Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
A son avis, les beaux-pères se sont toujours des mauvaises personnes : il y en a des plus grands que d'autres, des plus forts, des plus calmes, des qui rigolent, des qui crient, des qui jouent les gentils pour l'amadouer ou se faire mousser devant la mère, mais au fond, ils sont tous pareils. Avec le temps et les souvenirs qui s'accumulent, Darwyne a appris à ne plus se faire d'illusions à ce sujet : il sait comment les choses commencent et comment elles se finissent...
Darwyne a dix ans et un handicap qui le rend plutôt solitaire d'autant plus que sa mère et son maître lui attribuent tout une liste d'autres défauts. Sa véritable passion, et son terrain de jeu favori, c'est la forêt amazonienne dans laquelle il s'introduit même la nuit. Le carbet dans lequel il vit avec Yolanda, sa mère, est situé dans un bidonville de la ville appelé Bois Sec, juste en lisière de cette forêt.
Le petit garçon est très attaché à sa mère, une femme superbe qui travaille dur pour assurer à son fils une vie digne et le voir réussir en classe, mais qui ne sait pas rester seule, et qui multiplie les conquêtes ce dont Darwyne est très jaloux. Un nouveau beau-père vient d'arriver, c'est le numéro 8 comme le surnomme le jeune garçon, qui ne se fait pas beaucoup d'illusions à son sujet. Il faut dire aussi que le plus souvent, il est maltraité par ses beaux-pères...il a donc des raisons de se méfier.
C'est suite à une plainte anonyme, concernant le jeune garçon, que Mathurine, une employée de la protection de l'enfance est dépêchée sur les lieux afin de clore le dossier qui avait été jugé sans suite, lors d'une précédente évaluation sociale effectuée par une de ses collègues qui a à présent quitté la région.
Mathurine va avoir du mal à s'y retrouver dans les témoignages contradictoires, d'autant plus que sa propre vie est loin d'être simple puisqu'elle cherche à se retrouver enceinte et multiplie les tentatives de FIV. Mais elle ne va pas s'avouer vaincue par la facilité avec laquelle le petit garçon se défile pour répondre aux questions, ni succomber au charme de sa mère qui, elle s'en doute, ne lui dit pas toute la vérité.
Elle va creuser, et découvrir que Yolanda est loin d'être une mère aussi parfaite qu'elle en a l'air, et que Darwyne, est prêt à tout pour être enfin aimé par sa mère malgré le fait qu'elle a réussi à le persuader avec cruauté qu'il n'était qu'un "sale petit pian dégueulasse" comme elle le surnomme en cachette.
Et le petit garçon, lui, qu'a-t-il à cacher ?
L'amour de la forêt amazonienne, que Mathurine connait bien va l'aider à découvrir la vérité sur cette affaire complexe...
Rien d'étonnant, Mathurine a l'habitude : les pauvres, ils ne connaissent que leurs bicoques de tôle et de bois. Et pourtant elle soupire intérieurement. Se dit qu'en vérité, il y a quelque chose de terrible dans cette coupure entre ces jeunes et l'immensité du monde vivant qui les entoure. Que c'est l'un des grands drames de l'humanité moderne, que plus personne ne soit capable de mettre un nom sur le moindre volatile. Que c'est cette ignorance qui pousse les humains à détruire cette part du monde qu'à présent ils appellent "nature", qui au fil des siècles leur est devenue étrangère.
Elle se souvient des chants pratiqués par les amérindiens pour attirer le gibier. Elle se souvient que pour beaucoup d'entre eux, le monde animal est plus vaste que ne le décrivent tous les ouvrages, qu'il existe plusieurs sortes de jaguars, de nombreuses variétés de pécaris. Des formes bien plus diverses, sans compter les intermédiaires, toutes les métamorphoses possibles entre espèces pas si séparées que ça, humains compris d'ailleurs.
J'avais beaucoup aimé le précédent roman de l'auteur "Seules les bêtes" présenté ICI sur mon blog, et je suis ravie d'avoir pu emprunter celui-ci à la médiathèque. Je l'ai en effet découvert grâce à la chronique d'Aifelle ("Le goût des livres") ICI.
J'aime la plume de cet auteur, le fait qu'il nous fasse toujours voyager comme ici en Guyane, nous emmène dans la forêt découvrir les animaux mais aussi s'immerger dans ses mystères.
La forêt fait en effet partie intégrante du décor, elle est un personnage à part entière, elle vit, respire, se montre tour à tour protectrice ou dangereuse, envahissante et inquiétante. Le lecteur y découvre des créatures magiques bien connues des peuples d'Amazonie qui vont donner au roman un petit côté fantastique qui ne m'a pas dérangée du tout.
J'ai beaucoup aimé la personnalité marquante de ce petit garçon qui vit un drame humain terrible qui nous sera révélé au fur et à mesure du roman. Sa situation est déchirante et semble sans issue. Cet enfant qui présente un handicap à la naissance, va être accueilli par le monde sauvage davantage que par le genre humain qui le considère comme un enfant attardé, alors que dans la forêt, il prouve à chaque instant son intelligence, son sens particulièrement fin de l'observation, et ses connaissances, toutes acquises sur le terrain. La nature le protège des hommes.
Mais j'ai aussi beaucoup aimé Mathurine, pour sa générosité, sa manière bien à elle d'approcher l'enfant pour le faire parler...C'est une belle personne, touchante, entière, qui n'a pas peur d'aller vers les gens et de tenter de comprendre leur histoire sans porter de jugement sur leurs actes.
L'auteur décrit avec réalisme la vie des habitants de la Guyane et dresse un portrait sans concession de la société guyanaise, de ses travers et de ses contradictions. Il insiste en particulier sur l'incompétence et l'impuissance des services sociaux de protection de l'enfance, mais aussi sur le manque de réflexion autour de l'extension des zones urbaines, enfin sur l'immigration illégale, la pauvreté, et les violences familiales...
Il étudie avec beaucoup de finesse la psychologie de ses personnages et en particulier la relation toxique que Yolanda entretient avec son fils.
Le ton est très juste et le lecteur est touché en plein coeur par ce petit garçon pas comme les autres et son histoire profondément humaine. Mais attention ce roman social noir et sombre est par certains côtés très dérangeant et psychologiquement violent, vous êtes prévenus.
Jamais il n'irait dire cela, ni à la mère ni à personne d'autre, mais ce qu'il entend d'abord, c'est la lisière débroussaillée en train de guérir de ses blessures. Les plaies qui se referment lentement, le crissement ligneux des tissus végétaux. Et plus loin, Darwyne entend gronder la faune nocturne qui se presse derrière l'orée, il entend les oiseaux de nuit, feuler le grand ibijau, crisser la chouette à lunettes, il entend chanter les rainettes et les adénomères, il entend brailler les singes hurleurs, tout là-bas. Et ne sachant aucun de ces noms-là, ces noms couchés dans les livres des naturalistes, il les nomme à sa manière dans sa tête.