Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
"C'est biologique, c'est tout", s'était dit Anna...
La maternité était une ruse, une stratégie hormonale destinée à assurer la survie des petits "Homo sapiens" jusqu'à ce qu'ils puissent à leur tour se reproduire. Les mères étaient des outils, les bonnes âmes de la Nature...
Avec une férocité qui l'avait presque effrayée, elle s'était dit : "Je ne serai jamais comme ça."
Ce roman nous raconte la vie de deux femmes de milieux sociaux totalement différents qui se retrouvent confrontées précocement à une grossesse non désirée.
Il y a d'abord Anna, 22 ans qui se destine à devenir photographe. Elle poursuit ses études à l'Université de Washington quand elle découvre qu'elle est enceinte. Paniquée au départ, elle va décider de se faire avorter, ce qu'elle ne vit pas à la légère pour autant. Ce n'est pas le bon moment pour elle et elle ne veut pas que son enfant ait pour père son partenaire actuel...mais cet événement la marquera pour toujours.
Dix ans après, elle est devenue une photographe talentueuse et enseigne à l'Université. Sa vie est stable avec Eliot, et elle se sent prête à découvrir les joies de la maternité. Dès sa naissance, Lucy la comble de joie et Anna en profite pleinement restant sourde aux remarques de Sally, sa soeur, qui a des problèmes avec son fils adolescent.
Mais quand une seconde grossesse se profile c'est plus compliqué. Elle est en pleine préparation d'une exposition photo à laquelle elle tient beaucoup, et elle ne peut pas exposer son futur bébé aux produits dangereux qu'elle utilise pour développer ses clichés. Or le couple a besoin de son travail car Eliot, qui faisait de la recherche autour des différents blés cultivés, perd son emploi. La famille doit déménager en Californie. Anna est désespérée de devoir vendre la maison où ils vivaient qui était celle de ses grands-parents. Ellen, leur seconde petite fille nait avec de grosses difficultés respiratoires...Anna va devoir revoir ses priorités et choisir encore une fois entre sa passion et sa fille.
Et puis, il y a Cerise qui vit en Californie, dont nous faisons la connaissance alors qu'elle est une toute jeune fille de 16 ans à peine, convoitée par un homme plus âgé dont elle ne saura pas se défendre. Mal aimé par une mère distante, elle se sent très seule. Elle va tomber enceinte très vite et décide de garder le bébé. Il faut dire aussi qu'elle manque d'informations et qu'elle est très influençable. Elle va suivre les conseils d'un couple très croyant qui fait partie d'un groupe anti-avortement qui ne lui laisse entrevoir que deux solutions, le garder ou le faire adopter. Mélody est une jolie petite fille que sa mère va élever seule tout en faisant des ménages dans une maison de retraite.
Nous retrouvons Cerise dix ans plus tard, alors que sa fille est devenue une préadolescente rebelle et donc difficile à vivre et surtout à comprendre. Cerise aura elle aussi un second bébé, Travis qu'elle va perdre dans des conditions violentes. C'est pour elle un drame insurmontable... auquel se greffe une précarité financière qui l'isole socialement de plus en plus. Heureusement, elle se souviendra des "samedis matin" et apparemment Mélody aussi ce que nous comprendrons à la fin du roman (mais je ne vous dirai rien de plus à ce sujet).
Toute leur vie, toutes deux vont tenter de faire du mieux possible avec ce qu'elles sont devenues et ce qu'elles ont autour d'elles.
Mais leur choix de jeunesse va déterminer le reste de leur vie, elles ne seront pas épargnées par les drames et les remises en question, car être mères, tout en restant femmes, avoir un avenir professionnel et choisir son destin n'a rien de facile...
Faire coïncider les sentiments avec des mots était terriblement difficile : c'était comme essayer de trouver les numéros gagnants au Loto, ou choisir la combinaison qui ouvrirait en grand la porte du monde.
- Je t'aimais, dit Cerise. Je veux dire, je t'aime. Tu m'as sauvé la vie. Je te l'ai déjà dit. Tu es la plus belle chose qui me soit arrivée. Mais je ne vais pas dire que ça a été facile.
J'ai emprunté ce roman par hasard car j'avais beaucoup aimé découvrir l'auteur avec "Dans la forêt", présenté ICI sur le blog.
Voilà un roman social qui a un côté universel car il nous parle avec pudeur et délicatesse de la maternité et de ce que cela change dans la vie des femmes qui ont choisi ou pas d'ailleurs, d'être mère. Il vient à peine (en 2021) d'être traduit en français alors qu'il est paru outre atlantique en 2004. C'est le second roman de l'autrice américaine et oserai-je dire qu'il n'a pas pris une ride tant ce roman parle d'un sujet qui reste et restera d'actualité. L'autrice explique dans une préface pourquoi elle a eu envie d'écrire ce livre.
Le roman s'ouvre sur la photo d'un arbre, une photo qui a été pliée en deux et un arbre sans doute en partie détruit par la foudre qui l'a littéralement coupé en deux, vous comprendrez pourquoi à la fin du livre mais vous vous doutez déjà que l'art, la photographie mais pas uniquement elle, est important dans ce livre.
Les voix d'Anna et Cerise se mêlent tout comme leurs destins. Elles semblaient au départ différentes car issues de deux mondes opposés socialement, intellectuellement et même affectivement. Pourtant au fil du roman, sans qu'elles ne se soient encore rencontrées, leurs vies semblent reliées : garder ou pas son enfant, tout abandonner pour suivre ou pas son ami ou mari, sacrifier sa passion, s'angoisser en voyant grandir son enfant.
L'autrice nous montre que la maternité choisie ou non, et tout ce qui tourne autour, comme élever des enfants ou décider de ne pas le faire, transforme pour toujours nos possibles. L'ambivalence des sentiments est bien mise en avant. Rien n'est simple et les contradictions ne peuvent que traverser l'esprit de toutes les mères. L'émerveillement est souvent gâché par la peur viscérale que demain apporte son lot de malheur. Mais l'autrice nous montre aussi que l'expérience de la maternité reste unique, et ne peut être vécue de la même manière par toutes les femmes...chacune a sa façon personnelle de l'appréhender, d'aimer son enfant, de le comprendre, de profiter des moments heureux ou de vivre les épreuves qui se profilent sur la route.
Ce n'est pas seulement un livre sur la maternité et ses conséquences. C'est un livre réaliste et pas du tout éloigné du monde réel puisque l'autrice dénonce entre les lignes, le système social américain (elle remercie tout de même au début du livre dans une phrase le président Biden qui a apporté quelques changements sur le plan social).
Elle montre très bien le peu d'aide financière que reçoit Cerise qui élève pourtant sa fille toute seule tout en travaillant. L'entraide n'existe pas et lorsque Cerise tombe plus bas encore, il ne lui reste que la rue et le foyer d'accueil pour trois mois. Personne n'est réellement là pour lui porter secours. Les passages sur la solitude et la précarité des sans-abris sont révoltants.
Il faut bien reconnaître que si j'ai éprouvé de l'empathie pour Anna et ce que elle et son mari doivent traverser, je ne suis pas arriver à la plaindre car tout de même pour eux tout se termine bien, même s'ils doivent hypothéquer leur maison à la première difficulté financière.
Ce que j'ai ressenti pour Cerise est différent. Son combat pour survivre est admirable, émouvant, nous avons envie de lui tendre la main.
J'ai beaucoup aimé la première moitié du livre qui sonne juste et entre avec délicatesse dans l'intimité de ces deux femmes.
Il y a quelques longueurs dans la seconde, quelques passages que j'ai trouvé moins crédibles, mais cela n'a pas suffi à m'éloigner des personnages car d'autres passages m'ont au contraire touchés en plein cœur.
Un roman émouvant à lire avec vos filles et une lecture à partager avec leur père...
...elle songea à l'intensité avec laquelle elle aimait ses filles ; elle ferait n'importe quoi pour elles, si seulement elle pouvait savoir ce qui était le mieux. Elle se souvint des actes héroïques que d'autres mères avaient accomplis pour leurs enfants...
Anna avait la certitude qu'elle donnerait, elle aussi, sa vie pour ses filles avec la même facilité qu'un flocon volette dans le vent, avec la même simplicité qu'un pétale tombe d'une rose. Dans une situation extrême, elle saurait exactement quoi faire et elle n'hésiterait pas. Mais mourir paraissait terriblement facile, limpide et évident, comparé à ce qu'on exigeait chaque jour d'une mère ordinaire.