Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Malgré les rumeurs, Nickel était une école et pas une sordide prison pour mineurs. Son avocat lui avait dit qu'il avait eu de la chance. Un vole de voiture c'était du sérieux. Comme il l'apprendrait plus tard, la majorité des garçons étaient ici pour des infractions sans gravité-des délits vagues, inexplicables. Certains étaient des orphelins, pupilles d'un Etat qui n'avait pas d'autre endroit où les caser.
Voilà un roman dont on a beaucoup parlé à cette rentrée et que j'ai pu lire dès le mois d'octobre, car une amie me l'a gentiment prêté. Ainsi je n'ai pas eu à le réserver à la médiathèque ni à attendre.
J'avais adoré découvrir le précédent roman de l'auteur, "Underground Railroad" qui relatait le périple d'une jeune esclave évadée d'une plantation en Géorgie, que je vous ai présenté sur le blog ICI. L'auteur avait déjà obtenu le prestigieux prix Pulitzer en 2017 pour ce titre. J'imagine qu'il ne s'attendait pas à recevoir à nouveau ce prix pour "Nickel Boys" cette année.
Il pensa longtemps à la lettre que Martin Luther King Jr avait écrite dans sa cellule de la prison de Birmingham, cet appel puissant qu'il avait composé derrière les barreaux...Elwood n'avait ni papier, ni crayon, rien que des murs, et il était à cours de belles pensées sans même parler de sagesse ou d'éloquence...
Durant ces heures interminables, il se débattait avec l'équation du révérend King. "Jetez-nous en prison, nous continuerons de vous aimer...."
L'histoire se passe en Floride au début des années 60, dans une société soumise aux lois ségrégationnistes.
Le jeune Elwood Curtis est un garçon sérieux qui adore écouter les discours de paix et de tolérance de Martin Luther King. Il travaille bien en classe et gagne de l'argent dans un bureau de tabac-épicerie pour aider Harriet, sa grand-mère qui l'élève seule, depuis que ses parents ont mis les voiles une nuit...
Alors qu'il entre à présent à l'université et qu'il se rend à ses premiers cours en faisant du stop, fier de pouvoir réaliser ses rêves, il est pris par un jeune noir qui vient de voler la voiture. Ils vont être tous deux arrêtés et personne ne pouvant prouver son innocence, tous deux condamnés. Elwood est envoyé dans une école disciplinaire pour jeunes adolescents délinquants, la Nickel Academy.
Sa vie bascule...
Là-bas, jeunes hommes noirs ou blancs doivent retrouver le droit chemin pour devenir des citoyens honnêtes. Mais dans les années 60, les dirigeants de ce genre de centre de redressement ne s'embarrassaient pas des droits de l'homme. C'est l'enfer que découvre le jeune adolescent du côté des bâtiments noirs. Les blancs bien qu'emprisonnés eux-aussi, sont traités différemment. La nourriture des noirs est détournée et alimente un trafic juteux, les châtiments ne sont pas les mêmes et conduisent certains jeunes noirs à la mort, une mort qui sera cachée aux familles, à qui on annoncera que le jeune a fugué et n'a pas été retrouvé.
En parallèle de l'histoire que nous raconte Elwood, le lecteur découvre la vie quotidienne dans l'école, le niveau misérable des cours qui leur sont donnés, la cruauté et la violence des gardiens, les travaux d'intérêt général, les emprisonnements et bien entendu les sévices.
Il découvre aussi comment, de nos jours, des découvertes invraisemblables ont été faites sur cette école : un cimetière non officiel a révélé que de nombreux corps y avaient été ensevelis, autant de preuves directes de l'horreur vécue par ces jeunes qui avaient le plus souvent commis des actes infimes, ou rien du tout, et qui n'étaient fautifs que du seul fait d'être nés noirs et la plupart du temps, d'avoir été au mauvais endroit au mauvais moment.
Elwood apprendra d'ailleurs à ses dépens que l'entraide n'existe pas et qu'il vaut mieux fermer les yeux sans chercher à comprendre ce qui se passe autour de lui et sans vouloir aider son prochain. Il mentira à sa grand-mère pour qu'elle ne sache jamais rien des sévices qu'il a subis, ni des humiliations liés à sa condition de jeune homme noir. Il restera digne quoi qu'il arrive pour lui faire honneur et garder foi dans les paroles de Martin Luther King.
Il trouvera cependant une aide inattendue auprès de Turner...la fin nous réserve une surprise que nous n'avions pas vu venir. Mais je ne vous en dirais pas davantage.
La majorité des garçons qui connaissaient l'existence des anneaux dans les troncs sont morts aujourd'hui. Le fer, lui, est toujours là. Rouillé. Profond dans la pulpe des arbres. Il parle à qui veut l'écouter.
Ce roman est une fiction, certes, en ce qui concerne les personnages, mais il s'inspire de faits réels. L'auteur décrit en effet des événements réels qui sont survenus à "l'Arthur G.Dozier School for Boys", une école ouverte en 1900 dans la ville de Marianna en Floride. Il dit avoir découvert l'existence de cette école en 2014 en regardant un reportage à la Télé.
Pendant 109 ans, des garçons ont été envoyés là-bas, certains pour des faits graves (vols ou agressions) d'autres pour avoir simplement fugué, séché l'école, ou fumé. Certains n'avaient que 5 ans. Ils y restaient jusqu'à leur 18 ans, âge où ils étaient relâchés sans formation, ni travail, ni argent et souvent sans famille vers qui se tourner. Tous n'ont pas survécu aux conditions de vie inhumaines, aux sévices corporels, aux humiliations, et à la violence des relations entre garçons ou à celle des gardiens. Ceux qui ont survécu, ont pu témoigner. L'auteur s'est inspiré de leur histoire et des récits fait autour de la "maison blanche", surnommé ainsi par les adolescents, une bâtisse qui était en fait la chambre de torture, et dont beaucoup ne sont pas ressortis vivants.
Ce livre est un hommage à ceux qui ont perdu la vie (plus d'une centaine de corps ont été retrouvés dans le cimetière officieux) et à ceux qui ont dû se reconstruire ensuite.
C'est un roman très fort qui ne peut nous faire oublier ce qui se passe encore aujourd'hui, cette violence perpétrée outre atlantique mais aussi chez nous, sur des êtres humains parce qu'ils sont différents.
Le roman est divisé en trois parties. Dans la première, nous découvrons Elwood enfant et la vie heureuse qu'il mène avec sa grand-mère. La seconde, terrible, décrit la vie quotidienne à Nickel. La troisième partie mêle présent et passé : les souvenirs d'Elwood remontent à la surface lorsqu'il voit dans les années 2000, des images à la TV révélant une macabre découverte faite autour de l'école, le cimetière officieux. Cette partie-là demande au lecteur de bien se concentrer sur ces divers événements poignants qui s'enchainent pour mettre au jour le destin tragique vécue par Elwood...
Les lois raciales n'ont pas fini de faire parler d'elles aux Etats-Unis. L'horreur des conditions de vie décrites dans ce roman fait froid dans le dos. Les injustices, les erreurs judiciaires, sous prétexte de couleur de peau, sont injustifiables à mes yeux.
Un livre bouleversant d'un auteur bien décidé à faire le tour de la question raciale aux Etats-Unis et qui encore une fois, ne pourra que marquer ses lecteurs.
Il existait quatre manières de sortir de Nikel.
Un : purger sa peine. Habituellement, celle-ci était comprise entre six mois à deux ans, mais la direction avait le pouvoir discrétionnaire d'accorder une libération anticipée...
Deux : une intervention du tribunal. L'évènement magique...
Trois : la mort. Eventuellement de "cause naturelle", quoique aidée par les conditions sanitaires déplorables, la malnutrition et une impitoyable kyrielle de négligences...
Quatre, enfin : on pouvait s'enfuir. Tenter le coup et voir ce qui se passe...
Même morts, les garçons étaient un problème.
Le cimetière clandestin se trouvait dans la partie nord du campus de Nickel, sur un demi-hectare de mauvaises herbes entre l'ancien garage et la déchetterie de l'école.
...
Lorsque le cimetière clandestin fut découvert, Elwood sut qu'il serait obligé d'y retourner. Le bosquet de cèdres au-dessus de l'épaule du journaliste à la télé raviva la chaleur sur sa peau, le chant strident des cigales. Ce n'était pas si loin. ça ne le serait jamais...
L'avis de Keisha ci-dessous...
Albin Michel, 2020 Traduit par Charles Recoursé Nickel Boys est l'exemple parfait du roman dont on a tellement entendu parler (même le Masque et la Plume) qu'on a l'impression qu'il n'en reste pa...
http://enlisantenvoyageant.blogspot.com/2020/10/nickel-boys.html