Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Quand je suis fatiguée d'ici, des gens et des choses d'ici, c'est là-bas que je retourne. À la maison. Cette maison qui n'existe pas, qui n'existe plus. Cette maison qui ne m'a jamais appartenu. Mais qui est si profondément mienne qu'elle est la seule de toutes les maisons où j'ai vécu à travers laquelle je pourrais encore me promener les yeux fermés.
C'est un jeu, délicieux et cruel : les véritables jeux ne le sont-ils pas ?
Terminons cette semaine de lecture autour de la Seconde Guerre mondiale, avec un roman plus doux et léger, malgré le contexte.
Nous sommes en été 1943. La petite Marie, âgée de quatre ans à peine, est confiée pour quelques temps à une vieille tante, Mathilde, et à des amis de confiance, Gabrielle et Albert son mari, qui partagent une maison perdue à la campagne, entourée d'un grand parc. C'est la guerre et Marie par sa mère est juive ce qu'elle ne sait pas et ne comprend pas encore. Son père dont elle ne se souvient pas, est prisonnier de guerre quelque part en Allemagne et personne n'a de ses nouvelles.
Vera, sa mère en la déposant ce jour d'été, ne lui explique rien. Les nombreuses questions de la petite Marie, restent donc sans réponses. Sa mère est actrice et a de plus en plus de mal à trouver du travail, lui dit-on. Elle n'a pas le temps de venir la voir ou alors lui fait une visite éclair un après-midi à peine, sans forcément prévenir, ce qui est d'autant plus frustrant pour la petite fille qui l'attend depuis de longs jours. Tout cela pour la protéger...ce que la petite Marie ne sait pas et ne comprend pas.
La maison est inquiétante pour un si jeune enfant, et beaucoup trop silencieuse... Heureusement, il y a aussi les jeux, le parc, les fleurs et tout ce qui enchante la petite fille qui ne connaissait que la ville. La maison et son parc deviennent alors une sorte de refuge, le siège de toutes les émotions et de tous les possibles. Elle la surnomme, "la maison-guerre" (d'où le titre du roman).
Le temps passe, la petite Marie attend le courrier qui désormais se fait de plus en plus rare...puis devient inexistant. "C'est à cause de la guerre" lui dit-on, mais le lecteur devine pourquoi. Sa maman a été arrêtée puis déportée. Elle ne reviendra pas.
Des années après, alors que Marie devenue adulte, passe dans le coin, elle s'arrête pour redécouvrir cette maison qui a marqué sa petite enfance. Tout a changé et elle ne reconnait plus rien...
Ton père est arrivé un samedi matin d'octobre. Tu n'y pensais presque plus, à l'arrivée de ce père fantôme...
"Ma toute petite, il a dit, exactement comme Véra aurait pu le faire, ma toute petite, enfin !" Et il te serrait fort contre lui, toi la sauvage, blottie sur ses genoux comme une très petite, une très petite qui s'est mise enfin à pleurer, le visage enfoui contre sa veste...
C'est un roman qui est présenté par l'auteur comme le serait un témoignage. Cette petite fille perdue au milieu de personnes âgées qui ne savent pas lui expliquer la réalité, tout en l'entourant d'attention et d'une tendresse distante, car ils veulent avant tout la protéger, est très attachante et bien seule sans sa maman.
Le récit de sa vie quotidienne, de son ressenti, de ses attentes vaines et de son besoin d'amour et de tendresse, est tout à fait bouleversant. Devenue adulte, elle restera à jamais marquée par cette maison, par le manque d'amour, et tout ce qu'elle a vécu là-bas.
Le ton sonne juste, l'histoire est émouvante et les personnages bien présents et bien réels. L'auteur a une plume d'une grande sensibilité et la petite Marie par la façon dont elle raconte son histoire, aurait pu être l'auteur, mais ce n'est pas le cas même si elle porte le même prénom.
J'ai aimé la manière dont Marie devenue adulte s'adresse à la petite fille qu'elle était en employant le "tu". Elle regarde cette petite fille qu'elle n'est plus, avec une grande tendresse, tout en décrivant cette année-là.
Ces souvenirs, encore intacts, décrivent aussi l'enfance de nombreux autres enfants qui pendant la guerre, ont été séparés de leur famille, ont vécu dans les non-dits et les secrets. Même si cela leur a permis de rester en vie, ces enfants ont connu bien trop tôt la solitude et le manque d'affection liés à l'absence de leurs parents.
Impossible de lâcher ce roman quand on en débute sa lecture. Le lecteur ressent les émotions de la petite fille, grandit avec elle, comprend par intuition les choses qu'on ne lui dit pas, grâce aux soupirs, aux regards, et à la manière dont les adultes s'empressent de changer de sujet, pour passer à autre chose de plus léger et surtout ne rien révéler de l'inacceptable.
Ce n'est pourtant pas un livre triste. La petite Marie nous permet de renouer avec l'insouciance de l'enfance, les bonheurs et les jeux simples, la nature...avec elle, la guerre semble bien loin.
Un roman à découvrir !
De cet auteur j'ai déjà présenté sur le blog :
- La femme de l'allemand, présenté ICI.
Je repousse derrière moi le vantail rétif enchevêtré de feuillage... Il se referme avec ce claquement familier qui dit l'arrivée, le monde extérieur écarté... J'entre. Un coup d'oeil à la boîte à lettres dans laquelle une petite ouverture permet d'apercevoir le courrier...
Chaque matin tu venais dans l'anxiété voir si ta mère avait écrit, si apparaissait l'enveloppe bleue et l'écriture tremblée aux grands jambages que déjà, à quatre ans, tu savais reconnaître. Souvent, il n'y avait que les journaux, le vilain Rustica d'oncle Albert, son triste Figaro ; Modes et Travaux pour tante Gabrielle et, pour la très vieille dame, qui ne pouvait plus guère le lire, L'Aurore, que tu apportais fièrement et sans te tromper à leurs destinataires. Pour tante Mathilde, parfois, Les Nouvelles littéraires.
"Vois-tu ma chérie, m'avait-elle dit en arrangeant doucement quelque chose dans mes cheveux en désordre, l'âme d'une maison, ce sont les souvenirs de ceux qui ont vécu là, de ceux qui y vivent et qui apportent parfois le souvenir d'autres maisons. Il arrive parfois que tout cela parle, que les souvenirs et les vies se mêlent, chuchotent..."