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Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...

Moi, Tituba sorcière / Maryse Condé

Folio, 1988

Folio, 1988

Man Yaya m'apprit les plantes...
Man Yaya m'apprit à écouter le vent quand il se lève et à mesurer ses forces au-dessus des cases qu'il se prépare à broyer.
Man Yaya m'apprit la mer. Les montagnes et les mornes.
Elle m'apprit que tout vit, tout a une âme, un souffle. Que tout doit être respecté. Que l'homme n'est pas un maître parcourant à cheval son royaume.

Ce livre dont le titre complet est "Moi, Tituba sorcière...Noire de Salem" est paru pour la première fois au Mercure de France en 1986. Il s'agit pour moi d'une relecture, ayant trouvé par hasard ce livre dans une boite à livres durant les vacances. 

L'histoire débute au XVIIe siècle à la Barbade, une île antillaise faisant partie des colonies britanniques. 

La petite Tituba apprend très vite qu'elle est le fruit d'un viol, sa mère Abena a été en effet violentée par un des marins anglais sur le bateau négrier qui la menait vers les Antilles. Abena n'aime pas sa fille et ne lui témoigne aucun signe d'affection. La petite fille se réfugie auprès de Yao le nouvel amant de sa mère qui va beaucoup s'attacher à elle. Mais Abena blesse gravement le maître blanc qui veut abuser d'elle. Elle sera pendue sous les yeux de Tituba...Peu après, Yao est vendu et se suicide durant son transfert. 

Tituba est alors recueillie par une vieille femme, Man Yaya, qui connait les simples et va lui transmettre tout ce qu'il faut savoir sur les plantes. Elle lui apprend aussi à communiquer avec les morts. A sa mort, Tituba n'a que 14 ans mais va se construire une case en pleine nature, à l'écart du village, elle est libre, elle n'appartient à personne. Un jour, elle tombe sous le charme de John l'Indien, un esclave bien traité par sa maîtresse, Susanna Endicott. Par amour pour lui et parce qu'elle se marie, elle renonce à sa liberté. Elle va subir de nombreuses humiliations et finir par provoquer (pour se venger) une maladie invalidante chez sa nouvelle maîtresse. Cette dernière qui a eu peur de perdre la vie à cause de Tituba et de ses pouvoirs, sans en avoir de preuve, vend le couple à un mystérieux et austère pasteur, Samuel Parris, qui va les emmener bien loin de la Barbade, jusqu'à Boston, puis jusqu'à la petite ville de Salem.

Là-bas, le destin de Tituba la rattrape : elle inquiète beaucoup les habitants de cette petite communauté puritaine, d'autant plus qu'un mystérieux mal se répand chez les enfants qui piquent des crises d'hystérie sans aucune raison apparente. L'hystérie collective gagne... Tituba est alors accusée de sorcellerie, avec pour complices deux autres femmes de la communauté, Sarah Good et Sarah Osborne, mais elles deux sont... blanches. 

Les morts ne meurent que s'ils meurent dans nos coeurs. Ils vivent si nous les chérissons, si nous honorons leur mémoire, si nous posons sur leurs tombes les mets qui de leur vivant ont eu leurs préférences, si à intervalles réguliers nous nous recueillons pour communier dans leur souvenir. Ils sont là, partout autour de nous, avides d'attention, avides d'affection.

La mer, c'est elle qui m'a guérie.
Sa grande main humide en travers de mon front. Sa vapeur dans mes narines. Sa potion amère sur mes lèvres. Peu à peu, je recollais les morceaux de mon être. Peu à peu, je me reprenais à espérer. En quoi ? Je ne le savais pas exactement.

Voilà un roman qui mêle fiction, littérature et histoire. Tituba et Samuel Parris ont réellement existés. Hester Prynne qu'elle rencontrera en prison et qui la conseillera habilement est un personnage emprunté à la littérature ("La Lettre écarlate" de Nathaniel Hawthorne). Les autres personnages sont de pures inventions.

L'autrice s'appuie sur des éléments réels et connus de la vie de Tibuba. Elle a été en effet l'esclave de Samuel Parris. Elle a été accusée d'être une des sorcières lors des procès ayant eu lieu à Salem (Danvers aujourd'hui) en 1692. Plus de cent quarante femmes et hommes furent jugés lors de ces célèbres procès des Sorcières de Salem. A noter, les documents originaux de ces procès sont aujourd'hui conservés dans les Archives du Comté d'Essex.

Vingt seulement parmi les accusés seront exécutés. Les autres seront oubliés pendant deux ans au fond de leur prison puis amnistiés. Tituba faisait partie de ceux-là. On ignore la fin réelle de sa vie, on sait juste qu'elle a été à nouveau vendue, mais à qui ? C'est pourquoi l'autrice a inventé la fin.

Maryse Condé a voulu à travers son roman, réhabiliter ce personnage oublié de l'histoire, lui permettre de retrouver l'amour, de retrouver sa liberté, puis son pays natal. C'est un personnage attachant dont nous allons suivre la vie amoureuse et amicale ce qui ajoute beaucoup d'humanité à ce roman.

Le lecteur découvre le déroulement des procès des Sorcières de Salem et l'ambiance particulièrement hystérique dans laquelle ils ont eu lieu. On découvre aussi les actions des nègres Marrons et les premières révoltes des esclaves lors du retour (fictif) de Tituba dans les Antilles.  

Tituba, à cause de sa couleur de peau et de ses connaissances connaitra le racisme, le fanatisme et l'intolérance elle qui voulait avant tout se dévouer aux autres, les soigner, soulager leurs souffrances. Elle deviendra le symbole de ce qui a été également le vécu de milliers de femmes noires, qui ont toutes été comme rayées de la grande Histoire par les historiens eux-mêmes.

Ce roman qui se déroule au XVIIe siècle, revêt une intemporalité étonnante, car il nous parle avant tout de la condition des femmes noires et des esclaves à l’époque coloniale mais aussi des croyances populaires et de l'emprise de la religion sur les mentalités de l'époque, une emprise qui existait aussi en Europe entrainant une peur irrationnelle des sorcières et de la sorcellerie (et donc du diable bien entendu). 

Car vivante comme morte, visible comme invisible, je continue à panser, à guérir. Mais surtout, je me suis assigné à une autre tâche (...) Aguerrir le cœur des hommes. L'alimenter de rêves de liberté. De victoire...

Maryse Condé est une autrice guadeloupéenne née à Pointe-à-Pitre, le 11 février 1934. Elle a disparu début avril à l'âge de 90 ans. Elle a vécu dans plusieurs pays du monde mais depuis 2007, elle s'était installée en Provence, à Gordes exactement. Elle avait reçu le Prix Nobel Alternatif de la Littérature en 2018 suite au report du Prix Nobel cette année-là. Son oeuvre prône les valeurs de la démocratie, de l'ouverture, de l'empathie et du respect puisqu'elle traite du colonialisme, de l'esclavage et de leurs conséquences.

Il était temps que je présente un de ses romans ici.

Elle a reçu de multiples récompenses et prix au cours de sa vie pour l'ensemble de son oeuvre et parce qu'elle a fait "rayonner la francophonie". 

Ce roman, "Moi, Tituba sorcière..." avait reçu le Grand Prix Littéraire de la femme ( prix Alain-Boucheron) en 1987, un prix dont je n'avais jamais entendu parler. 

Je crois que je ne serai jamais rien d’autre qu’une Guadeloupéenne. Une Guadeloupéenne à ma manière, qui parle peu créole, qui réside en partie à New York, qui a visité le monde… Mais au fond de moi, le lieu qui a fait ce que je suis, mes parents, mes souvenirs d’enfance, ont créé quelque chose que je ne pourrai jamais modifier. J’aime la Guadeloupe, le pays, la nature, les sons, les images. Je mourrai guadeloupéenne. Une Guadeloupéenne indépendantiste.

Bon weekend de Pentecôte à tous,

pour ma part je vous retrouve seulement mardi...

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M
Un livre à lire absolument... Merci Manou
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P
Ce roman tout à fait inconnu pour moi pourrait m'intéresser.
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F
quelle histoire mouvementée ! j ai lu quelques livres de Maryse Condé il y a fort longtemps !! bonne journée, bisous
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E
Bonjour Manou. Je n'ai jamais rien lu de cet auteur mais son nom me parle. Bonne journée et bisous
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G
Je n'ai jamais lu ses livres, mais j'ai très envie de la découvrir.
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P
Bonsoir Manou,<br /> Merci de cette belle et riche chronique qui donne très envie. Je ne crois pas avoir jamais rien lu de cette auteure.<br /> Anne
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T
C'est son évocation à La Grande Librairie qui m'a fait connaître son nom. J'ai noté chez Aifelle "Le coeur à rire et à pleurer" que je lirai en premier pour la découvrir.
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T
Tiens je retrouve Maryse Conde avec un autre titre qui pourrait plus m’intéresser d’ailleurs…
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Z
coucou toi<br /> ce roman a l'air d'etre trop bien<br /> merci pour la decouverte
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F
Une plongée dans l'histoire coloniale du XVIIe siècle et dans la culture des peuples noirs d'Afrique déplacés vers le Nouveau-Monde et les îles antillaises... Certes, une fois encore l'homme blanc "subordinateur" n'est vraiment pas dans le beau rôle, lui porteur de la parole évangélique, il met la religion chrétienne au service de l’asservissement des peuples de race noire, jugés inférieurs et tenus en soumission à des maîtres souvent impitoyables.<br /> Oui, la distinction est à faire entre sorcellerie trop arbitrairement dénoncée et initiation aux vertus des plantes et des facultés de guérisseur(euse)s. <br /> Merci Manou pour cette invitation à lire ce roman en partie biographique de Maryse Condé.<br /> Amitiés.
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C
Merci pour ton ressenti, tu as toujours des avis sûrs etvdes gouts qui ressemblent beaucoup aux miens. Bises. Celine
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E
Un livre à lire ! Bon lundi, bisous
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A
je n'ai pas lu ces livres ; pourquoi pas? merci pour le conseil. Bon lundi. Bises
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B
Je n'ai jamais rien lu de Maryse Condé. Mais ça a l'air vraiment bien intéressant.
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C
est-ce par dépit de ce qu'elles ont enduré que j'aime "les sorcières" des femmes comme les autres juste un peu moins obéissantes par besoin de liberté !<br /> amitié .
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L
Avis mitigé. En général je n'aime pas les romans qui parlent des Antilles ( et ce n'est pas par racisme; juste que la façon de vivre de la population est si différente de la nôtre et que j'ai du mal à a m’identifier aux personnages). Mais cette fois-ci, le thème me parle, à savoir le procès des sorcières de Salem.<br /> Alors s'il me tombe entre les pattes, pourquoi pas et je penserai à ta présentation.<br /> <br /> Beau samedi.<br /> Bisous<br /> Lavandine
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P
Bonjour Manou,<br /> A te lire, ce manuscrit me plait beaucoup. Je note avec plaisir.<br /> Belle fin de semaine. Bises (encore pluvieuses ici)
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M
Je le mets sur ma liste... Merci
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T
Personnage à mille vies…intéressant. Bon We
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M
il est vrai qu'avec nos vies modernes on écoute plus grand chose.....on aurait peut-être beaucoup à apprendre....passe un agréable samedi
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