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Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...

Apaiser nos tempêtes / Jean Hegland

Phébus, 2021

Phébus, 2021

"C'est biologique, c'est tout", s'était dit Anna...
La maternité était une ruse, une stratégie hormonale destinée à assurer la survie des petits "Homo sapiens" jusqu'à ce qu'ils puissent à leur tour se reproduire. Les mères étaient des outils, les bonnes âmes de la Nature...
Avec une férocité qui l'avait presque effrayée, elle s'était dit : "Je ne serai jamais comme ça."

Ce roman nous raconte la vie de deux femmes de milieux sociaux totalement différents qui se retrouvent confrontées précocement à une grossesse non désirée.

Il y a d'abord Anna, 22 ans qui se destine à devenir photographe. Elle poursuit ses études à l'Université de Washington quand elle découvre qu'elle est enceinte. Paniquée au départ, elle va décider de se faire avorter, ce qu'elle ne vit pas à la légère pour autant. Ce n'est pas le bon moment pour elle et elle ne veut pas que son enfant ait pour père son partenaire actuel...mais cet événement la marquera pour toujours. 

Dix ans après, elle est devenue une photographe talentueuse et enseigne à l'Université. Sa vie est stable avec Eliot, et elle se sent prête à découvrir les joies de la maternité. Dès sa naissance, Lucy la comble de joie et Anna en profite pleinement restant sourde aux remarques de Sally, sa soeur, qui a des problèmes avec son fils adolescent. 

Mais quand une seconde grossesse se profile c'est plus compliqué. Elle est en pleine préparation d'une exposition photo à laquelle elle tient beaucoup, et elle ne peut pas exposer son futur bébé aux produits dangereux qu'elle utilise pour développer ses clichés. Or le couple a besoin de son travail car Eliot, qui faisait de la recherche autour des différents blés cultivés, perd son emploi. La famille doit déménager en Californie. Anna est désespérée de devoir vendre la maison où ils vivaient qui était celle de ses grands-parents. Ellen, leur seconde petite fille nait avec de grosses difficultés respiratoires...Anna va devoir revoir ses priorités et choisir encore une fois entre sa passion et sa fille. 

Et puis, il y a Cerise qui vit en Californie, dont nous faisons la connaissance alors qu'elle est une toute jeune fille de 16 ans à peine,  convoitée par un homme plus âgé dont elle ne saura pas se défendre. Mal aimé par une mère distante, elle se sent très seule. Elle va tomber enceinte très vite et décide de garder le bébé. Il faut dire aussi qu'elle manque d'informations et qu'elle est très influençable. Elle va suivre les conseils  d'un couple très croyant qui fait partie d'un groupe anti-avortement qui ne lui laisse entrevoir que deux solutions, le garder ou le faire adopter.  Mélody est une jolie petite fille que sa mère va élever seule tout en faisant des ménages dans une maison de retraite.

Nous retrouvons Cerise dix ans plus tard, alors que sa fille est devenue une préadolescente rebelle et donc difficile à vivre et surtout à comprendre.  Cerise aura elle aussi un second bébé, Travis qu'elle va perdre dans des conditions violentes. C'est pour elle  un drame insurmontable... auquel se greffe une précarité financière qui l'isole socialement de plus en plus. Heureusement, elle se souviendra des "samedis matin" et apparemment Mélody aussi ce que nous comprendrons à la fin du roman (mais je ne vous dirai rien de plus à ce sujet). 

Toute leur vie, toutes deux vont tenter de faire du mieux possible avec ce qu'elles sont devenues et ce qu'elles ont autour d'elles. 

Mais leur choix de jeunesse va déterminer le reste de leur vie, elles ne seront pas épargnées par les drames et les remises en question, car être mères, tout en restant femmes, avoir un avenir professionnel et choisir son destin n'a rien de facile...

Faire coïncider les sentiments avec des mots était terriblement difficile : c'était comme essayer de trouver les numéros gagnants au Loto, ou choisir la combinaison qui ouvrirait en grand la porte du monde.
- Je t'aimais, dit Cerise. Je veux dire, je t'aime. Tu m'as sauvé la vie. Je te l'ai déjà dit. Tu es la plus belle chose qui me soit arrivée. Mais je ne vais pas dire que ça a été facile.

J'ai emprunté ce roman par hasard car j'avais beaucoup aimé découvrir l'auteur avec "Dans la forêt", présenté ICI sur le blog.

Voilà un roman social qui a un côté universel car il nous parle avec pudeur et délicatesse de la maternité et de ce que cela change dans la vie des femmes qui ont choisi ou pas d'ailleurs, d'être mère. Il vient à peine (en 2021) d'être traduit en français alors qu'il est paru outre atlantique en 2004. C'est le second roman de l'autrice américaine et oserai-je dire qu'il n'a pas pris une ride tant ce roman parle d'un sujet qui reste et restera d'actualité. L'autrice explique dans une préface pourquoi elle a eu envie d'écrire ce livre.

Le roman s'ouvre sur la photo d'un arbre, une photo qui a été pliée en deux et un arbre sans doute en partie détruit par la foudre qui l'a littéralement coupé en deux, vous comprendrez pourquoi à la fin du livre mais vous vous doutez déjà que l'art, la photographie mais pas uniquement elle, est important dans ce livre. 

Les voix d'Anna et Cerise se mêlent tout comme leurs destins. Elles semblaient au départ différentes car issues de deux mondes opposés socialement, intellectuellement et même affectivement. Pourtant au fil du roman, sans qu'elles ne se soient encore rencontrées, leurs vies semblent reliées : garder ou pas son enfant, tout abandonner pour suivre ou pas son ami ou mari, sacrifier sa passion, s'angoisser en voyant grandir son enfant.

L'autrice nous montre que la maternité choisie ou non, et tout ce qui tourne autour, comme élever des enfants ou décider de ne pas le faire, transforme pour toujours nos possibles. L'ambivalence des sentiments est bien mise en avant. Rien n'est simple et les contradictions ne peuvent que traverser l'esprit de toutes les mères. L'émerveillement est souvent gâché par la peur viscérale que demain apporte son lot de malheur. Mais l'autrice nous montre aussi que l'expérience de la maternité reste unique, et ne peut être vécue de la même manière par toutes les femmes...chacune a sa façon personnelle de l'appréhender, d'aimer son enfant, de le comprendre, de profiter des moments heureux ou de vivre les épreuves qui se profilent sur la route. 

Ce n'est pas seulement un livre sur la maternité et ses conséquences.  C'est un livre réaliste et pas du tout éloigné du monde réel puisque l'autrice dénonce entre les lignes, le système social américain (elle remercie tout de même au début du livre dans une phrase le président Biden qui a apporté quelques changements sur le plan social).

Elle montre très bien le peu d'aide financière que reçoit Cerise qui élève pourtant sa fille toute seule tout en travaillant. L'entraide n'existe pas et lorsque Cerise tombe plus bas encore, il ne lui reste que la rue et le foyer d'accueil pour trois mois. Personne n'est réellement là pour lui porter secours. Les passages sur la solitude et la précarité des sans-abris sont révoltants.

Il faut bien reconnaître que si j'ai éprouvé de l'empathie pour Anna et ce que elle et son mari doivent traverser, je ne suis pas arriver à la plaindre car tout de même pour eux tout se termine bien, même s'ils doivent hypothéquer leur maison à la première difficulté financière. 

Ce que j'ai ressenti pour Cerise est différent.  Son combat pour survivre est admirable, émouvant, nous avons envie de lui tendre la main.

J'ai beaucoup aimé la première moitié du livre qui sonne juste et entre avec délicatesse dans l'intimité de ces deux femmes.

Il y a quelques longueurs dans la seconde, quelques passages que j'ai trouvé moins crédibles, mais cela n'a pas suffi à m'éloigner des personnages car d'autres passages m'ont au contraire touchés en plein cœur.

Un roman émouvant à lire avec vos filles et une lecture à partager avec leur père...

...elle songea à l'intensité avec laquelle elle aimait ses filles ; elle ferait n'importe quoi pour elles, si seulement elle pouvait savoir ce qui était le mieux. Elle se souvint des actes héroïques que d'autres mères avaient accomplis pour leurs enfants...
Anna avait la certitude qu'elle donnerait, elle aussi, sa vie pour ses filles avec la même facilité qu'un flocon volette dans le vent, avec la même simplicité qu'un pétale tombe d'une rose. Dans une situation extrême, elle saurait exactement quoi faire et elle n'hésiterait pas. Mais mourir paraissait terriblement facile, limpide et évident, comparé à ce qu'on exigeait chaque jour d'une mère ordinaire.

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R
Bonjour Manou, j'ai beaucoup apprécié ton analyse du roman "Apaiser nos tempêtes" de Jean Hegland la comparaison des vies d'Anna et Cerise met en lumière les défis et sacrifices liés à la maternité votre empathie pour les personnages et ta compréhension des enjeux sociaux sont touchantes, bon weekend, bisous.
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G
j'ai ce titre dans ma PAL audio, donc je pense le lire relativement prochainement. Mais comme mon "retour à la lecture" est encore bien fragile et aléatoire, je choisis pour l'instant des titres assez courts. Mais j'ai tellement aimé "dans la forêt", que forcément, celui-ci passera "à la casserole" !
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M
Un sujet intéressant, merci pour ton analyse...
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L
Un roman qui me plairait sûrement mais je crains d'être gênée par l'alternance des deux voix. <br /> On voit dans l'actualité que la condition de la femme dans certains pays n'a pas vraiment évolué depuis 20 ans. Je pense qu'en France, on peut se sentir chanceuse.<br /> <br /> Bon début de semaine.<br /> Bisous<br /> Lavandine
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T
J'ignorais tout du sujet de ce roman, merci pour ta présentation, Manou. Il y a tant de facteurs qui interviennent dans le choix d'être ou de ne pas être mère (ou père) qu'il est difficile d'ailleurs de le désigner simplement comme une volonté ou un refus. Ce que vivent ces personnages en témoigne.
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F
Bonjour, je ne connais pas, et je pense que tu devines que ce n'est pas ma lecture préférée, aucun des quatre derniers que tu présentes !! je te souhaite une bonne journée, bisous
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D
un beau sujet<br /> j'ai lu le premier roman traduit de l'autrice est c'est un très bon souvenir
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F
Quand on lit ta présentation et analyse de cette lecture, il apparaît que cette force d'amour maternel, ces combats contre le sort lié à la maternité, les choix à faire dans l'urgence parfois, ces projets de vie écrasés par l'arrivée d'un enfant, sont bien les vecteurs de ces tempêtes à apaiser... Certes ce sujet de la maternité et de ses conséquences, ces choix ou acceptation d'être mère, cela parle aux femmes, ici les lectrices, mais je pense, ayant bien lu attentivement ton analyse, que cela devrait intéresser les hommes et déjà les informer, ou plutôt les éclairer sur ce qu'éprouvent les femmes confrontées au dilemme entre projet de vie et venu d'un enfant qu'il faudra élever et avant cela aimer.... Et, socialement, toutes les femmes ne connaissent pas le même sort pour faire le bon et juste choix, sinon se résigner. <br /> Voilà qui entre dans la liste de mes prochaines lectures. Merci pour tous ces aspects relevés analysés et présentés dans ta critique, incitant à en savoir plus mais aussi à comprendre.<br /> Amitiés.
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A
J'ai encore un livre d'elle à lirre dans ma bibliothèque. Je l'apprécie. Bises
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C
j'avoue que je ne connais pas du tout, merci pour ton ressenti, mais pour le moment pas le temps de lire, trop occupée. bises.celine
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F
Il me reste encore à découvrir Dans la forêt de cette fameuse Jean Hegland que je dois être une des rares à n'avoir toujours pas lu, ensuite je verrai pour ses romans suivants.:)
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P
Plutôt pour un lectorat féminin, je pense...
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M
Je pense que tout ce qui concerne les femmes concerne les hommes surtout quand il s'agit de maternité :)
M
Bonsoir Manou <br /> En vieillissant... les tempêtes s'apaisent, on pardonne mieux, à son père..... à son fils !!! on accepte davantage que la feuille de papier soit froissée................. on essaie même plus de la rendre toute nette A quoi bon !!! <br /> passes un doux week end<br /> plein de bisous<br /> Moune
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M
Tu as tout à fait compris le titre (et donc le thème) de ce livre, il s'agit exactement de pardon mais je ne voulais pas révéler trop de chose à ce sujet...et aussi de se pardonner à soi même ses erreurs. Bisous
M
je suis en retard, pour cette réponse tardive, passe d'oreiller, c'est tellement rare pour moi que j'en suis encore toute retournée.....je te souhaite une bonne fin de journée
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B
Deux tranches de vie qui font réfléchir.
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A
Pour l'instant j'hésite devant la suite de "Dans la forêt" (peur d'être déçue). Je lirai peut-être celui-ci, mais sans urgence.
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M
Comme toi je n'ai pas encore tenté de lire la suite de "Dans la forêt" je laisse passer un peu de temps, par peur comme toi d'être déçue :)
J
Un bisou ici à ma "dévoreuse de livre". Ce n'est surtout pas un reproche, mais un sentiment admiratif. Je ne prends pas le temps de lire autant que toi. Saine occupation.<br /> Bonne fin d'après midi Manou
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C
bonjour<br /> avec un jour d'avance il illustre bien la condition féminine, du moins en partie<br /> bon weekend
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M
Le samedi je ne publie pas alors il fallait bien que je trouve un créneau, c'était soit avant soit après, j'ai choisi avant ! Bisous et bon weekend
L
Tu en parles très bien. Bisous
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I
j'ignorais qu'il avait paru aux Etats-Unis il y a 20 ans ! J'ai moi aussi adoré Dans la forêt, au point de n'avoir pas relu l'auteure depuis, de crainte d'être déçue, mais j'ai vu que son dernier titre paru en France était très bien accueilli, et qu'il était une sorte de "suite" à Dans la forêt... je suis donc intriguée !
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M
Je lirai cette suite mais je laisse passer un peu de temps. Celui-ci est différent et je l'ai trouvé un peu en dessous que "Dans les forêts" mais le thème est traité d'une manière intéressante et elle a toujours autant de tendresse pour ses personnages...