Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
En sortant, elle se laisse tomber dans la neige immaculée de la cour, un peu à l'écart du groupe, sachant qu'elle n'arrivera sans doute pas à se relever sans aide...
Elle se met à tracer son ange en agitant les bras pour dessiner les ailes dans la neige tout en suivant du regard les gamins qui en font autant au milieu d'un amoncellement laiteux, tout grouillant de rires.
Son ange a indubitablement des ailes, mais pas ce tutu évasé que les autres peuvent tracer à loisir en écartant les jambes. Le sien est mince du bas, comme un oiseau prisonnier d'un rouleau de fil de fer qui aurait battu frénétiquement des ailes.
Parce qu'elle est née à l'arrière d'une voiture, et que le cordon ombilical était entouré autour de son cou, la petite Agustina n'a pas les jambes comme tout le monde. Pourtant aux beaux jours, elle grimpe souvent sur les hauteurs du village avec ses béquilles pour s'allonger dans le carré de rhubarbe où elle a été conçue et rêver...ou alors, elle descend toute seule sur la plage de sable noir.
Élevée par la généreuse Nina, une amie de sa grand-mère, Agustina ne connaît pas son père, un chercheur, étudiant les animaux marins, dont le bateau s'est arrêté quelques jours seulement au port. Elle communique avec lui avec sa naïveté d'enfant, en lui lançant des bouteilles à la mer qui croit-elle, mais le croit-elle vraiment, vont lui parvenir.
Elle voit très rarement sa mère dont elle collectionne les lettres qui étayent le roman. Celle-ci est partie quelque part, en Afrique étudier les oiseaux migrateurs.
Nina a pris soin de la fillette comme si elle était sa propre fille alors que ce n'est pas tous les jours facile de vivre avec la jeune adolescente.
Agustina a une personnalité très marquée et indépendante, et si on lui reproche souvent de refuser de voir la réalité telle qu'elle est, elle a la volonté de réaliser ses rêves.
Salomon qui est devenu son ami le sait bien et l'entoure de sa sollicitude. Il la pousse à chanter en solo avec sa belle voix dans un groupe de rock, et l'accompagne sur les chemins enneigés.
Mais le rêve secret d'Agostina, c'est de franchir la montagne qui s'élève à 844 mètres au-dessus du village et dont elle compte bien venir à bout un jour, même avec ses béquilles, pour voir enfin le monde d'en haut...
Incapable de se distancier suffisamment des choses, elle s'attachait trop aux détails. Pourtant ce qu'elle ambitionnait dans la vie, c'était d'avoir une vue d'ensemble ; pour y parvenir, il lui fallait monter vraiment très haut, bien plus haut que la chambre de la tour. Le point culminant de la contrée se dressait précisément à huit cent quarante-quatre mètres d'altitude au-dessus de la plage de sable noir.
C'est le premier roman écrit par l'auteur, même s'il vient à peine d'être traduit en français.
On reconnaît son écriture et ses qualités, découvertes lors des précédentes lectures comme dans "Rosa candida" ou dans "l'embellie", par exemple que j'ai chroniqué sur ce blog.
Le lecteur retrouve avec plaisir la poésie qui émane de ses descriptions de la nature, ainsi que la simplicité et la douceur, avec lesquelles elle nous parle de la vie quotidienne de ces gens qui vivent isolés au sein d'une nature hostile et magnifique, mais qui savent dans leur coeur, s'entraider et se soutenir.
Les personnages sont tous attachants et d'une grand sensibilité.
Agostina bien sûr, réservée et émouvante dans sa quête d'indépendance mais si fantasque et si isolée parfois. C'est une jeune fille douée, volontaire et pleine de ressources malgré ses jambes paralysées. Elle rêve à une autre vie, à vivre celle d'un oiseau...
Nina est pleine de sagesse et de tendresse. Elle pousse la jeune fille à être indépendante tout en veillant sur elle. Très respectueuse des coutumes du village, elle amène la jeune fille à participer à la vie communautaire. Les journées sont ainsi rythmées par les saisons, la préparation de noël, la rentrée des classes, les lectures de l'été mais aussi par la fabrication de denrées : c'est parfois le boudin, parfois la confiture de rhubarbe dont chacun a une recette différente et que les voisins vont ensuite s'échanger....
Vermundur est l'homme à tout faire et un bon conseiller : il aide les femmes de marin esseulées en réparant leur toiture ou autres travaux de rénovation ou de bricolage.
Salomon, enfin, le jeune adolescent qui vient d'arriver au village, va devenir un ami très cher pour Agostina.
Et puis il y a la mère absente, malgré les mots d'amour qu'elle prononce toujours à la fin de ses lettres et sa promesse de revenir, peut-être au printemps, puis peut-être à l'automne...Cette mère est sans doute aimante mais à distance car le lecteur comprend vite qu'elle a fui devant le handicap de son enfant.
Comme toujours dans les romans de Audur Ava Ólafsdóttir, l'important est ce qui n'est pas dit ou juste suggéré !
L'auteur nous offre ici un roman délicat et pudique sur le handicap, mais aussi sur la force de la nature humaine, la volonté et le courage, mais aussi ses faiblesses. La fin est ouverte et chacun pourra l'interpréter à sa guise.
Soudain, il n'y a plus de nuit où s'enrouler, où s'abriter dans la tour. Un vent glacial souffle du nord, le ciel bleu est ouvert et vaste comme la mer. Agustina se blottit sous la couette pour s'enfoncer dans le matin. Sa tête est pleine de ruisseaux dorés dévalant des montagnes vers la mer.
Il y a certaines choses qui la suivront quand elle partira d'ici ; ses fenêtres, par exemple, auront toujours un simple vitrage. Pour obtenir des fleurs de givre, c'est une condition indispensable, et que serait la vie sans ces fleurs de givre immaculée, par les longs jours d'obscurité hivernale ?
Un autre avis chez Hélène ci-dessous...
Le rouge vif de la rhubarbe de Audur Ava OLAFSDOTTIR - Lecturissime
♥ ♥ ♥ ♥ Agustina est une jeune fille au destin atypique : conçue dans un champ de rhubarbe, elle est venue au monde dans une voiture. Cette dernière mésaventure lui vaut un handicap : se...
http://www.lecturissime.com/2016/10/le-rouge-vif-de-la-rhubarbe-de-audur-ava-olafsdottir.html
Le blog d'Hélène