Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Ma jeunesse se termina à 18h14, le 2 mai 1969, dans une polka de flammes et de vent de travers...
La mort de mes parents m'apprit une chose : je n'avais personne d'autre au monde. Ma mère était fille unique. Et si mon père était à moitié juif, sa famille l'avait été largement assez pour les braves fonctionnaires de Vichy. Lui-même n'avait survécu- puisqu'à l'époque on n'aimait pas trop ce qui était moitié- que parce qu'un voisin bien entier, au-delà de tout soupçon, avait accepté de le cacher.
C'est sans doute pour ça qu'on m'envoya là-bas. Ou par erreur. Par paresse. Je ne le sus jamais, et peu importe, le résultat est le même. Je partis pour un lieu dont vous n'avez jamais entendu parler, puisqu'il n'est pas sur Terre. Je partis pour un lieu dont vous n'entendrez jamais parler. Il est fermé depuis longtemps.
L'orphelinat des Confins. Je dis fermé, mais chez certains, il saigne encore.
Joseph à 69 ans, joue toute la journée, sur le clavier des pianos publics, dans les gares, les aéroports. Il attend quelqu'un depuis plus de cinquante ans à présent. Personne ne le voit vraiment, rares sont ceux qui l'écoutent et pourtant il joue merveilleusement bien Beethoven. Fidèle au poste, il espère un jour LA voir arriver.
Son histoire est triste mais poignante. Nous sommes à la fin des années 60.
L'histoire commence durant son adolescence alors que ses parents décident de ne pas l'emmener en week-end à Rome pour le punir de ne pas travailler sérieusement son piano. M. Rothenberg, son professeur trouve qu'il massacre Beethoven, qu'il ne trouve pas le rythme et ne cherche pas à progresser. "Tu ne joueras jamais comme moi, mon garçon." "Mais si ça continue, il y a plus grave. Tu ne joueras jamais comme toi." lui dit-il.
A leur retour, la caravelle se disloque durant l'atterrissage et part en fumée. Son enfance aussi. Tous les passagers meurent sur le coup.
Joseph ne s'en remettra jamais. Il est envoyé dans un orphelinat sinistre au pied des Pyrénées, les Confins. Pour s'armer de courage, il dialogue intérieurement avec le seul astronaute dont personne ne parle jamais et qui pourtant se trouvait à bord d'Apollo 11, Michael Collins, le troisième homme. Il compare sa propre solitude à la sienne, lui qui a du supporter l'obscurité pendant les quarante-sept minutes passées de l'autre côté de la lune.
Fini les cours de piano avec le professeur Rothenberg qu'il ne reverra jamais.
L'attendent à présent la faim, la violence, les corvées, le dénuement et une instruction plus que légère.
L'attendent aussi Momo, épileptique et simple d'esprit et les membres de la Vigie, une sorte de société secrète dont les membres, Edison, Fouine, Sinatra et le jeune Souzix montent tous les dimanches soirs sur le toit d'une sorte de tour...à la barbe du terrible surveillant général, Grenouille.
Pourtant un jour une lueur d'espoir apparait. L'abbé Senac le prend comme secrétaire particulier. Puisqu'il sait jouer du piano, il saura bien comment se servir de la grosse machine à écrire.
L'abbé est sévère, intransigeant, et sadique. Travailler pour lui ne sera pas un privilège même si par moment il lui parle des gypaètes barbus en les regardant voler, il lui interdit de toucher quoi que ce soit et surtout de jouer du piano qui est pourtant dans son bureau.
Un jour où un bienfaiteur vient à l'orphelinat accompagné de sa fille, Rose, celle-ci se met à jouer...mal. Joseph désobéit et lui montre comment elle aurait du jouer ce morceau de musique. Le père de Rose les surprend. Il est subjugué par le talent du jeune garçon et décide qu'il donnera des cours à sa fille tous les samedis après-midi.
C'est le début d'une relation étrange, faite de haine et d'attirances mutuelles entre Rose et le jeune Joseph. Elle se moque de la musique, il ne sait que faire. Mais un jour, ils seront quittes et vont connaître les premiers émois de l'adolescence, faisant fit de leurs différences.
Joe joue en espérant que, où qu'elle soit à présent, un jour elle passera par là et qu'elle reconnaitra sa façon de jouer...
Nous étions des fantômes, je n'en eus jamais tant conscience que ce jour-là. Les villageois souriaient, applaudissaient à notre passage. Mais ils ne nous voyaient pas. Ils ne voyaient que l'abbé qui souriait, serrait leurs mains...
De moi, personne ne parla.
Je mérite ma part de gloire, pourtant. Je suis allée sur la lune, ce 21 juillet 1969. Je le jure. Je suis allé sur la Lune, et bien plus loin encore, et j'en suis revenu. Tout le monde
l'ignore. Tout le monde s'en fiche.
Elle n'intéresse personne, l'humanité des petits pas.
Ce roman initiatique est un coup de cœur. Cela fait longtemps que je n'en ai pas eu. Il a obtenu en 2021, le Prix RTL/Lire.
L'auteur que j'avais découvert avec "Ma reine", présenté ici et lauréat du Prix Femina des Lycéens en 2017, a une plume superbe, à la fois tendre, émouvante, drôle et réaliste. Son roman est empli d'humanité et il a une manière très personnelle de nous parler de ce sujet difficile qu'est celui de l'enfance maltraitée.
Le narrateur nous parle du drame qu'il a vécu sans en faire trop. Le ton est juste, les mots nous touchent et sonnent juste. J'ai trouvé que sa façon de présenter la violence physique ou psychologique, subie par les enfants dans cet orphelinat était toute en pudeur et finesse. Il ne s'apitoie à aucun moment sur son sort.
Le lecteur s'attache à ces ados pleins de ressources, qui luttent pour leur survie, ne perdent que rarement espoir de jours meilleurs et arrivent à s'unir pour être plus forts devant les humiliations, alors que leur devise est "chacun pour soi", ils vont nous montrer qu'en fait dans leurs actes c'est tout le contraire qui se passe, et que ceux qu'on prenait pour des diables sont finalement eux les saints.
Un livre superbe à découvrir !
D'autres avis chez Alex, Violette, Hélène et sur le blog Sylire...
...Sénac croyait, avec cette ferveur brûlante des missionnaires d'autrefois, que c'était pour mon bien. Sénac croyait à la nature peccable des orphelins, des Juifs, de tout ce qui déviait des certitudes dont un autre abbé, un autre Grenouille, l'avaient pétri à coup de poing. Les monstres fabriquent des monstres qui fabriquent des monstres...
Je n'ai pas de sympathie pour le diable, mais j'ai de la compassion pour lui.
- Pourquoi donc ?
- Parce que si ça se trouve, le diable n'a rien demandé. Si ça se trouve il n'est pas né diable, c'était un bébé rose comme les autres. Peut-être qu'il a perdu ses parents, qu'on l'a envoyé dans un orphelinat, et que c'est là qu'il est devenu le diable.
Il y eut un long silence...