Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Cette nuit-là, j'ai pensé, ils ont pris un total contrôle sur ma vie. Je les ai laissés faire. Mais que pouvais-je faire ? Tout était si étrange, si déconcertant. Toutes ces personnes nouvelles, ces nouvelles relations, ces soudains, inattendus fais ceci, ne fais pas cela. Avaient-ils tort, ou était-ce moi ? J'étais submergée de culpabilité. Était-il possible qu'ils aient tort tous ensemble et que j'aie raison toute seule ?
Dans ces huit nouvelles, parues en 1991 en Angleterre, l'autrice nous parle de la condition des femmes indiennes. Ce ne sont encore que des fillettes ou alors elles sont devenues adultes et sont à présent des amies, des épouses ou des mères. Mais en Inde ce n'est pas facile de naitre fille.
L'autrice sait nous faire entrer dans l'intimité de ces femmes. Toutes font de la résistance ou se résignent, mais toutes les situations parlent de déception, de soumission, d'effacement, voire de maltraitance.
"Bahu" est mariée et vit sous la coupe de sa belle-famille, qui décide de tout ce qu'elle doit et peut faire. Cela l'éloigne peu à peu de son époux et de ses rêves. Sa belle-mère la critique toujours en cachette et le fils défend sa mère. Bahu ne s'attendait pas à une telle vie quand elle est tombée amoureuse de Siddharth...
Cette nouvelle a fait l'objet d'une édition séparée en dehors de ce recueil.
"Mes seuls dieux" a donné son nom au recueil. Une jeune femme revient sur les lieux de son enfance et se rappelle la petite fille tyrannique qu'elle a été et l'adulation qu'elle portait alors à sa mère, qu'elle étouffait littéralement qui en tombe malade. Le père, travaillant dans l'armée, est souvent absent de la maison, et la petite fille adule de plus en plus sa mère tout en devenant de plus en plus exigeante avec elle. Mais au fait, laquelle des deux ne peut se passer de l'autre ?
Dans la nouvelle intitulée "Sharmaji", Sharma est un simple employé d'une entreprise dans laquelle il travaille depuis 25 ans. Or il juge que depuis, on aurait du le remercier davantage et lui permettre de monter dans la hiérarchie. Il arrive pourtant tous les jours en retard, invente de fausses excuses souvent invérifiables, et passe plus de temps hors de son bureau à discuter avec ses collègues pour se plaindre, ou à les inciter à aller boire un coup à la cafétéria. Il va devoir répondre de son comportement devant la responsable du personnel... C'est une nouvelle pleine d'humour tant il est baratineur et manipulateur.
Dans "Prophétie", deux jeunes amies vont consulter en cachette un astrologue qui leur prend toutes leurs économies pour connaître ce que l'avenir leur réserve. Une des deux, Amrita, est enceinte...et la gynécologue le lui confirme. Elles vont devoir réunir 100 roupies pour payer l'avortement. Or elles sont toutes deux étroitement surveillées depuis leur escapade et elles ne peuvent plus sortir de la résidence universitaire où elles logent : le règlement est très strict. L'angoisse d'Amrita monte de plus en plus, au fur et à mesure que les jours passent...
Dans "Le fantôme de la barsati", il est question de femmes, de mariage arrangé, et d'amour imprévu, de naïveté, d'une femme battue et d'enfants non désirés. Un sahib ne loue sa barsati (une pièce sous les toits de sa maison) qu'à des madratis. Or Rao, le nouveau locataire se plaint d'entendre du bruit toutes les nuits et il pense que la pièce est hantée. Il arrive à faire baisser le prix du loyer. Ramsaran, le domestique est terrorisé à cette idée. Voilà une nouvelle pleine d'humour qui met en avant la crédulité d'un couple face à un être charmant, certes, mais oh combien manipulateur.
Dans la suivante, "Sharmaji et les sucreries de Diwali", le lecteur retrouve Sharma le héros de la nouvelle précédente du même nom. Il ne travaille toujours pas et passe son temps à boire du thé. Il a fini par avoir une promotion, mais il n'est toujours pas content et demande à l'entreprise de donner davantage de sucreries au moment de la fête de Diwali, sans que les employés ne soient obligés de les "mendier". Il va à nouveau manipuler Miss Das, la jeune responsable du personnel. C'est vraiment difficile d'être une femme ayant des responsabilités dans un univers professionnel essentiellement masculin !
Dans "Incantations", Geeti une toute jeune fille recueille les confidences de sa soeur aînée alors qu'elle est bien trop jeune pour cela. Elle, à 12 ans, rêve d'un amour romantique en lisant Jane Eyre. Mais sa soeur lui révèle qu'elle a été violée par le frère de son futur époux quelques jours avant leur mariage. Geeti ne pourra rien faire pour la protéger et portera ce fardeau toute sa vie. Sa jeune tante, gynécologue et indépendante, cherche à l'aider quand elle découvre ce drame des années après...et son impact sur la jeune femme qu'elle est à présent devenue.
Enfin dans "Sa mère" une jeune fille arrive à quitter l'Inde pour l'Amérique afin d'y poursuivre ses études. Sa mère lui écrit, inquiète à l'idée qu'elle se nourrisse mal et qu'elle délaisse les coutumes indiennes...
Comment nos pères déshabillaient ces femmes, dont beaucoup d'entre elles ignoraient les raisons d'un tel rituel ? Est-ce que nos mères ont alors protesté sans rien dire, sans rien dire ? Ou, silencieusement, ont-elles acquiescé sans protester à ce qu'un instinct leur disait de devoir supporter, prêtant l'oreille, pendant l'acte, comme à autant d'incantations, aux lointains refrains des voix de leurs mères psalmodiant, fais ce que ton mari te dit de faire, accepte, supporte. Ou bien peut-être, frappés de timidité et par l'étrangeté de tout cela, nos pères ont-ils parlé à leurs jeunes épousées, les ont initié lentement, délicatement, assumant une expérience qu'ils n'avaient jamais eue ?
L'amour était-il possible ?
Dans ces superbes nouvelles traduites de l'anglais(Inde) par Alain Porte, l'autrice nous décrit l'Inde des années 80, toujours déchirée entre tradition et modernité. Il en est sans doute toujours ainsi de nos jours même si peu à peu la situation des femmes évolue.
Toutes ces nouvelles questionnent la place des femmes dans la société indienne, nous parle du pouvoir de la belle-famille, des mariages arrangés, des tabous autour des viols et des actes de maltraitance, de l'éducation des petites filles, et de la difficulté de prendre ses distances et de devenir indépendantes quand on est une femme y compris dans le monde professionnel.
Ce sont de très beaux portraits de femmes. Elles veulent avant tout être heureuses, connaitre l'amour qui fait battre le cœur et n'acceptent plus les mariages arrangés, ni les enfants non désirés. Elles veulent s'instruire, lire au lieu de consacrer leur temps libre à entretenir une maison (celle des beaux-parents où elles sont encore trop souvent obligées de s'installer).
Malgré les différents sujets abordés, ce n'est pas un recueil triste, la joie transparait dans chacune des histoires. Ces nouvelles sont souvent drôles et émouvantes. Les différentes situations vécues par les femmes, se répondent. L'autrice nous fait pénétrer dans l'ambiance du pays, sentir les odeurs épicés de la cuisine indienne et voir les couleurs flamboyantes des saris.
Les différentes générations sont représentées et souvent opposées. Il est difficile pour les mères et les belles-mères de s'éloigner de l'éducation qu'elles-mêmes ont reçue, mais c'est regrettable qu'elles-mêmes ayant été frustrées ou malheureuses, n'aident pas davantage leurs filles (et leurs garçons !) à s'émanciper. Le poids des préjugés et des rituels est terriblement pesant. Tout ce qui est tabou est tue à jamais qu'ils s'agissent des viols mais aussi des humiliations, des attouchements dans les transports, des propos souvent obscènes. Parler c'est être exclu de la société, c'est faire tomber la honte sur toute la famille.
Il faut noter que dans ces différentes familles plutôt bourgeoises et aisées, puisqu'il n'est pas question de pauvreté dans ce recueil, certaines filles vont tout de même pouvoir choisir de poursuivre leurs études ou de se marier avec l'homme de leur choix.
J'ai beaucoup aimé la plume de l'autrice que je découvre pour la première fois. Elle ne manque pas de finesse pour étudier ses personnages, ni de tendresse ou d'humour pour décrire les différentes situations.
Bien entendu, vous vous doutez bien que dans les nouvelles il est souvent question des dieux (vu le titre), des mythes fondateurs comme le Ramayana tout cela mêlé à une bonne dose de culture anglaise.
Enfin, un glossaire termine le recueil et permet de traduire les mots inconnus.
Je sais que tu ne crois pas aux rites. Mais tout ce que je te demande de faire, c'est d'allumer une lampe le matin, d'allumer un bâton d'encens, de joindre les mains, de fermer les yeux et de penser à la vérité et aux actions justes. C'est tout.
Ah ! La promesse de nos naissances futures où nous pouvons nous racheter des péchés commis dans la présente, qui nous fait accepter les souffrances de cette vie, en croyant que notre douleur est le "karma", conséquence de tous les péchés commis dans l'existence antérieure. Il y a beaucoup à dire sur la philosophie hindoue, sur la croyance qui apporte avec elle résignation et espoir...