Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Voilà le second thriller de Sandrine Collette que je lis. Depuis le printemps dernier, suite à la lecture de son roman "Des noeuds d'acier" que j'ai chroniqué que ce blog, plusieurs titres de cet auteur sont dans ma liste à lire et je ne m'étais pas encore décidée pour l'un d'entre eux...
C'est chose faite avec son dernier roman paru en janvier dernier.
L'histoire
Au fin fond des paysages arides et sauvages de Patagonie, celle qu'on appellera tout au long du roman, la mère, tente d'élever seule ses quatre fils depuis que son mari est parti...
Il y a d'abord les jumeaux, Joachim et Mauro, puis celui que tous surnomme "le débile", Steban, parce qu'il a perdu la voix après avoir assisté à une scène particulièrement choquante et enfin le petit dernier, Rafael, enfant maltraité par ses frères et maudit par sa mère pour être né quelques mois seulement après le départ du père...
Des quatre fils, il [Rafael] est le meilleur cavalier. C'est pour cela que la mère lui confie de plus en plus souvent la surveillance des bêtes, pour cela, et parce qu'elle peut l'envoyer seul, lui que ne demande jamais que ses frères l'accompagnent...
Au début Mauro le suivait à cheval, étrier contre étrier jusqu'à la grande barrière. Un silence effrayant, de ceux qui précèdent les tempêtes. Son regard brutal sur Rafael, sur le porte-fusil sanglé à la selle_ à croire qu'il allait s'en saisir, épauler. Tirer. Pan.
La mère est la seule dans la région à tenter de survivre en élevant comme avant du bétail de toutes sortes, la plupart des estancias aux alentours se contentant d'élever des brebis pour la laine, afin de tenter de faire face aux gros domaines qui se développent un peu partout.
Mais sur ses terres arides et battues par les vents, les bovins peinent à engraisser et ne rapportent que peu d'argent.
Malgré sa fierté d'être propriétaire du domaine, la mère n'en peut plus des journées épuisantes et sans fin qui lui permettent à peine de faire vivre sa famille dans la misère.
Elle a pourvu toute seule à l'éducation de base des enfants, et ils savent tous lire et compter. Mais ils sont taiseux, violents et sauvages. Il faut dire qu'elle les tyrannise, distribue les coups, leur interdit tout plaisir, sans jamais leur donner d'affection ou de gestes tendres. Elle doit se faire obéir à n'importe quel prix et n'accepte aucune discussion. Même les grands la craignent...et leur vie de jeunes gens tourne uniquement autour des animaux et du travail harassant de la ferme.
Pourtant avec son oeil de mère toujours à l'affût, elle les connaît bien et enregistre tout et, à sa façon, elle les protège du monde extérieur et de ses tentations.
Elle seule descend donc à la ville pour acheter des vivres, voir le banquier et lorsqu'elle en ressort folle de rage car elle n'a plus rien malgré le travail quotidien, elle part boire un coup tout en s'adonnant au poker pour se consoler.
Un jour, elle perd toutes ses économies au poker et pour se refaire, elle joue son fils, Joachim... et perd.
Resté seul, Joachim s'assied sur son lit. Mauro lui manque, et la mère, et même le petit et l'autre débile ; il voudrait pleurer pour enlever la boule de sa gorge, respirer mieux. Mais rien ne vient, qu'une sécheresse qui lui fait frémir le cœur et lui laboure les joues, quelque chose de mort dans sa poitrine, parce que tous aussi, à l'estancia, ont refermé la porte sur lui. Il espérait...il a attendu en vain.
Joachim va vite se rendre compte que la liberté a parfois du bon, que son travail moins harassant qu'auprès de la mère est rémunéré, et que les étrangers lui accordent plus d'attention que ne l'a jamais fait sa propre famille depuis toujours...
Pendant ce temps, à l'estancia, la situation empire parmi la fratrie et Mauro, le second jumeau qui ne supporte ni la séparation d'avec son frère, ni le geste de la mère, s'en prend de plus à plus souvent à Rafael qu'il déteste pour n'être pas encore capable d'assurer sa charge de travail.
La tension monte inexorablement...
Mais des événements imprévus vont modifier le cours des choses. Rafael va garder espoir et croire, dans sa naïveté de jeune garçon, qu'il pourra apporter un peu de joie et de légèreté dans la famille...
Mais est-ce le bonheur qui va enfin entrer au coeur de l'estancia ou l'enfer sur terre ?
Vous le saurez en lisant ce palpitant thriller psychologique...
Il joue à nouveau avec l'eau, la bouscule, à marche forcée, et sort sur la rive, revient en bondissant, jusqu'à ce que la pression sur ses jambes le déséquilibre et le fasse tomber. Alors le cœur battant, essoufflé d'avoir trop ri et trop braillé, il se laisse flotter à quelques mètres du bord, surveille qu'il a toujours pied. La lumière l'exalte, ricoche sur le lac, sur les bosquets, sur le presque sable. Il ferme les yeux et une étrange mélodie vient le bercer...
Ce roman est terrifiant tant il semble au lecteur toujours se situer sur un fil ténu entre la haine et la violence, voire l'absence totale d'humanité des personnages, et d'autre part, l'attachement puissant qu'ils ont à cette terre hostile et inhospitalière, où ils ne connaissent que souffrance physique et accumulation de malheurs, une terre façonnée par les vents glacials et incapable de les faire vivre convenablement.
Les personnages sont tous dépeints avec beaucoup de psychologie ce qui fait de ce roman un roman social, proche du témoignage, mais aussi un thriller haletant, qui se lit d'une traite et où le lecteur est malmené comme le sont les personnages, persuadé qu'il n'y aura point d'issue heureuse à ce terrible huis-clos familial.
Le personnage de la mère est sacrée. Aucun ne se permet de la juger : elle est LA MÈRE, un point c'est tout. Elle gère l'estancia, leur attribue leur criollos quand ils en ont l'âge, répartit les tâches quotidiennes, prépare les repas et ne prend jamais parti pour défendre l'un ou l'autre des frères.
Peut-être aurait-elle dû accepter, pour les selles. Ce refus-là a été de trop, elle le sent bien. Mais faire marche arrière à présent, impossible, ils auraient la main sur elle, définitivement, et ils demanderaient encore plus. Des têtes de cochon, voilà ce qu'elle a récolté, et pourtant, elle a joué de la trique, mais il en fallait davantage, semble-t-il, et elle a eu l'âme trop sensible...
Les paysages sont décrits avec une justesse incroyable et beaucoup de poésie. Le lecteur galope aux côtés des criollos, crinières au vent, ces puissants chevaux qui savent rabattre les bêtes du troupeau pour les ramener vers l'estancia et qui sont indispensables à la survie des exploitations.
C'est un roman très fort et très dur qui se dévore d'une traite et que l'on ne peut pas lâcher jusqu'à la dernière page, mais même alors, une fois le roman refermé, les personnages nous poursuivent comme nous poursuivent le vent, le silence et la solitude de la steppe...