Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Dans ce roman, Marie Sizun brosse le portrait de ses ancêtres en dévoilant peu à peu le mystère qui entoure leur vie. Grâce à son talent de romancière, elle leur redonne une place au sein de la famille en imaginant ce qu'ils ont vécu...
Au cimetière, enfant, j'avais toujours froid. Comme un malaise qui me faisait doucement frissonner : le silence alentour, la solitude, toutes ces croix. Ma mère, debout devant la tombe des nôtres, se recueillait, soudain absente, étrangère : elle m'avait oubliée.
...
il m'en restait chaque fois une impression singulière, comme une ombre dont je n'aurais pas voulu parler, un trouble bizarre.
La jeune narratrice se rend souvent au cimetière de Meudon avec sa mère. Toute la famille Sézeneau est là, à côté des ancêtres suédois.
La petite fille entend des phrases qu'elle ne sait pas interpréter, surprend des secrets qu'il lui faudra plusieurs années encore pour comprendre, surtout lorsque tante Alice, la plus jeune soeur de sa grand-mère, leur rend visite.
Alors qu'Alice n'est plus de ce monde et qu'il est trop tard pour lui poser les questions essentielles sur Hulda, l'arrière grand-mère, la narratrice, qui a grandi, comprend qu'un secret de famille s'attache à son passé.
Elle a découvert que son patronyme, Bergvist, est différent de celui de sa mère et de ses arrières-grands-parents, mais qu'elle et son frère le partagent avec cette mystérieuse Livia, la gouvernante suédoise, dont tante Alice lui avait parlé lorsqu'elle était toute petite.
A la mort de sa mère, la narratrice récupère des photos et un mystérieux carnet noir : c'est le journal d'Hulda, dont les dernières pages ont été semble-t-il rageusement arrachées et qui ont emporté avec elle, leur secrets.
Alors elle imagine et peu à peu, elle nous raconte...
Dans ce visage, dans la raideur de ce corps, il y a quelque chose d'effrayé. Mais aussi d'enfantin, qui apparaît malgré la rigueur du vêtement, dans la mousse de cheveux blonds que la coiffure de l'époque-chignon serré derrière la tête- peine à maintenir, comme dans la douceur de l'ovale du visage, la clarté du teint qui contraste avec l'engoncement du corsage, la sévérité du minuscule médaillon attaché au cou par un ruban noir.
Et quand je l'ai découverte, cette petite écriture, elle a eu pour moi quelques chose d'immédiatement bouleversant : c'était la vie même que j'avais sous les yeux, dans son mystère et la brutalité de son interruption.
Une histoire d'amour et de désir...toujours actuelle même si elle se déroule à la fin du XIXe siècle. Une histoire banale, me direz-vous et mainte fois racontée dans la littérature.
Lorsque Léonard Sézeneau, l'arrière-grand-père, rencontre Hulda, il est professeur de français. Elle sort du pensionnat et sa fragilité le touche. Tous deux se marient malgré la différence d'âge. Il s'établit bientôt à Stockholm où il devient négociant.
Ils vivent dans l'aisance et lui décide, pour la soutenir, d'engager une gouvernante pour s'occuper de leur quatre enfants, d'autant plus qu'il désire que ceux-ci apprennent le français (sa langue natale) en parallèle du suédois, la langue de sa femme.
Livia paraît être la jeune fille idéale pour ce poste. Fille d'un acteur ayant travaillé à l'Opéra Royal de Stockkholm, elle ne manque pas de culture et parle très bien le français. Elle, qui a trop souvent été rejetée par les siens, devient vite indispensable à la survie de la famille Sézeneau.
Elle devient en effet plus qu'une simple domestique : les enfants l'adorent et trouvent auprès d'elle un équilibre salutaire. Léonard éprouve de plus en plus de plaisir à voir la jeune fille. Elle devient une amie pour Hulda qui se retrouve très isolée, et se confie à elle. Mais leur amitié est fragile et à la tendresse se mêle de la jalousie et de la pitié...
Un jour, Léonard cède devant la jeunesse et à la fraîcheur de la gouvernante. Lorsque la fragile Hulda le découvre, elle n'ose le croire car elle ne peut se passer de Livia qu'elle considère comme son amie.
Dans cette maison de Meudon, froide et austère, loin de l'aisance financière de Stockholm, où la famille vient de déménager, la jeune femme devient instable, perd le goût de vivre et s'alite souvent, délaissant les enfants...et ne supportant plus les absences prolongées de son mari.
L'essentiel de ce roman n'est pas dans l'histoire mais bien dans l'écriture particulière de l'auteur, à la fois pudique et tendre. Elle suggère plus qu'elle ne décrit et nous fait entrer par petites touches comme elle le ferait pour un tableau, dans l'ambiance particulière de cette famille bourgeoise d'un autre siècle.
Dans le grand salon, ce matin baigné de soleil, ils sont là tous les trois, Léonard Sèzeneau, sa femme, et elle, Livia, un peu comme trois acteurs sur une scène, encore ignorants de leurs rôles.
J'ai eu beaucoup de plaisir à découvrir cette Livia cultivée et indépendante, comme peu de femmes pouvaient l'être à cette époque, parlant plusieurs langues...cette autre arrière-grand-mère, celle dont personne n'a jamais voulu parler et dont aucune photo ne reste dans l'album de famille comme si on avait voulu à jamais en effacer la trace.
Mais l'auteur se place aussi du côté de Hulda, l'épouse fragile, élevée dans un pensionnat, petite jeune fille timide et empotée que l'amour rendra belle et qui placera tous ses espoirs dans son mariage avec son beau professeur de français dont elle est tombée folle amoureuse et qui, lui, malgré leur différence d'âge a succombé à ses charmes comme il le fera plus tard à ceux de Livia.
Cette double exploration, toute en délicatesse et en pudeur de chacune des deux femmes liées par l'amour qu'elles portent au même homme, pourtant si froid, égoïste et absent, crée une forme d'intimité dans le récit. Le lecteur se place aussitôt du côté de ces femmes romantiques et assiste impuissant à leur lente descente aux enfers.
L'ensemble est enrichi par une plongée dans l'époque et les deux pays si différents au point de vue culturel que sont la Suède et la France du XIXe siècle. L'auteur nous dit d'ailleurs, en fin d'ouvrage, s'être documentée sur l'époque grâce à de nombreux documents comme par exemple, des films d'Ingmar Bergman, des romanciers du XIXème siècle français (comme Stendhal et Flaubert), des peintres de la même époque, français ou suédois, et bien sûr les archives de la ville de Meudon.
De l'auteur j'avais déjà beaucoup aimé "La femme de l'allemand" et "Un jour par la forêt"...
J'ai eu un immense plaisir à lire celui-ci.
Pourtant cette histoire, il me faut la raconter, parce qu'elle m'appartient, ou plutôt parce que, d'étrange façon, j'ai le sentiment "d'être" cette histoire.