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Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...

Hamnet / Maggie O'Farrell

Belfond, 2021

Belfond, 2021

Voilà un auteur que j'avais découvert pour la première fois en 2014, avec "En cas de fortes chaleurs", présenté ICI ;  puis en 2017 avec "Assez de bleu dans le ciel", présenté ICI.  Deux romans différents qui m'avaient permis de me faire une idée de la beauté de son écriture, de la finesse et de la délicatesse avec laquelle elle sait décrire ses personnages et nous les rendre attachants. 

Je ne change pas d'idée après la lecture de "Hamnet" emprunté à la médiathèque et autant apprécié que les deux précédents. 

Et c'est alors qu'Agnès comprend une chose : elle peut tout supporter, mais pas la souffrance de son enfant. La séparation, la maladie, les coups, la naissance, le manque de sommeil, la faim, l'injustice, le rejet des autres, Agnès peut tout endurer, mais pas cela : pas son enfant fixant du regard son jumeau décédé. Pas son enfant pleurant la mort de son frère. Pas son enfant accablée de chagrin.

...qu'il est facile de passer à côté de la douleur, de la colère qui peuvent habiter quelqu'un, surtout si cette personne ne dit rien, les garde pour elle, comme une bouteille trop bien fermée où la pression s'accumule, s'accumule jusqu'à ce que...quoi ?
Agnès ne sait pas.

Un jour d'été 1596, dans l'Angleterre élisabéthaine, à Stratford exactement, Judith, une petite fille tombe malade. Son frère jumeau Hamnet, descend chercher du secours, mais il est seul dans la maison et l'état de sa sœur empire jusqu'à devenir préoccupant, puis critique au fil du temps. Quand Agnès, la mère, qui est pourtant une guérisseuse connue, constate qu'il s'agit d'une maladie pestilentielle (la peste donc !), que les bubons gonflés sont déjà bien formés, elle ne sait que faire. Mais dans la nuit, Hamnet qui est malade à son tour, prend la place de la petite fille qui survit, tandis que lui meurt au petit matin.

Le père parti à Londres n'est autre que le grand William Shakespeare. Il est loin de se douter de ce qui l'attend lorsqu'il arrive enfin à prendre connaissance de la lettre que Susanna, sa fille aînée lui a envoyé pour le prévenir et à chevaucher sans s'arrêter pour rentrer chez lui. 

La perte de son fils tant aimé est un drame, mais il doit repartir car il ne peut laisser seul sa troupe, les représentations doivent avoir lieu.

Agnès sa femme se sent abandonnée. Elle est très seule et isolée dans ce petit bourg qu'elle espérait quitter un jour pour le rejoindre et le suivre sur ses tournées. Elle ne voudra plus en partir, elle ne peut laisser tout seul son petit garçon enterré près de la rivière...mais lui ne propose plus de l'emmener. Ce deuil les sépare, et les mois passent...

Elle se consacre avec courage aux autres, mettant à nouveau à profit ses dons de guérisseuse, partant dans la forêt cueillir ses plantes médicinales et continuant à croire à l'importance de la nature dans laquelle elle se sent à sa place. 

C'est d'ailleurs parce qu'elle avait tout d'une sauvageonne que William est tombé amoureux d'elle, alors qu'il était le précepteur de latin de ses jeunes demi-frères. Lorsqu'il a vu cette jeune femme avec son faucon crécerelle sur l'épaule, il a été immédiatement envouté, ce que sa famille n'a cessé de lui claironner depuis.

Mais dans son cœur d'homme, l'amour est toujours bien présent et il va rendre grâce à son fils en préparant une nouvelle pièce qui changera sa vie et celle de sa famille...

...lorsqu'il entre dans ce lieu interdit qu'est l'atelier de gantier de son grand-père, Hamnet a oublié ce qu'il était venu faire ici. Hamnet connaît un basculement passager, il a perdu de vue le fait que Judith ne se sent pas bien, qu'elle a besoin d'aide, qu'il est parti à la recherche de sa mère, de sa grand-mère ou de n'importe qui d'autre susceptible de savoir quoi faire.

Et voilà maintenant où ils en sont - à cette symbiose. Un sentiment unique qu'elle n'a jamais connu, un peu pareil à une main qui correspond à un gant, à un agneau qui sort, trempé, du ventre de sa mère en glissant, à une hache qui fend une bûche, à une clé qui tourne dans une serrure graissée...

Il y a d'un côté l'homme de leur maison et de l'autre, celui de la maison de ses parents. Il n'y a qu'entre leurs murs qu'il est celui qu'elle connaît et reconnaît, celui qu'elle a épousé.
Mais faites-le entrer dans l'autre maison, la grande, et son humeur devient sombre, irritable, irascible, son visage figé...

Voilà un livre magnifique qui m'a beaucoup touchée et qui me marquera longtemps. C'est un coup de cœur que j'ai lu quasiment d'une seule traite. L'écriture est d'une grande beauté, au-dessus encore de celle que j'avais aimé lors de mes deux précédentes lectures de l'auteur. 

C'est une histoire d'amour très forte. C'est aussi le portrait d'une Angleterre rurale au XVIe siècle mais aussi du monde de l'époque.  

J'ai aimé les pages où l'auteur nous conte le voyage de la petite puce partie d'Egypte et de ses descendantes qui vont venir depuis l'autre côté du monde jusqu'à contaminer la famille...en passant par différents animaux, singes ou chats, puis hommes et par Murano au cœur d'un colis de perle. C'est un moment de légèreté bien venu, au milieu de ce drame. J'ai aimé aussi de la même manière, le parcours suivi par la lettre de Susanna, sa fille aînée, avant qu'elle parvienne à son destinataire. C'est l'occasion pour l'auteur de nous emmener à la fin du XVI°siècle et de parcourir le monde tel qu'il était. 

William a épousé Agnès par amour, contre l'avis de sa famille, tout le monde dans cette campagne un peu reculée, considérait la mère d'Agnès comme une sorcière. Mais l'amour a été le plus fort et la famille de William a fini par accepter cette belle-fille tellement éloignée de ce qu'ils espéraient pour leur fils. Tout comme ils accepteront que le fils aîné quitte un jour la maison pour continuer sa propre voie, loin de l'entreprise de son père et de son grand-père, gantiers, et devienne le grand Shakespeare. 

L'amour qui unit leur couple, les relations avec la famille de William, le deuil tellement éprouvant...tout est décrit avec beaucoup de délicatesse.

L'auteur s'empare avec brio de cette partie inconnue de la vie de William Shakespeare. J'avoue n'avoir jamais lu sa biographie mais la lecture de cette fiction m'en donne envie. 

La vie d'Agnès avant son mariage est également décrite avec beaucoup de justesse, la relation très forte avec son frère Bartolomew suite à la mort de leur mère, le remariage du père, les problèmes liés à la jalousie de sa belle-mère. Agnès en effet, n'est pas aimée par sa belle-mère et se sent rejetée par sa propre famille. Elle passe beaucoup de temps, toute seule dans la nature, acquiert des dons qu'elle ne peut même pas nommer elle-même. Par exemple, en touchant la peau des personnes qui viennent la voir, des images prémonitoires apparaissent, elle sait aussitôt comment les aider, les soigner, les rassurer et parfois aussi quand ils vont mourir. 

La relation entre les deux jumeaux est extraordinaire, et Judith même en grandissant ne pourra jamais faire le deuil de la disparition de son frère. 

Ce roman est avant tout le portrait magnifique d'une famille devenue célèbre grâce au père mais qui a souffert lors de la perte réelle de leur petit garçon âgé de 11 ans. C'est sa disparition qui inspira à son père l'écriture de sa célèbre pièce, Hamlet et c'est bien que ce petit garçon ne soit pas oublié par l'Histoire. 

A noter : Hamnet et Hamlet sont en fait le même prénom, parfaitement interchangeables dans les registres de Stratford de la fin du XVe siècle et du début du XVIIe siècle.

 

Même si la mort n'est jamais bien loin dans ce roman, l'écriture est si belle, si poétique, si légère que le lecteur ne peut que tomber sous le charme d'une telle lecture. Encore une fois l'auteur nous fait entrer dans la psychologie de ses personnages, nous parle de la condition féminine à cette époque, de la maternité, de la difficulté pour Shakespeare de vivre de sa plume et nous dépeint avec réalisme la vie de l'époque.

Ce n'est pas du dramaturge dont on parle mais bien de l'homme, de son affection pour les siens, de ce qu'il exprime dans ses pièces qu'il n'a pas pu exprimer oralement avec ses proches et tout cela est dit à travers le personnage d'Agnès, ses ressentis, ses actions. D'ailleurs pas un instant le nom de William Shakespeare n'apparait dans le roman, c'est nous qui le devinons à travers les éléments qui nous sont donnés.

L'auteur est lauréate du  Women’s Prize for Fiction 2020.

Vous pouvez aller lire l'avis de Eve, ICI. Merci à elle de m'avoir donné envie de le lire ! 

Il n'y a que là-bas qu'il peut échapper au bruit, à la vie, aux gens qui l'entourent ; il n'y a que là-bas qu'il peut oublier le monde, se dissoudre, n'être plus qu'une main tenant une plume trempée dans l'encre, et regarder les mots se déverser de sa pointe. Et c'est alors que ces mots viennent, les uns après les autres, qu'il parvient à s'absenter de lui-même, à se réfugier dans une paix si prenante, si apaisante, si intime, si joyeuse que plus rien d'autre n'existe.

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