Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Est-ce que les lieux existent encore quand on les a quittés ?
Elle ne sait pas comment elle s'appelle. Elle ne sait pas en quelle langue sont ses rêves. Elle se souvient de mots en arabe, en turc, en italien, et elle parle quelques dialectes. Plusieurs viennent du Soudan et un autre, de Vénétie.
...
Mais son nom elle ne l'a jamais retrouvé. Elle n'a jamais su comment elle s'appelait. Mais le plus important n'est pas là. Car qui elle était, enfant, quand elle portait le nom donné par son père, elle ne l'a pas oublié. Elle garde en elle, comme un hommage à l'enfance, la petite qu'elle fut. Cette enfant qui aurait dû mourir dans l'esclavage a survécu, cette enfant était et reste ce que personne jamais n'a réussi à lui prendre.
Nous sommes en 1876...au Soudan.
Bakhita est une petite fille qui vit tranquillement auprès de sa famille dans son village natal du Darfour. Elle partage ses jeux avec sa sœur jumelle. Elle a 5 ans quand des hommes arrivent et mettent le feu au village : ce sont des esclavagistes. Ils s'emparent de Kishmet, sa sœur aînée. Elle ne la reverra jamais.
La petite fille n'a que 7 ans quand elle est enlevée à son tour à sa famille...et emmenée toujours plus loin. Elle doit traverser à pied des kilomètres et des kilomètres de désert. Elle a faim et elle a peur.
Elle sera vendue à cinq reprises et violée. Elle ne connaîtra d'ailleurs des hommes, que cette violence gratuite, cette cruauté quotidienne et l'enfermement. Ses ravisseurs musulmans la surnomment "Bakhita" (la chanceuse) car elle est si traumatisée qu'elle ne se souvient plus de son nom.
Bakhita...un nom prédestiné.
Ce qui la fait tenir c'est une force intérieure incommensurable, l'espoir de pouvoir revoir un jour sa sœur aînée, sa jumelle et sa mère...
Cette enfant innocente qui est au fond d'elle-même et qu'elle ne veut pas voir mourir et disparaître à jamais, la garde en vie, envers et contre tout.
C'est alors que son destin bascule : elle est rachetée à l'adolescence par le Consul d'Italie à Khartoun qui, à sa demande, l'emmène jusqu'en Italie. Elle découvre là-bas un pays pauvre et inégalitaire, où les enfants souffrent aussi.
Parce qu'elle est différente, tout le monde la craint. On n'a jamais vu de personne de couleur et on a peur d'elle, peur qu'elle salisse ceux qui la touchent : elle incarne le diable !
Mais Bakhita surmonte ce rejet, car elle découvre là-bas une nouvelle famille aimante et attentive. C'est la famille de Stefano, le régisseur du domaine de ses maîtres. Il veut l'adopter, s'occupe d'elle, l'entoure de son affection, l'accueille comme si elle appartenait à sa famille. Elle retrouve chez lui l'amour qui lui manque tant et des frères et sœurs de cœur.
Il décide de lui offrir une éducation à Venise, chez les sœurs canossiennes...
Toute sa vie, jusqu'au bout de sa vie, quand elle entendra un enfant pleurer, elle croira qu'il est dans les bras de sa mère. Même quand sa mère n'aura plus l'âge d'être mère. Et puis plus l'âge d'être en vie...
Il était temps que je lise enfin ce roman dont on a tant parlé à la rentrée littéraire 2017...
C'est un roman dur mais inoubliable. Les mots sont incisifs, les phrases courtes sans superflu. On avance avec Bakhita dans le désert sans savoir de quoi demain sera fait. Comme elle, l'inconnu nous angoisse...
Ce roman, au-delà de l'histoire de cette petite fille puis de cette femme courageuse et extraordinaire, est une façon intelligente de se plonger dans un état des lieux de l'esclavage à la fin du XIXe siècle.
Toute cette cruauté des blancs envers les noirs, jugés inférieurs en tout, cette violence envers de tous petits enfants filles ou garçons...Quand on pense que ce sont les gens des mêmes tribus qui pour s'enrichir ont dévoilé l'emplacement des villages aux esclavagistes, c'est révoltant...
Bien sûr tout cela on le savait déjà ! Mais cela ne fait pas du tout le même effet de le lire à travers l'histoire de Bakhita, une histoire romancée mais inspirée d'une histoire vraie.
En effet, ce roman s'inspire de la vie de la véritable Joséphine Bakhita née à Olgossa dans la province du Darfour en 1869, une ancienne esclave devenue religieuse canossienne. Une femme exceptionnelle qui après avoir connu l'esclavage dans son enfance, va devenir une simple domestique en Italie, puis une religieuse, avant de devenir une sainte...
Vous pouvez lire sa biographie complète ICI
Par milliers, et pendant des années, ils viennent. Par groupes. Par écoles. Par universités. Des enfants malades. Des pèlerins. Ils viennent l'écouter, et surtout, la voir. Dans des églises, des théâtres, des écoles. Au couvent de Castenedolo, des hommes qui ne sont jamais rentrés dans une église lui baisent les mains et s'en retournent en pleurs...
La plume de Véronique Olmi est incroyablement pudique pour nous décrire l'indicible. Elle sait nous faire entrer dans cette terrible histoire et nous aider à franchir avec la petite fille les différentes étapes de son incroyable vie. Nous sommes si proches d'elle que nous nous révoltons de ses souffrances et de la cruauté de ses maîtres...
Ce qui nous fascine c'est sa personnalité exceptionnelle.
Au fond elle ne sera jamais véritablement soumise car elle garde en elle une certaine innocence, celle de cette enfant emplie de souvenir et d'amour, telle qu'elle était dans sa tribu entourée d'une famille aimante et vivant en liberté. Cet espoir de retrouver un jour les siens et cette volonté de rester intègre quoi qu'il arrive, cette force intérieure qui l'anime, sont une remarquable leçon d'humanité pour nous qui nous plaignons sans cesse de notre quotidien...
Bakhita a tenu la promesse qu'elle avait faite à la petite Binah qui lui a été arrachée "je ne lâche pas ta main" et elle ne lâchera jamais celle des plus démunis...
Je vous invite à aller lire l'avis de Eve sur son blog...
« Bakhita » de Véronique Olmi
Encore un livre de cette rentrée littéraire 2017 qui a reçu le prix FNAC et qui aurait mérité d'autres récompenses: Quatrième de couverture Elle a été enlevée à sept ans dans son village...
https://leslivresdeve.wordpress.com/2017/12/11/bakhita-de-veronique-olmi/