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Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...

Le coeur à rire et à pleurer / Maryse Condé

Pocket, 2001

Pocket, 2001

Pour eux, la France n'était nullement le siège du pouvoir colonial. C'était véritablement la mère patrie et Paris, la Ville lumière qui seule donnait de l'éclat à leur existence.

En ce temps-là, en Guadeloupe, on ne se mélangeait pas. Les nègres marchaient avec les nègres. Les mulâtres avec les mulâtres. Les blancs-pays restaient dans leur sphère et le Bon Dieu était content dans son ciel. Heureusement, les enfants ne s'occupaient pas tellement de ces affaires de grandes personnes.

Nous sommes à Pointe-à-Pitre dans les années 50.

Benjamine d'une famille nombreuse (Trois filles et quatre garçons à sa naissance) la petite Maryse née tardivement en 1937, se sent seule et incomprise. Elle se distingue très vite de sa fratrie en se révoltant face à l'autorité et en obtenant de mauvais résultats scolaires. Pourtant elle a soif d'apprendre toujours plus, et elle partage avec son frère Sandrino dont elle est très proche, ses lectures et ses questions, mais elle fait le désespoir de sa mère et de son entourage par ses excès. 

Ses parents sont instruits et fiers d'être français. Entre eux, ils abandonnent le créole pour ne parler que le français, d'ailleurs ils passent le plus de temps possible à Paris et apprécient la vie de la ville et sa richesse culturelle. La mère est une des premières institutrices noires. Rigide, elle est aussi dure envers elle-même qu'avec les autres et ses propres enfants. Ainsi elle reniera Thérèse, la sœur ainée, lors de son divorce, cet échec nuisant à la réputation familiale. Tout problème doit être tu, voilà tout. Le père est décrit comme un vaniteux qui n'accepte pas de vieillir. Il est commerçant, il créera avec d'autres commerçants la Banque antillaise. Tous deux sont fiers de leur condition et se montrent souvent méprisants non seulement envers les autres antillais mais aussi envers les français, dont ils parlent mieux la langue, ce que la petite fille ne comprend pas. Elle ne les trouve jamais "naturels" comme coincés dans un carcan qu'ils se sont eux-mêmes imposé. 

Ses parents se doivent de lui donner une certaine éducation car ils n'ont qu'un seul objectif dans leur vie, appartenir à la "bourgeoisie noire", prendre l'ascenseur social pour se sortir de leur milieu. Elle sera souvent vivement réprimandée pour ce qui lui apparait n'être que des broutilles et c'est plus tard, une fois devenue adulte, qu'elle comprendra ses parents et leurs désirs, donc l'importance de l'éducation qu'ils lui ont donné. Ainsi enfant, elle sera souvent punie pour sa franchise, elle n'hésite pas en effet à dire ce qu'elle pense tant sur les gens que sur les événements (cf la rédaction qu'elle écrit à propos de sa meilleure amie Yvelise, ou le portrait de sa mère écrit pour lui souhaiter un bon anniversaire qui sera fort mal perçu par toute la famille...). 

Après le bac, elle poursuit ses études à Paris. La jeune Maryse a du mal à trouver sa place ne se sentant ni d'ici ni de là-bas. Ce sont les lectures des auteurs créoles qui lui permettent de découvrir la vraie vie des habitants des Antilles, ce qu'elle ne pouvait pas du tout découvrir par elle-même lorsqu'elle vivait là-bas. 

Mais le temps passe et  la vie la ramènera vers son enfance, vers ses souvenirs, et elle fera des recherches sur sa propre grand-mère et comprendra les raisons qui ont poussé sa mère à devenir celle qu'elle était. Elle retournera alors  vers les siens dans une scène finale émouvante. 

Ma mère avait donc grandi, humiliée par les enfants des maîtres, près du potager des cuisines des maisons bourgeoises. Le destin aurait voulu qu'elle fasse bouillir à manger comme sa mère et qu'elle récolte un ventre à crédit du premier bougre venu. Mais dès l'école primaire, la colonie, qui n'est pas toujours aveugle, avait remarqué son intelligence exceptionnelle...

...l'identité est comme un vêtement qu'il faut enfiler bon gré, mal gré, qu'il vous siée ou non.

Voilà un court récit très agréable à découvrir quand on veut  connaître la vie de Maryse Condé disparue en 2024 et dont j'ai relu récemment "Moi, Tituba sorcière" présenté ICI sur mon blog. 

Dans ce récit autobiographique dont le sous-titre sur la couverture est "Souvenirs de mon enfance" Maryse Condé nous donne à voir une autre facette de la Guadeloupe des années 40/50. Le livre est paru précédemment en 1999 et a comme véritable sous-titre "Contes vrais de mon enfance", sous-titre que l'on retrouve dans la présente édition sur la page de garde.

Ce qui est intéressant dans ce récit, au delà des souvenirs qui sont propres à l'autrice et qui permettent au lecteur de mieux connaître la vie en Guadeloupe mais aussi la vie à Paris lorsqu'on est guadeloupéen dans les années 50, c'est de voir poindre derrière la fillette, l'adolescente et la jeune femme en pleine construction personnelle, l'écrivaine qu'elle deviendra, engagée, forte de ses convictions. En ce temps-là, ne l'oublions pas en lisant ce livre, la Guadeloupe était encore une colonie française, les préjugés raciaux et les inégalités sociales encore plus marquées qu'aujourd'hui.  Il était difficile pour elle de trouver sa juste place et ce récit est donc aussi une quête d'identité. 

Bien entendu, dans ce genre de récit autobiographique, les souvenirs sont réécrits en fonction de l'adulte qu'elle est devenue, de son vécu, de ce qu'elle a compris de la vie de ses parents. Les chapitres sont courts et traitent tous d'un sujet différent. Le livre lui-même ne fait que 155 pages et se lit très vite. 

L'autrice a reçu en 1999, le Prix Marguerite Yourcenar pour ce récit autobiographique. 

Un beau portrait de femme, à découvrir bien entendu ! 

Ma mère attendait trop de moi. J'étais perpétuellement sommée de me montrer partout et en tout la meilleure. En conséquence, je vivais dans la peur de la décevoir. Ma terreur était d'entendre ce jugement sans appel que, bien souvent, elle portait sur moi
- Tu ne feras jamais rien de bon de ta vie !

Il ne faut pas dire la vérité. Jamais. Jamais. A ceux qu'on aime. Il faut les peindre sous les plus brillantes couleurs. Leur donner à s'admirer. Leur faire croire qu'ils sont ce qu'ils ne sont pas.

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M
J'ai lu "Moi Tituba sorcière" et "Ségou"... Des livres que j'ai beaucoup aimés... Je crois que je vais lire ce livre grâce à ta page...
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G
Je viens de lire "Moi Tituba sorcière", et j'étais récemment en Guadeloupe ou l'aéroport de Pointe à Pitre s'appelle "Maryse Condé". Très envie de découvrir celui-ci.
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C
je n'avais entendu que le nom Maryse Condé, merci de la présentation du livre<br /> belle journée<br /> bisous<br /> patricia
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R
Bonjour Manou, chaque page de ce récit retrace une quête d’identité entre racines et aspirations Maryse Condé illumine la dualité culturelle et l’influence familiale avec une plume authentique et engageante, je te souhaite une bonne journée.
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T
C'est avec ce livre que j'ai appris qui elle était, après son décès. Je vais regarder si "Tituba" est à la bibliothèque.
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P
Bonjour Manou,<br /> C'est un livre qui me plairait alors je note avec plaisir le titre et l'auteur. Merci Une douce journée
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P
Je me méfie un peu des romans autobiographiques...
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L
Merci pour la découverte. Bisous
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D
Je connais Maryse Condé, mais il ne me semble avoir lu ses livres. Pourquoi pas commencer par cette autobiographie ?
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M
Bonjour Manou,<br /> je ne connaissais pas, je vais voir ce qu'il en est.<br /> Bisous<br /> Bonne soirée,<br /> Mo
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C
bonjour<br /> je t'envie de lire autant, je n'arrive pas à trouver le temps sauf en voyage<br /> bisous
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C
Merci Manou pour ce partage de lecture <br /> Une bonne idée de lecture <br /> Bises
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E
Bonjour Manou. Ce livre devrait me plaire sije le trouve à la médiathèque ou dans une boite à livres. Bisous
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A
Je note. Je ne savais pas qu'elle était décédée. Bises
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F
Bonjour, j'ai lu quelques uns de ses romans, cette autobiographie doit être intéressante, je te souhaite une bonne journée, bisous
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M
Maintenance ce soir sur OB...
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M
je ne lirais pas cet ouvrage, il y a trop de souffrance dans la vie de cette écrivaine !!!! passes une bonne semaine Bisousbisous<br /> Moune
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M
Je note cet ouvrage, je crois déjà en avoir entendu parler. Merci Manou, je t'embrasse<br /> Mainten
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D
une autrice que j'ai lu avec bonheur à ses débuts
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L
Un livre qui doit être très intéressant. D'elle j'ai lu Ségou, il y a très longtemps; je me rappelle juste que j'avais beaucoup aimé<br /> Bisous et bonne journée
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