Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Je nous voyais comme des lanceurs d'alerte de la cause animale, qui en avait bien besoin. J'avais l'impression de faire ma part, à ma manière. Plus, en tout cas, qu'en tant que garde de parc national. Plus, aussi, que ces soi-disant ministres de l'Ecologie qui toujours finissaient par s'écraser face aux lobbies des chasseurs dinant à l'Elysée aussi facilement qu'au restaurant du coin.
Avec amertume, je me suis souvenu de l'époque où j'avais intégré le parc national, du jeune garde que j'étais à mes débuts, persuadé d'avoir trouvé là le boulot de mes rêves. Sûr que j'avais déchanté depuis ce temps-là, compris que la nature, les hommes étaient plus forts pour la détruire que pour la préserver, parc national ou pas.
Je vous présente encore aujourd'hui un polar noir, parfait pour cette fin de semaine !
Martin est garde dans le parc national des Pyrénées. Depuis quelques temps, il doute de l'efficacité de son travail de suivi des ours, dont il est pourtant le spécialiste. En effet, depuis un an et demi, il n'a plus aucune nouvelle de Cannellito, le dernier ours ayant encore un peu de sang pyrénéen dans les veines. Les chasseurs ont malheureusement tué Cannelle, sa mère, en novembre 2004. Elle était la dernière ourse de pure souche pyrénéenne.
Lui, on ne le voit plus sur les caméras, on ne trouve plus aucune trace de sa présence : ni poils, ni empreintes, ni déjections. Martin est donc persuadé à présent que les chasseurs l'ont tué lui-aussi.
Depuis qu'il doute, Martin devient aigri, il en veut à la terre entière et en particulier aux chasseurs qui déciment la faune sauvage.
Son humeur s'aggrave lorsqu'il tombe sur internet sur la photo d'une jeune femme blonde posant devant la dépouille d'un lion, un arc de chasse à la main. Bizarrement, cette jeune femme surnommée "Leg Holas" est inconnue des réseaux sociaux. Martin décide de mener une enquête pour découvrir sa véritable identité.
De son côté, la jeune femme est très en colère que cette photo, prise par son père, ait été partagée sur les réseaux sociaux. Comme elle s'y attendait, elle est copieusement insultée par les opposants à la chasse qui la juge sans rien savoir des circonstances de ce "prélèvement" qui était pourtant autorisé. Cette chasse, en effet, avait été offerte par son père pour son anniversaire, rien que ça (!) et Apolline avait donc le droit pense-t-elle de la pratiquer sans arrière-pensée. De plus, elle avait été autorisée car ce lion était responsable du massacre de troupeaux entiers dans la région. Les éleveurs déjà pauvres n'avaient plus de quoi subsister et nourrir leur famille.
Mais la chasse, après une traque épuisante pour les deux parties, a tourné au drame. Le lion a provoqué la mort d'une jeune fille innocente et Apolline ne s'en remet pas.
Martin va enfin trouver une piste et se décider à la suivre, il veut se venger pour tous ces animaux tués dans des circonstances dramatiques, et donc dénoncer cette jeune femme en révélant son identité au grand jour, car il se doute qu'elle appartient à une élite richissime qui se croit tout permis.
Mais avant de la donner en pâture aux internautes... il conçoit un plan machiavélique.
Depuis le ciel, je détaille ces étendues qui semblent n'avoir aucune frontière, où le rouge, le jaune et l'ocre se disputent l'espace en entrelacs confus, lézardées par les méandres de rivières asséchées, comme si Dieu les avait dessinées pour nous faire croire que oui, de l'eau avait un jour coulé sur ces lits de cailloux.
Franchement, moi, j'ai honte de faire partie de l'espèce humaine. Ce que j'aurais voulu, c'est être un oiseau de proie, les ailes démesurées, voler au-dessus de ce monde avec l'indifférence des puissants. Un poisson des abysses, quelque chose de monstrueux, inconnu des plus profonds chaluts. Un insecte, à peine visible. Tout sauf homo sapiens. Tout sauf ce primate au cerveau hypertrophié dont l'évolution aurait mieux fait de se passer. Tout sauf le responsable de la sixième crise d'extinction qu'aura connue cette pauvre planète
L'auteur nous offre ici un roman noir haletant, un thriller époustouflant, une traque sans aucune respiration dans laquelle alternent les voix des différents protagonistes : Charles le lion ; Kondjima le jeune autochtone vivant en Namibie qui rêve de tuer le lion pour venger son père qui a perdu son troupeau et peut être, voir ses rêves se réaliser ; Apolline la jeune femme qui aime chasser à l'arc et Martin le garde du Parc donc.
Le lecteur voyage entre la vallée d'Aspe dans les Pyrénées et le désert du Kaokoland en Namibie.
Colin Niel nous fait entrer dans un milieu que je ne connaissais pas du tout, celui des chasseurs de grands prédateurs, qui paient pour pouvoir "prélever" un animal et ramener un trophée chez eux.
L'auteur expose des faits et des solutions mais ne porte pas de jugement sur le comportement des chasseurs. Il s'amuse même à évoquer les arguments des uns et des autres sans jamais prendre parti...ce qui interpelle forcément le lecteur. Il nous oblige à nous interroger sur ces activités de loisirs de riches qui ne concernent que très peu de personnes mais sont sources de conflits incessants localement même si les autochtones sont victimes de ces prédateurs qui déciment leurs troupeaux. L'auteur s'interroge aussi sur l'utilité de la chasse dans notre pays, donne le point de vue de ses adeptes et de ses détracteurs.
Bien entendu, vous vous en doutez il est question dans chacun des chapitres de biodiversité, de la place de l'homme dans la nature, et de la préservation de la planète.
L'auteur n'hésite pas à mettre aussi les hommes face à leur choix de vie et à leur propre contradiction, et à nous montrer la noirceur qui existe en chacun de nous et qui parfois peut prendre le dessus pour guider nos actes...comme ce sera le cas pour Martin. Mais je ne vous en dis pas davantage.
C'est un excellent thriller, que j'ai beaucoup aimé comme j'avais aimé du même auteur "Darwyne" lu récemment et présenté ICI, et "Seules les bêtes", présenté ICI.
Deux autres avis enthousiastes ICI, chez Kathel et ICI chez Violette et des avis plus nuancés comme d'habitude sur Babelio.
Je les ai regardés, tous autant qu'ils étaient, dans cette pièce aux murs couverts de cartes IGN et de photos de nos exploits soi-disant protecteurs de la nature, l'un posant au-dessus d'un isard anesthésié, l'autre devant les tout nouveaux panneaux du parc national, censés expliquer aux visiteurs ce qu'ils avaient le droit de faire ou de ne pas faire, comme si ça changeait quelque chose à l'inexorable déclin des espèces animales et végétales. J'ai observé leurs visages pleins d'enthousiasme et de naïveté, avec une boule acide en train de grandir dans mon ventre. J'ai dit :
C'est vous qui faites chier. Vous comprenez vraiment rien.
Et j'ai quitté la pièce en les maudissant tous.