Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Elles eurent toutes six ans un jour ou l'autre sur cette île. Ce fut le meilleur moment de leur vie_ sans doute parce qu'à six ans elles étaient trop égoïstes et comblées pour percevoir les ténèbres. Souvenez-vous de cet âge où la vue d'un lit vous donnait envie de faire du trampoline et pas du tout de vous assoupir. Souvenez-vous de cet âge où vous faisiez huit fois le chemin qui menait à la plage parce que vous couriez devant les adultes et que vous reveniez sur vos pas pour aller les chercher comme un chiot impatient, et puis vous repartiez en sens inverse...
La fille en colère sur un banc de pierre c'est Aïda mais le lecteur ne le comprendra que plus avant dans la lecture de ce livre.
L'histoire commence alors qu'Aïda qui vit à Palerme, reçoit un appel de Violetta, une de ses sœurs qu'elle n'a pas revue depuis 15 ans : leur père vient de mourir. Elle décide alors de retourner là-bas, sur l'île de son enfance, où elle n'est pas revenue depuis ses 17 ans, mais où sa mère et ses sœurs vivent encore.
C'est ainsi que le lecteur entre peu à peu dans l'histoire de cette famille sicilienne, et découvre les fabuleux paysages de cette île paradisiaque.
Elles étaient quatre sœurs : Violetta l'ainée, Gilda la mal aimée, Aïda la préférée et la petite Mimi surnommée le colibri parce qu'elle papillonnait partout, adorait grimper aux arbres et suivre ses envies sans s'embarrasser des conséquences.
Mais tout à changé quand un soir de carnaval, n'y tenant plus face à l'interdiction paternelle, Aïda âgée alors de 8 ans a "fait le mur" pour se rendre au carnaval en pleine nuit. Mimi a voulu venir et elle a cédé. Mais voilà qu'elles se sont perdus de vue et que Mimi n'est pas rentrée. Elle a disparu pour toujours. Alors Aïda devient la coupable toute désignée malgré son jeune âge. Le père ne lui pardonnera jamais car elle est celle, par qui le malheur est tombé sur la famille.
En grandissant, elle va devenir une adolescente rebelle ce qui oblige sa mère à lui faire quitter l'île en cachette, pour l'envoyer à la ville, à Palerme, chez une lointaine cousine. A présent, elle n'a pas à avoir honte de ce qu'elle est devenue, même si elle vit toujours dans un quartier pauvre de la ville, qu'elle n'a pas pu poursuivre ses études, et qu'elle travaille comme gardienne de nuit dans un hôtel de la via Mariano Stabile. Elle s'instruit toute seule grâce à ses lectures de documentaires scientifiques.
Le retour sur l'île, les souvenirs du passé qui remontent pour ses sœurs et sa mère ne vont pas rendre faciles ni les retrouvailles, ni la cérémonie et les jours qui suivront.
Mais c'est sans compter sur la présence de Léonardo, le mari de Violetta avec qui Aïda a eu une relation plus intime avant leur mariage et qu'elle revoit donc avec plaisir, ni sur la vérité qui attend la jeune femme au bout du chemin...
Aïda s'est dit longtemps que c'était peut-être ce qui était arrivé à sa petite soeur Mimi quand elle avait disparu. Mimi était bien revenue là où elles avaient convenues de se retrouver mais entretemps le monde avait totalement changé. Il y avait eu un glissement et Mimi était depuis lors coincée dans un lieu qui n'avait plus la même perspective ni les mêmes coordonnées que le monde connu.
Dans un endroit aussi clos que Iazza, il faut un Pippo. Un être qui désole les mères, ou plus exactement qui leur permet de se désoler ensemble comme s’épouillent les grands singes. Un être paisible et incompréhensible qui est, Dieu merci, le fils d'une autre.
Voilà un roman difficile à raconter tant l'histoire telle qu'elle se présente n'est que la superficie de ce que l'auteur veut nous montrer. Sur l'histoire plane la disparition inexpliquée de la petite soeur que le lecteur découvre dès le "préambule". Puis le roman se poursuit selon trois temps différents : le présent d'abord qui marque le retour d'Aïda dans sa famille après la mort du père, l'enfance des sœurs et leur vie en famille et...l'histoire de leurs ancêtres.
Les relations familiales, les conflits entre sœurs, les secrets de famille bien enfouis qui expliquent l'attitude des uns et des autres, le voisinage et ses médisances, les conflits entre deux clans du village (proche pour l'un de la mafia), la personnalité particulière des parents, du père surtout qui n'est plus là mais a considérablement pesé dans les décisions qui ont été prises dans le passé, tout sonne vrai sur cette île imaginaire de Sicile. L'autorité du père, sa décision et ses conséquences ont obligé Aïda qui souffrait déjà de la disparition de sa petite soeur à s'isoler des seules personnes aimantes qui l'entouraient. Son père lui a volé son enfance, elle a été psychologiquement maltraitée et étouffée par la culpabilité.
Les personnages féminins sont tous attachants malgré leurs défauts et l'autrice sait particulièrement bien nous décrire leurs failles, leurs ressentis face à une famille et un village prêts à les broyer au pire, ou à les étouffer au mieux. L'autrice analyse avec beaucoup de finesse leurs retrouvailles après une si longue séparation, mais aussi, la réaction de la mère désormais veuve et âgée qui se parle à elle-même et perd un peu la tête.
Il faut noter aussi la présence de personnages masculins absents ou morts mais toujours aussi présents, ainsi que de Leonardo dont il sera beaucoup question au fil des pages et de Pippo, l'enfant simplet qui vont jouer tous les deux un rôle important dans l'histoire, et dont je ne vous dirai rien de plus.
Cela donne un roman poignant qui nous prend aux tripes quand on pense à Aïda et à ce qu'elle a du endurer depuis sa petite enfance, à sa sagesse et à la manière dont elle va réagir lorsqu'elle apprendra enfin la vérité, une vérité qui la soulagera d'un grand poids...mais qui n'est pas celle à laquelle le lecteur avait pensé.
Ce n'est pas un livre triste pour autant. J'ai aimé l'humour de l'autrice dans les chapitres intitulés "Contes et légendes de la famille Salvatore", qui racontent l'histoire du premier ancêtre venu sur l'île.
Il était temps que je lise ce roman. J'ai découvert Véronique Ovaldé seulement l'année dernière avec "Personne n'a peur des gens qui sourient" (voir ICI ma chronique).
Lire les avis d'Alex, ICI sur Babelio car le lien vers son article de blog ne fonctionne plus et d'Ecureuil bleu ICI qui m'ont toutes deux donner envie de le découvrir.
Mais c'est difficile. Ça va nécessiter un ajustement de focale. Elle craint un instant que chaque phrase formulée ne soit doublée d'une phrase fantôme. C'est sans doute la règle dans toutes les familles. Tout ce qui se dit vraiment n'est jamais prononcé.
A noter, jusqu'à vendredi je vous présenterai uniquement des livres dont les personnages principaux sont des femmes. Vous n'ignorez pas que le samedi 8 mars est la Journée internationale des droits des femmes. Il m'a semblé normal de réunir ici quelques lectures effectuées durant ces dernières semaines.
Je ne vous en voudrais pas si vous n'aimez pas lire et choisissez de passer votre chemin...
Bonne semaine à tous !