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Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...

Un jour par la forêt / Marie Sizun

Un jour par la forêt / Marie Sizun

J'avais beaucoup aimé "La femme de l'allemand", je n'ai donc pas hésité à emprunter à la médiathèque celui-là même si ce n'est pas une nouveauté...un bon roman le restera pour longtemps, même loin du feu médiatique !

 

L'histoire

 

La petite Sabine est en 5° dans un collège, enfin plutôt un lycée huppé, en tous cas "élitiste".

Pourtant sa famille est différente : son père est "divorcé" comme elle aime l'écrire sur ses fiches de rentrée, c'est-à-dire qu'il est parti s'installer avec une autre femme, après moultes disputes et scènes de violence.

Sa mère fait des ménages pour subsister. Sabine a honte de sa mère, de son langage, de son métier mais aussi de son allure car elle se laisse aller, se coiffe et s'habille mal, a pris du poids...

 

Et en plus, Sabine habite "rue Bakounine" derrière le périphérique alors que ses camarades de classe sont tous nés dans des milieux favorisés. A-t-elle vraiment sa place dans cet établissement scolaire ? En tous cas elle ne la trouve pas...et n'a pas réussi à se faire des amis.

Sabine ne veut pas qu'on voit sa mère avec elle, au collège. Tout le monde, y compris ses camarades de classe, comprendraient aussitôt sa vie.

 

Aussi, lorsque suite à une remarque de son professeur de français, à laquelle Sabine a répondu "avec insolence", la mère est convoquée au collège. La petite est catastrophée : elle n'en dort pas de la nuit...

Elle qui s'évade en rêvant et qui est capable de partir "si loin à partir d’un objet, d’une lumière, d’un nuage, d’un mot"...elle, qui le reconnaît, est devenue une mauvaise élève (sauf en dessin!) parce qu'elle a besoin d'attention et d'amour et que rien ne va plus depuis un an qu'elle a rencontré la nouvelle femme de son père et qu'elle a vu qu'elle était enceinte, mais aussi depuis que le soutien scolaire n'existe plus, elle, va tout simplement dire NON et faire l'école buissonnière, espérant ainsi échapper à ce rendez-vous de 17 heures avec Madame Lemagre...

 

Sabine part "par la forêt" (traverse le bois) comme dans le poème de Victor Hugo que le professeur de français essayait d'expliquer la veille...se rend à notre Dame qu'elle avait visité en primaire avec son école, au fur et à mesure que les souvenirs des jours heureux affluent...

Elle décide d'aller voir son père mais son appel reste sans réponse "ce numéro n'est plus en service" lui dit-on !

 

Dans la journée elle fera la rencontre inespérée d'un jeune couple d'enseignants londoniens : elle, est professeur de français et adore Victoir Hugo et la poésie, lui enseigne le dessin... Ils vont lui faire comprendre qu'elle est loin d'être "limitée" intellectuellement car elle porte en elle tous les signes montrant qu'elle est sensible à l'art. Ils lui expliqueront aussi que la "culture" s'acquiert par la curiosité et l'étude, et l'amitié par l'ouverture aux autres. Cette rencontre va la rassurer car elle se sentira comprise et aimée, mieux que par sa propre famille, et jouera comme un révélateur pour elle.

 

Mon avis

 

Le lecteur se demande quand se passe cette histoire ?

Il y a très peu de lycée qui propose un cursus scolaire dès la 6° car depuis les années 60, l'enseignement de la 6° à la 3° a été différencié de celui du lycée : les élèves fréquentent alors le CEG (collège d'enseignement général) ou le CES (Collège d'enseignement secondaire ) qui deviennent ensuite des collèges uniques en 1975 (appelation regroupant CES et CEG). De plus, la réorientation en fin de 5° n'est plus possible aujoud'hui... Qu'importe !

 

Des Madame Lemagre, professeur de français, il en existe en réalité encore aujourd'hui, de ces professeurs désabusés qui ne prennent plus le temps de consulter le dossier de leurs élèves, et de comprendre ce qu'ils vivent à la maison. Il ne faut pas généraliser pour autant car ils ne sont pas la majorité.

Là, l'auteur nous en donne une caricature mais nous la rend finalement plus humaine en nous racontant sa journée, ses angoisses et ses doutes.

 

En effet, ces enseignants en difficulté sont avant tout des êtres humains fatigués voire épuisés : ils enseignent dans des conditions difficiles et dans des classes surchargées...Ils ne trouvent pas toujours eux non plus une oreille attentive pour parler de leurs problèmes ce qui leur permettrait de prendre un peu de recul. De plus nous savons tous que les élèves, en groupe, sont parfois très cruels. Ils le sont même avec leurs camarades de classe.

La rencontre avec le chef d'établissement est stupéfiante à cet égard : l'enseignante est humiliée comme si elle était redevenue une élève et pas un seul instant, il ne propose de convoquer lui-même Sabine (ou la famille) pour dédramatiser la situation ou montre qu'il comprend la situation.

 

Peut-on pour autant tout reprocher aux enseignants ? Ne sont-ils pas eux aussi des hommes et des femmes ayant leurs propres limites ?

 

Tout le monde sait que si les besoins élémentaires d'un enfant ne sont pas comblés, il ne pourra fixer son attention sur l'école. C'est donc une forme d'appel au secours que lance la petite Sabine à ses enseignants. Elle va mal et le leur dit haut et fort à travers ses notes et son manque d'intérêt pour l'école, même si elle ne l'exprime pas avec des mots...

 

L'histoire est simple mais touchante...toute en délicatesse. La fragilité de la petite Sabine ne pourra pas laisser le lecteur indifférent. Et finalemement, malgré le regard critique que l'auteur porte sur eux, les enseignants sont capables de se remettre en question...Ouf ! On espère donc un avenir meilleur pour Sabine...

 

Tous les enseignants devraient lire ce roman avec leurs élèves et engager un débat avec eux sur leur ressenti...car Sabine est loin d'être perdue pour l'école pour l'instant, mais si personne ne se penche sur son cas, elle pourrait bien baisser définitivement les bras...et ne pas pouvoir réaliser ses rêves.

Ce roman permet une réflexion toute en finesse sur le rôle joué par le milieu d'origine dans la réussite des élèves...

Quelles sont les chances de réussite quand on vient d'un milieu défavorisé ?

J'ai retrouvé cet auteur avec plaisir...

 

Quelques extraits

 

"...Elle pleure pour sa solitude et pour le mal d'être petite dans un monde incompréhensible".

"Lisez, leur dit sans cesse la prof, lisez ! Il faut vous cultiver !" Encore cette affaire de culture !... Comme s'il s'agissait d'un médicament à prendre, ou d'un engrais à s'administrer. Comme si les élèves étaient des légumes."

"Est-ce qu’ils pensent toujours à ce qu’ils disent, les profs ? Est-ce qu’ils sont conscients que nous sommes là, à les entendre, chacun avec son histoire particulière et que les mots peuvent faire mal ? "

"Qu'est-ce qu'il penserait Victor Hugo, de ces élèves ratés d'aujourd'hui qu'on envoie pas travailler dans les mines, non, mais qu'on laisse sur le bord de la route, qu'on abandonne en cours de scolarité, sans aucun diplôme, livrés à quel avenir ?".

"C’est tout simple : l’art, c’est rendre belles même les choses tristes et permettre aux autres de les voir. "

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