Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Il suffisait à Carney de marcher cinq minutes dans n’importe quelle direction, et les maisons de ville immaculées d’une génération donnée devenaient les maisons de shoot de la suivante, des taudis racontaient en chœur le même abandon, et des commerces ressortaient saccagés et détruits de quelques nuits d’émeutes. Qu’est-ce qui avait mis le feu aux poudres, cette semaine ? Un policier blanc avait abattu un jeune Noir de trois balles dans le corps. Le savoir-faire américain dans toute sa splendeur : on crée des merveilles, on crée de l’injustice, on n’arrête jamais.
De l'auteur, j'avais beaucoup aimé découvrir "Underground Railroad", présenté ICI un titre qui avait été couronné par le prestigieux Prix Pulitzer, le National Book Award, et le prix Arthur C. Clarke, en 2017 et "Nickel Boys", présenté ICI qui avait obtenu le Prix Pulitzer 2020 et avait été élu "Meilleur livre de l'année" par la presse américaine.
J'étais donc ravie d'emprunter ce dernier titre à la médiathèque.
A noter : Harlem Shuffle est le titre d'une chanson de Rythme & Blues écrite et enregistrée à l'origine par le duo Bob & Earl en 1963. Elle a été reprise ensuite par les Rolling Stones en 1986.
Carney n'était pas un voyou, tout juste un peu filou...
Certes, il ressentait un petit frisson lorsqu'il transformait ces biens mal acquis en marchandises légales, une décharge dans les veines comme s'il mettait les doigts dans une prise, mais il gardait le contrôle. Même si c'était puissant, étourdissant. Nous avons tous des recoins secrets et des ruelles inaccessibles aux autres...
Un soir, Freddie lui confia qu'il se sentait tout petit sous les étoiles. Leur connaissance des constellations se limitait aux deux Ourses et à la Ceinture d'Orion, mais il n'est pas nécessaire de connaître le nom d'une chose pour savoir l'effet qu'elle produit sur vous, et Carney ne se sentait ni minuscule ni insignifiant sous les étoiles, il se sentait accepté. Les étoiles avaient leurs places et lui avait la sienne.
Ce roman est une fresque sociale de Harlem dans les années 60. Harlem est le personnage principal de ce livre et le lecteur découvre le quartier en plein déclin.
Raymond (Ray) Carney, le personnage secondaire donc, est un père de famille aimant et rangé qui tient un magasin de meubles et d'électroménager, sur la 125° Rue. Sa femme Elisabeth, travaille dans une agence de voyages qui organise des escapades uniquement pour les noirs, sans danger pour eux de se faire rejeter.
Parfois pour les radios et téléviseurs, Ray s'approvisionne chez "Aronowitz & sons" avec des objets "tombés du camion". Mais ses comptes sont clean.
Il va se retrouver mêlé sans l'avoir voulu à des affaires louches, quand son cousin Freddie lui propose de participer au cambriolage du célèbre hôtel Theresa (le Waldorf de Harlem...).
Le problème de Ray est que, d'une part, il est connu dans le milieu car il est le fils d'un homme de main, certes aujourd'hui décédé, mais qui était lié à la pègre locale. D'autre part, il est très lié à Freddie car enfant, à huit ans, Ray a perdu sa mère et comme son père était toujours absent, il a été élevé par sa tante, la mère de Freddie.
Ray veut bien accepter de revendre certaines marchandises apportées par son cousin, sans lui en demander l'origine, mais il ne veut pas aller plus loin.
Il sera pourtant bien obligé de participer, car Freddie a déjà raconté à tout le monde que son cousin seul pourrait écouler toute la marchandise !
Comment Ray, va-t-il s'en sortir, tout en préservant sa petite famille et sa femme qui ne se doute de rien ?
Cette tournée en compagnie du flic menait Carney dans des lieux qu'il voyait tous les jours, des établissements à deux pas du sien devant lesquels il passait depuis qu'il était enfant et qui n'étaient en réalité que des façades. Ces portes constituaient les entrées d'une ville différente_ ou plutôt les différentes entrées d'une immense ville secrète.
C'est un roman noir parfois drôle mais également violent qui dépeint la vie du quartier et de la communauté noire avec beaucoup de justesse. L'auteur s'est documenté avec sérieux pour mieux connaitre ce quartier dans les années 60. Il nous décrit le quartier en détail et le lecteur se retrouve dans les rues, comme s'il y était. Les différents protagonistes doivent sans cesse assurer leurs arrières, préparer en finesse leurs vengeances, et se battre pour accéder à l'ascenseur social, tout cela parce qu'ils sont noirs.
L'ambiance est électrique car tout peut basculer à chaque instant comme ce jour de 1964 où un adolescent noir est abattu par un policier blanc, qui sera bien entendu relaxé très vite, et que Harlem s'enflamme.
La lutte des classes, la pauvreté, le racisme (y compris intra-communautaire dont Ray est victime dans sa propre famille), la drogue, les démerdes du quotidien mais aussi la corruption, le pouvoir et les règlements de compte sont les thèmes de ce roman qui se lit comme un véritable page-turner.
Le lecteur va au fil des pages croiser toute une série de truands dont l'auteur tire des portraits "savoureux" : "Chink Montague" habile à manier le coupe-chou, "Pepper" vétéran de la Seconde Guerre mondiale qui va devenir le garde du corps de Ray, "Miami Joe" toujours vêtu de son costume violet, et une bonne brochette de flics véreux, comme "Munson", en quête d'enveloppes remises sous le manteau.
Malgré cela, je reconnais quelques bémols dans mon appréciation globale.
Si j'ai aimé découvrir l'ambiance quasi cinématographique de Harlem dans les années 60, vue de l'intérieur par la vie de cette famille unie, j'ai trouvé beaucoup trop de longueurs dans certaines pages (je m'y suis donc un peu ennuyée), je n'ai pas tout compris de certaines allusions et références de l'auteur (par manque de culture américaine sans aucun doute, et en particulier newyorkaise, je l'avoue) et je me suis parfois perdue parmi les différents personnages que j'ai trouvé un peu trop caricaturaux.
De plus, je ne me suis attachée à aucun des personnages ce qui a gâché mon plaisir de la découverte. J'ai donc un avis mitigé sur cette lecture mais je pense qu'elle pourra plaire à d'autres lecteurs qui comme moi aiment cet auteur et à tous ceux qui connaissent Harlem.
Roman traduit de l'américain par Charles Recoursé.
Une enveloppe est une enveloppe. Une seule personne perturbe sa circulation, et c'est tout le système qui s'écroule.
Finalement, ce n'était peut-être pas les enveloppes qui faisaient tourner la ville, plutôt les rancœurs et les vengeances.