Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Ce sont les Forêts.
Rien de bon ne levait jamais dans ces terres maigres, tout crevait, il faisait trop chaud, ou trop mouillé, le sol était bourré de ces insectes qui bouffent les plants par la racine, il n'y avait que de la caillasse, le bétail était creux aux flancs, il n'y avait rien à faire.
Rien de bon non plus dans le cœur des hommes qui s'était asséché depuis des générations.
Voilà un roman noir, une dystopie en fait, qui malgré son air de déjà vu, s'avère d'une force incroyable. Tout est dans l'ambiance et dans l'écriture de l'auteur, puissamment évocatrice, un auteur que décidément j'aime beaucoup pour cela, et pour sa capacité particulière à dévoiler avec beaucoup de justesse le comportement des hommes, quand tout bascule dans leur vie.
L'auteur nous raconte la vie de Corentin, petit être maudit dès sa naissance. Marie sa mère, totalement immature est mariée avec Jérémie lorsqu'elle s'éprend de Marc, son meilleur ami. Elle tombe enceinte, mais de qui se demandera-t-elle jusqu'au jour de la naissance. Les deux amis se disputent violemment et Jérémie se tue dans un accident. Au cœur de la vallée des Forêts, dans le Morvan, Augustine, la grand-mère met Marie à la porte, alors qu'elle est sur le point d'accoucher.
La galère ne fait que commencer pour Marie qui ne cessera de déverser sa rancœur sur Corentin qui est pourtant un adorable bébé : elle le place chez des amies, ou des nounous qu'elle ne paye pas, le change sans cesse de lieu pour ne pas avoir à couvrir ses dettes, finit par le laisser plus longtemps chez Olive une personne à laquelle il va s'attacher, qui a des enfants et lui fait connaitre les joies d'une vie de famille. Là-bas, il va croire un instant au bonheur jusqu'à ce que sa mère vienne à nouveau le chercher pour l'abandonner sans explication, au bord d'une route, dans les Forêts, tout près de la maison d'Augustine, son arrière grand-mère donc, avec comme seul gage de son identité...une lettre.
Marie ne reviendra jamais. La vieille dame bien que pudique dans son ressenti, s'attache au petit garçon, l'envoie à l'école, lui montre les travaux de la ferme. Ils sont très pauvres mais lui aussi trouve une certaine stabilité dans cette vie simple, et il oublie peu à peu sa petite enfance, et Marie. Brillant à l'école, repéré par ses enseignants, il part à la capitale pour y faire ses études. Là-bas, il se lie d'amitié avec d'autres étudiants, et vit ses années de jeunesse avec une certaine insouciance, ne revenant chez Augustine qu'aux vacances, et se refusant de voir les signes avant-coureurs que la nature leur envoie : dérèglement climatique, sécheresse, pollution, extinction de certaines espèces...
Alors qu'il fête dans les catacombes de la ville, avec ses amis étudiants, l'obtention de leur diplôme, une catastrophe advient, ce que Corentin appellera plus tard, la chose. A leur sortie plusieurs jours après, les jeunes gens découvrent désolation, grisaille, cendres, tout ou presque tout de leur monde d'avant a brûlé et a été rasé. La pluie qui tombe du ciel brûle leur peau et l'eau des rivières est désormais empoisonnée et désertée de toute vie.
Ses amis se dispersent pour rejoindre leur famille proche, espérant la retrouver vivante, et Corentin décide de repartir vers les Forêts, retrouver Augustine. Le voyage est très très long mais édifiant...
Là-bas, la vie a continué comme préservée au fond de la vallée, loin du monde. Il retrouve Augustine, mais aussi Mathilde son premier amour qui a perdu tous les siens. Comment tenir bon et continuer à vivre au cœur de cette nature qui semble morte à jamais sans commettre des actes répréhensibles ? Comment rester un être humain au milieu du chaos ?
L'instinct de survie sera le plus fort...
Corentin n'écoutait pas. Il ressemblait à ces agneaux que l'on sépare de leur mère et qui , pendant des jours, bêlent à se casser la voix dans la bergerie où on les a enfermés, effrayés et perdus, se heurtant aux murs pour les ébouler, en vain, se taisant enfin, quand ils sont épuisés.
Lui, il pleurait parce que sa mère était revenue. Pendant longtemps pourtant il en avait rêvé. Les rêves, c'est rien que des mensonges.
il regardait les Forêts et obligeait son imagination à les recolorer. C'était un dessin, se disait-il. Dans sa tête il avait les feutres, les crayons, les gouaches. Il plaquait du vert sur les arbres, du bleu au fond des rivières, des palettes de jaune et d'orangé dans les près mûrs. Il ajoutait le rouge des fraises des bois, le rose des digitales...
Voilà donc encore une fois un roman très fort même si comme je le disais en introduction le thème est connu. En effet, on retrouve dans la littérature de Science-Fiction plusieurs romans qualifiés de post-apocalyptique, dans lesquels les différents protagonistes, survivants après une catastrophe, vont tenter de reconstruire une société à leur échelle. Il m'a bien entendu fait penser au célèbre roman de Robert Merle,"Malevil", à celui d'Orson Wells, "la guerre des mondes", et celui de J.-H. Rosny aîné "la mort de la terre", et bien d'autres...
L'auteur surfe sur l'actualité. Elle nous met en garde contre le réchauffement climatique, les modifications en profondeur du climat qui non seulement nuisent à la nature et à la biodiversité mais modifient les saisons, jusqu'à ce qu'un jour la Planète ne le supporte plus et qu'une catastrophe raye toute vie ou presque de la Terre, faisant disparaitre le soleil, seule source de vie.
Mais elle nous met surtout en garde contre l'instinct de survie qui éloigne les hommes de toute humanité et les plonge souvent dans la violence.
Enfin, elle nous décrit la quête d'amour de Corentin qui toute sa vie se battra pour ceux qu'il aime et ne pourra recevoir en retour qu'un peu d'amour dans la douleur.
Bien entendu, il y a quelques invraisemblances. Par exemple, le lecteur ne saura rien de la nature exacte de la catastrophe, ni de comment certains hommes ont pu y survivre, ni pourquoi certaines lieux ont été épargnés ou certaines denrées et objets... alors qu'ailleurs tout a brulé ! Mais qu'importe, il s'agit d'une fiction.
J'ai vraiment aimé lire ce roman dont certaines pages ou évènements peuvent heurter la sensibilité de certaines personnes, bien que je l'ai trouvé cependant un peu moins fort que "Il reste la poussière" qui m'avait encore plus marquée.
Vous trouverez aussi du même auteur sur mon blog, la présentation de : Six fourmis blanches ; Des nœuds d'acier ; Les larmes noires sur la terre ; et Animal. Il suffit de cliquer sur les titres pour découvrir mes chroniques.
Comme vous le voyez, il me reste à lire encore quelques titres de cet auteur, dérangeant certes mais qui a le mérite de nous faire réfléchir sur la condition humaine !
Quelle était cette illusion qui les avait unis tant que le monde tenait bon, quel était ce mensonge depuis des mois et des années, eux avant tout, une sorte de famille inaltérable qui se dissipait comme un peu de fumée, comme au cirque, un petit tour et puis s'en va.
Au fond qu'étaient-ils les uns pour les autres ?
...Il fut le dernier à partir.
Il fallait vivre chaque jour comme s'il était le dernier_ pas pour se faire peur, mais pour avoir le moins de regrets possible. De toute façon, il en resterait.