Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Il y a dans les histoires quelque chose qui nous permet de mieux appréhender le présent. Quand nous écoutons les tribulations des héros et la façon dont ils en viennent à bout, il nous plus facile d'imaginer survivre aux nôtres. On peut raconter aux enfants un même conte de fées encore et encore, parce qu'il y a dans leur cœur une énigme qu'ils ont besoin de résoudre sans même le savoir...
Il était une fois un charmant village qui recelait un million d'histoires d'amour, de deuil, de paix et de guerre. Un jour, il fut dévoré par un brasier dont les flammes léchaient le ciel. Le feu dévasta tout, ne s'arrêtant qu'à la mer, où il se retrouva face à son reflet.
Irini sait que la vie ne sera plus jamais la même...Elle sait pourtant qu'ils ont beaucoup de chance d'être encore en vie et c'est pour cela qu'elle fait tout son possible pour accepter le quotidien, tel qu'il est, panser les plaies de sa petite Chara qui est physiquement et moralement traumatisée, ainsi que celles de Tasso, son mari, qui s'installe tous les matins sous le figuier quelle que soit la température extérieure, les deux mains bandées posées sur ses genoux, se demandant s'il pourra un jour peindre à nouveau.
Car Irini a eu une vie avant le drame qui a touché toute sa famille et une grande partie de la population de ce petit coin idyllique de Grèce. Ce drame c'est le terrible incendie qui a ravagé la côte et a tout détruit sur son passage, leur maison, la forêt, la nature et ses petits habitants, des êtres aimés... mais aussi l'espoir d'une vie nouvelle.
Dans son journal, où elle se livre au jour le jour et qu'elle a intitulé "le livre du feu", Irini tente de se reconstruire, de trouver un sens à sa nouvelle vie et elle raconte, le feu, le vent, la fuite éperdue vers la mer, ceux qui les aident, ceux qui n'arrivent pas à franchir les clôtures des villas qui condamnent l'accès aux plages, l'angoisse de ne pas savoir où est Tasso, parti aider son propre père, les heures d'attente dans l'eau alors que ni elle ni sa petite fille Chara n'ont pied en attendant les secours qui finiront par arriver...trop longtemps après pour certains.
En parallèle de ces flashbacks qui reconstituent leur histoire, l'autrice nous raconte ce qu'est devenue la vie d'aujourd'hui, telle qu'elle est avec ses doutes, ses hauts et ses bas et l'espoir ténu mais présent de s'en sortir.
Puis le récit remonte beaucoup plus loin dans le passé pour nous parler d'abord de la rencontre entre Irini et Tasso alors qu'ils ne sont que deux enfants, puis de leur vie de couple et de famille. Irini enseigne la musique et aime jouer du bouzouki ayant appartenu à son arrière-grand-père, qui l'avait taillé lui-même. Tasso est artiste peintre et prend un plaisir quotidien à explorer la forêt qui entoure leur maison et à la peindre comme s'il se doutait qu'un jour elle ne serait plus là.
Maintenant les tableaux arrachent des larmes aux visiteurs...
Tous connaissaient le coupable mais n'ont rien vu venir. Il s'agit d'un promoteur immobilier qui a voulu incendier la parcelle sur laquelle il désirait bâtir un hôtel, mais ce jour-là il n'a pas réussi à maîtriser le feu : trop de vent, une forêt pas entretenue depuis longtemps, une sécheresse intense et durable, des pompiers qui ne sont pas intervenus à temps, la liste est longue des coupables de ce drame dans lesquels toutes les familles ont perdu un être cher et doivent à présent panser leurs blessures visibles ou invisibles.
Mais voilà qu'Irini croise le coupable dans la forêt dévastée, il a une corde autour du cou mais il vit encore. Tentative de suicide ou lynchage de la population ?
Que peut-elle faire et surtout que va-t-elle faire ?
Mes instruments à moi ont tous brulé. Mon piano et ma contrebasse, ma clarinette et ma harpe : disparus. J'ai songé avec émotion au bouzouki de mon arrière-grand-père, celui qui l'avait suivie dans son exode lorsqu'il avait fui la Turquie pour la Grèce, en 1923...
Il est impossible de restaurer ce qui a été réduit en cendres.
C'est dangereux de tout voir en noir et blanc, même_ et peut-être surtout_ en temps de troubles. Chaque côté a des souvenirs et des traumatismes, réels ou imaginaires, qui le portent à haïr l'autre. Et ces histoires sont assimilées par les peuples jusqu'à devenir des récits nationaux. Les deux parties se diabolisent mutuellement. Le coupable, c'est toujours l'autre, une certitude qui alimente la colère des hommes, des groupes et des gouvernements. ça n'amène jamais rien de bon sur cette Terre.
Voilà une autrice dont j'avais beaucoup apprécié "Les oiseaux chanteurs", présenté ICI sur le blog.
Aussi, quand j'ai vu que son dernier roman était disponible à la médiathèque, je n'ai pas hésité une seconde. Pour info, je n'ai toujours pas lu son premier roman "l'apiculteur d'Alep" parce qu'il est toujours emprunté mais sa lecture fait partie de mes projets.
Dans ce roman qui mélange plusieurs temps en un même lieu, la Grèce, Christy Lefteri alterne donc plusieurs voix et plusieurs époques. Elle explique avoir eu envie d'écrire ce roman suite aux incendies qui ont ravagé Athènes puis l’île d’Evia.
Dans le journal d'Irini, l'autrice emploie la troisième personne du singulier (elle) ce qui permet de prendre de la distance avec l'histoire vécue. Elle emploie par contre la première personne quand Irini parle du présent. Je n'en ai pas été déroutée car je l'ai réalisé alors que j'étais au milieu du roman, mais j'ai vu sur Babelio, que certains lecteurs avaient été gênés par cette formulation particulière, donc vous voilà prévenus.
L'autrice au delà de son engagement personnel autour du réchauffement climatique et des responsables locaux (de nombreuses personnes auraient pu être sauvées si les accès à la mer avaient été préservés et non clôturés) a choisi de privilégier l'intime, la vie de cette petite famille qui tente de se reconstruire, sans pour autant occulter le côté humain, la solidarité, l'entraide qui unit la petite communauté après le drame.
Elle n'oublie pas de faire quelques rappels historiques concernant l'histoire du pays.
Mais l'intérêt du livre est de réfléchir à la responsabilité de chacun dans cette affaire. Certes le promoteur pyromane est responsable mais quid des autres, comme par exemple des policiers qui interdisent aux gens de franchir les clôtures car ce sont des propriétés privées alors que le feu est tout proche et que la seule manière d'y échapper est de se jeter à l'eau !
J'ai aimé ce livre qui malgré le drame et les moments où notre cœur bat plus vite et ceux où nous nous révoltons, reste facile à lire. Il nous parle d'une triste actualité qui bien entendu concerne surtout les gens du sud, en ce qui concerne les incendies, mais dont nous devons tous pourtant entendre le message : nous sommes tous responsables de ce que nous faisons subir à notre planète !
J'ai ressenti cependant un peu moins d'empathie pour les personnages et j'ai moins vibré qu'à la lecture de son roman précédent mais il reste tout à fait intéressant à découvrir !
Je marche lentement jusqu'à la mer. En chemin, je remarque une chose à laquelle je n'avais pas réellement prêté attention : le silence. L'immense silence de la forêt morte...
Mes pas ne produisent aucun son.