Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Parfois, la terre nous parle. Elle nous transmet un message. Encore faut-il être capable de la regarder et de l'écouter avec notre âme d'enfant.
Les pleurs mystérieux la tirèrent de nouveau de son lit. Elle sortit dans le jardin, cette fois par la porte-fenêtre de sa chambre. La nuit était claire et froide et il y avait du gel dans l'air. Les étoiles formaient un dôme au-dessus d'elle. Il n'y avait pas un souffle de vent. Elle tendit l'oreille, aux aguets, cherchant à localiser la source du bruit. Encore une fois il semblait venir de partout : des feuilles, des branches et de l'écorce, et aussi des racines. Il coulait, pareil à une rivière souterraine, pareil au chant profond des arbres. Mais il venait également d'en-haut, de la trame même du ciel, des ondes et des particules qui constituent les êtres, il voyageait sur les ailes des chauves-souris et des chouettes, et plus haut, bien plus haut, il venait des étoiles.
Voici un auteur que je voulais découvrir depuis longtemps. J'ai beaucoup entendu parler de son premier roman "L'Apiculteur d'Alep" que je n'ai encore pas lu et donc, quand Babelio m'a sélectionné pour recevoir celui-ci, je n'ai pas hésité une seconde et je n'ai pas été déçue.
Pendant des années, j'avais oublié les paroles de mon père. Et elles me revenaient d'un coup. "Souviens-toi que nous avons tous quelque chose en commun, c'est l'eau qui nous traverse"...
Nous sommes à Chypre en 2016.
Petra se réveille un matin et découvre que Nisha, la jeune sri-lankaise qu'elle emploie depuis des années chez elle pour s'occuper de la maison et d'Aliki, sa fille, a mystérieusement disparu.
La veille, elles sont allées toutes les trois faire une balade en montagne, mais quand Nisha lui a demandé la possibilité de s'absenter en soirée, Petra a refusé.
Où a-t-elle pu aller ? Est elle retournée chez elle sans prévenir, pour revoir sa petite fille qu'elle a laissée là-bas pour venir travailler sur l'île, comme tant d'autres femmes étrangères ? Mais alors pourquoi est-elle partie sans son passeport et sans les souvenirs les plus précieux qu'elle possédait ?
Petra pressent tout de suite que quelque chose ne va pas, car Nisha ne serait jamais partie sans dire au revoir à Aliki à laquelle elle est très attachée. Elle se rend donc à la police qui refuse de prendre sa disposition. Les policiers pensent que Nisha est une employée de maison comme tant d'autres, à qui on ne peut pas faire confiance. Ils sont persuadés qu'elle est tout simplement partie au nord, où elle sera mieux payée.
Mais Petra n'y croit pas...
Les questions font peu à peu place à l'inquiétude d'autant plus que Yiannis, le locataire de Petra qui vit au premier étage de la maison, n'a pas vu Nisha lui non plus, et a l'air bouleversé par sa disparition. Il pense en effet qu'elle s'est sauvée après sa demande en mariage de la veille. L'a-t-il réellement effrayée en l'obligeant à faire un choix ?
Petra découvre que tous les deux avaient une liaison, tenue secrète car Nisha avait peur de perdre sa place. Elle réalise peu à peu qu'elle a vécu en égoïste pendant toutes ces années sans se soucier, ni des états d'âmes de Nisha, ni de qui elle était vraiment. Elle prend conscience que même si elle a été un employeur "modèle" par rapport à d'autres sur l'île, qu'elle est ouverte et tolérante, elle a laissé peu de place à Nisha en tant que personne. Pourtant toutes deux auraient pu avoir d'autres relations, elles étaient mères toutes les deux d'une petite fille, et avaient perdu un mari qu'elles aimaient dans des conditions tragiques. Cela aurait pu les rapprocher...
Très vite, Yiannis finit par avouer qu'il vit de braconnage, qu'il participe à la destruction de milliers de petits oiseaux migrateurs et appartient à un réseau mafieux dangereux qui le prive de toute liberté d'action. Nisha voulait le voir cesser cette activité illégale et a peut-être pris des risques inconsidérés. Lui qui voulait tant, pour elle, changer de vie, voit ses rêves s'effondrer.
Ils unissent alors leur force pour enquêter...et ce qu'ils vont découvrir sur Nisha les changera à jamais.
Qui était cette femme qui chantait dans une langue étrangère ? D'où était-elle ? De quoi rêvait-elle avant de venir ici ? Toutes ces questions me ramenaient à Nisha. Je me rendais compte que je n'avais jamais pensé à elle en ces termes, que j'avais refusé de voir qu'elle était un être humain avec ses peines et ses espoirs. Je le savais, mais cela restait très théorique et très lointain. Je ne l'avais jamais ressenti dans mon coeur.
"Les enfants découvrent le monde à travers nos yeux. S'ils y lisent du bonheur, de la joie ou de l'amour, ils savent que tout cela existe".
Je compris que c'était son cadeau à ma fille. Aliki avait appris à voir le monde à travers le regard de Nisha.
C'est un roman qui se lit d'une traite. Le ton est juste et l'auteur sait de quoi elle parle quand elle nous raconte la vie sur l'île car elle est d'origine chypriote et, une partie de sa famille y vit toujours. De plus, comme elle le mentionne à la fin du roman, elle s'est inspirée d'une histoire vraie pour nous raconter la disparition de Nisha.
L'histoire démarre tout doucement et le récit alterne les voix de Petra et de Yiannis qui peu à peu nous content leur histoire. Le lecteur apprend tout de leur passé, comment ils en sont arrivés-là, mais découvre aussi la vie de Nisha à travers la voix de l'un ou de l'autre.
J'ai trouvé certains passages très émouvants et poétiques, d'autres mériteraient d'être un peu plus approfondis mais à nous de nous documenter ailleurs, il s'agit d'une fiction et donc l'auteur ne peut pas tout dire.
J'ai aimé les retours vers le passé, vers un temps où l'île était encore davantage sauvage, où les gens vivaient de leurs propres récoltes, ou d'élevage.
Je me suis attachée aux personnages ce qui m'a permis d'entrer à fond dans leurs histoires.
J'ai aimé le personnage de Nisha qui sait rester une mère pour sa fille Kumari, même à distance. J'ai aimé les souvenirs qu'elle raconte à Yiannis quand ils sont ensembles. Les pages où elle lui parle de la mort de sa jeune sœur, de son veuvage et des difficultés financières qui ont suivi, puis de sa décision douloureuse, et de son départ pour Chypre, sont particulièrement émouvantes. La vie durant sa jeunesse, la culture du riz, le dur travail dans les mines, tout cela sonne juste et apporte un peu de répit dans le déroulé de l'histoire, car le suspens est bien présent et l'angoisse monte d'un cran à chacun des rebondissements.
Les rebondissements sont judicieusement distillés, et de courts chapitres alternent avec le récit et nous décrivent un lieu qui s'avèrera avoir son importance dans l'histoire.
Le personnage de Petra m'a prodigieusement dérangé au début du roman. Elle est devenue plus sympathique au fur et à mesure. J'ai compris son histoire personnelle, la souffrance vécue à la mort de son mari, la relation particulière et distante qu'elle entretient avec sa fille. Cela n'excuse en rien son comportement égoïste et son aveuglement, ni le fait qu'elle ne se soit jamais vraiment intéressée à son employée, mais j'ai trouvé que son personnage sonnait juste. C'est ainsi que cela se passe à Chypre et malheureusement dans beaucoup de pays d'Europe (et ailleurs dans le monde) où les employées de maison sont exploitées, et les plus aisées des familles autochtones, profitent de l'immigration étrangère pour avoir des "esclaves" à domicile.
L'auteur dénonce l'exploitation des femmes étrangères qui, comme Nisha, travaillent dans l'ombre. Leurs témoignages sont bouleversants de vérité. Elles sont silencieuses et soumises, invisibles même et se font exploiter par des patrons irrespectueux. Il s'agit sur l'île d'un véritable trafic humain. Ces femmes arrivent à Chypre grâce à des agences de placement qui ne se préoccupent plus du tout de leur sort. Elles doivent payer des sommes astronomiques et ont donc des dettes impossibles à rembourser puisqu'elles veulent d'abord envoyer de l'argent à leur famille. Elles sont donc dans des conditions psychologiques telles, qu'elles en arrivent à accepter l'inacceptable.
L'auteur décrit aussi avec réalisme les rouages de ce braconnage immonde dont je connaissais l'existence, qui détruit des milliers d'oiseaux chaque année (Plus de 300 000 oiseaux en 2018 par exemple ont été pris dans les filets des braconniers). Il est bien loin le temps où les paysans par nécessité, fabriquaient des pièges avec des baguettes enduites de glue et plaçaient des appeaux mécaniques pour attirer les oiseaux. Le soir en ce temps-là, les hommes ne rapportaient de leur chasse qu'une dizaine d'oiseaux à la maison, juste pour nourrir leur famille en hiver. C'était une tradition qui respectait la nature et ses ressources. Aujourd'hui c'est un commerce juteux qui rapporte gros.
J'avoue avoir été écœurée, même si j'en connaissais déjà tous les détails, par la lecture des pages concernant cette "chasse" nocturne pratiquée encore aujourd'hui alors qu'elle est interdite. La manière dont les oiseaux sont pris dans les filets, puis tués et ensuite triés et mis dans les frigos, est terriblement violente. Distribués ensuite à différents clients, ils sont servis "en secret" dans les restaurants de l'île. Tout cela sous le nez des autorités qui bien entendu ferment les yeux. J'ai appris en lisant un article sur Géo ICI, datant de 2017, que les oiseaux étaient vendus à la douzaine pour 40 € et que le plat d'ambelopoulia était ensuite proposé au client pour 80 €.
L'île est paradisiaque pour les touristes, mais a eu une histoire mouvementée. Le territoire est aujourd'hui coupé en deux et séparé par la ligne verte encore nommée "ligne Attila". Depuis 1974, le Nord est occupé par la Turquie. De ce contexte particulier découle différents problèmes ethniques, économiques, culturels. Le brassage des populations locales a marqué les esprits. Si l'auteur décrit les paysages avec beaucoup de poésie, elle approfondit peu cependant certains des aspects économiques mais nous donne envie d'aller nous documenter pour en savoir plus.
L'auteur a voulu décrire la situation particulière du pays en 2016, sortant à peine d'une période de récession économique qui a provoqué une hausse du chômage et la paupérisation d'une partie de la population du sud de l'île. Beaucoup comme Yiannis (qui était banquier) se sont alors tournés vers des activités parallèles pour survivre...ce qui n'excuse rien bien entendu.
J'ai trouvé ce roman prenant et écrit avec beaucoup d'humanité. L'auteur dénonce avec réalisme ces pratiques d'un autre âge et la corruption qui gangrène son pays. Bravo à elle pour son engagement.
Merci à Babelio et à l'éditeur, de m'avoir permis de découvrir ce livre dès la sortie en librairie.
C'est une vision féérique. L'eau est teintée par le cuivre qui suinte du sous-sol. Un legs des anciennes mines. Lorsque l'exploitation a cessé, il est resté un cratère, qui chaque année, à l'approche de l'hiver, se remplit. Après l'orage, des rivières jaunes et orange ruissellent dans le lac rouge, créant ce somptueux coucher de soleil.
Pourquoi pas un lever de soleil ?
Parce que c'est la promesse d'un jour nouveau.
Le coucher de soleil, lui, annonce le silence et l'obscurité de la nuit. Le lac est suspendu au bord des ténèbres.
Si je remontais le fleuve, trouverais-je Nisha au sommet, blottie dans ses vêtements chauds ? Trouverais-je mon père et mon grand-père parmi les moutons, chaussés de hautes bottes pour pouvoir marcher à travers champs, leur chiens sur les talons ? Les troupeaux passaient librement, en ce temps-là. Les limites entre les propriétés étaient fluides, il n'y avait pas de barrières, simplement des haies naturelles de romarin et de thym qui divisaient les terres...