Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
C'est un pays où les querelles durent mille ans. La vallée s'y enfonce, s'égare comme un sourire de vieillard. Tout au fond, pas loin de l'Italie, un cyprès immense cloue le hameau à la montagne. Les maisons font cercle, se bousculent et tendent leurs tuiles brûlantes pour le toucher. Les ruelles sont si étroites qu'on s'écorche les épaules à les parcourir. Ici, la place est rare et la pierre la convoite. A l'homme, elle ne laisse que des miettes.
Il était temps que je lise le second roman de Jean-Baptiste Andréa dont j'avais adoré découvrir le premier "Ma reine" présenté ICI (Prix Fémina des Lycéens 2017) et le troisième "Des Dieux et des Saints" présenté ICI. Je l'ai enfin trouvé disponible à la médiathèque.
C'est un livre qui nous parle de passion, de celle qui devient une véritable obsession et peut mener un homme jusqu'à la folie.
J’oublierai bien des choses, c’est inévitable, jusqu’à mon propre nom peut-être. Mais je n’oublierai pas mon premier fossile. C’était un trilobite, un petit arthropode marin qui n’avait rien demandé à personne quand mon existence percuta la sienne un jour de printemps. Une seconde plus tard, nous étions amis pour la vie.
Le roman démarre comme un conte pour enfant.
Stan est devenu paléontologue comme il l'avait rêvé depuis son enfance. Il n'avait en effet que six ans lorsque d'un coup de colère, après avoir été puni par la maîtresse injustement, il avait brisé un gros caillou en deux. En son cœur se nichait un trilobite. Depuis ce jour-là, sa passion pour les fossiles ne s'est jamais démentie.
Un jour, il apprend par une petite voisine que le vieux concierge qui vient de mourir, avait un secret : il avait trouvé, alors qu'il était enfant, un jour où il s'était perdu dans la montagne près de son village, un squelette de "dragon" bien caché dans une grotte au pied du glacier. Il n'en faut pas plus pour que l'imagination du paléontologue se mette en route !
Nous sommes en 1954.
Stan est à présent arrivé en fin de carrière, il n'a plus qu'un seul désir : partir explorer cette vallée perdue entre Dolomites italiennes et Alpes françaises, afin de retrouver la fameuse grotte, située sous un glacier où se trouverait le squelette du fameux dragon (ou dinosaure ? un brontosaure peut-être...). Cela fait cinq longues années qu'il attend ce moment. Il vend donc sa maison et monte une expédition dans laquelle il convie son ami de toujours et collaborateur passé, Umberto. Ce dernier invite Peter, un jeune étudiant dont il supervise la thèse, à participer à l'expédition.
Gio, leur guide est très strict. Il cadre très vite les choses, et précise que lorsqu'il sera temps de redescendre, ils devront obéir. Les voilà installés dans la vallée dans un endroit idyllique, coupée du monde par une via ferrata qui devient impraticable quand le froid arrive, car transformée en cascade de glace. Là, ils ont seulement quelques semaines d'été pour arriver à leur fin, afin d'explorer, de gratter la glace, de trouver la grotte...
Le temps passe très vite et Stan va aller de déception en déception. La vie est rude, l'emploi du temps très strict et la fatigue se fait sentir pour les hommes, occasionnant de nombreuses disputes et incompréhensions. Parfois aussi les éléments se déchainent compliquant leurs tâches. L'été se termine et Gio annonce qu'il est temps de redescendre.
Mais Stan ne veut pas abandonner si près du but, il décide donc de rester...seul.
Gio se moque du but de notre expédition. Monter, survivre, redescendre, voilà sa Trinité.
Je n'ai jamais connu pareille tempête de ma vie entière...
Ici, nous sommes dans le chaudron où mijotent les tempêtes. J'ai appris aujourd'hui qu'un orage avait un goût, un goût de métal et de pierre qui nous zingue la bouche.
La pluie tombe sans discontinuer jusque tard dans la nuit. La foudre brasille sur les cimes et les écrête, elle remodèle le paysage à coups d'arcs électriques sous un ciel hématome. Je songe au gamin qui s'est égaré là près de quatre-vingt ans auparavant, chassé par un orage semblable...
Ce roman s'adresse avant tout à ceux qui aiment la montagne, celle qui ne fait pas de cadeaux aux imprudents, celle qui convient aux taiseux, à ceux qui aiment sa rudesse et sa beauté.
L'auteur a une façon bien à lui de partager avec nous son histoire, de nous faire passer par toutes les émotions possibles, la révolte, la peur, la tristesse, la beauté...tout se mêle dans ce roman qui alterne la vie quotidienne de l'équipe, la description extraordinaire des paysages et des éléments, les rêves de Stan, ses souvenirs d'enfance, la violence de son père (qu'il surnomme le Commandant) et des images de sa mère tant aimée, morte trop tôt alors qu'il n'avait que 9 ans. A cela se rajoute son questionnement incessant sur le sens de la vie.
La façon dont l'auteur nous parle de Stan et de son enfance meurtrie, de sa famille, de l'amitié et de l'amour est très émouvante. Nous le voyons enfant se cacher sous les draps, pour échapper aux disputes entre ses parents et à la violence de son père, se laisser harceler par ses camarades de classe, lui l'enfant différent qui n'est pas un homme car il ne sait pas se battre. Mais sait-on se battre et en a-t-on envie surtout, lorsqu'on n'a que six ans.
La description physique des personnages est incroyable et en peu de mots au travers des événements, nous faisons le tour de leur personnalité et découvrons leur solitude et la violence tapie en chacun d'entre eux.
J'aime le style simple de l'auteur, ses mots qui titillent notre imagination tellement ils sont évocateurs, mais toujours percutants. Il nous plonge dans une ambiance de plus en plus réaliste et angoissante. Car la montagne ne leur fera pas de cadeaux, vous vous en doutez.
Beaucoup de poésie se dégage de ce récit qui prend aux tripes et s'intensifie au cours de l'histoire jusqu'à nous offrir une fin magnifique et marquante.
C'est un livre fort que j'ai beaucoup aimé comme les deux précédents de l'auteur. Un auteur à suivre assurément...
J'acquiesçai, il fallait toujours acquiescer quand on entendait "pas vrai ?". Le Commandant me fixait, penché sur la table comme sur un billot.
- Tu serais pas allé raconter nos histoires à n'importe qui, par hasard ? A l'école ? Au cureton ?
- Non.
- Je veux dire, on est des gens biens. Peut-être pas parfaits, personne l'est. Ça arrive que quelqu'un se cogne, hein ? Trois bleus ça intéresse personne tant que c'est juste des bleus, tu piges ?
La déception immédiate est une chose. Mais ma tristesse vient de plus loin. Elle vient du gamin qui, un jour, décida de devenir paléontologue. Pas par goût de l'aventure. Pas pour la célébrité, ou la gloire- même si ces dernières feraient bien mes affaires. Pas davantage pour la reconnaissance de ses pairs, ou l'enrichissement, ça non ! Non, on devient paléontologue parce qu'on aime les histoires. Pour en raconter à soi, et aux autres.