aujourd'hui. Elle-même n'a pas eu le temps de vivre son adolescence, ce qui la rend particulièrement fragile et vulnérable.
La fin ouvre des possibles et l'espoir d'une vie meilleure pour tous les deux.