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Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...

Nous / Marie Gillet

L'Harmattan, 2021 / Collection "Rue des écoles"

L'Harmattan, 2021 / Collection "Rue des écoles"

L'aube. C'était l'aube maintenant. Imperceptible fragment de l'instant. Aube avait été le premier de ses mots préférés dont elle avait fait une liste dès qu'elle avait su lire, écrire et donc vivre avec les mots, parler d'eux et avec eux. Les mots n'avaient jamais cessé de l'émerveiller...

...dès que la nuit est terminée, les cauchemars des enfants n'ont plus lieu d'être et les larmes qu'ils ont fait couler deviennent les gouttes de rosée qu'on voit sur les brins d'herbe tendrement penchés et auxquels les oiseaux aiment se frotter les ailes pour les rafraîchir.

En la regardant, elle voyait une jeune femme grande, forte, vraiment belle. Mais dans les bras et les jambes croisées, dans la façon qu'elle avait de pincer la bouche, Marie avait senti cette dureté qu'on choisit parfois pour qu'aucune once de faiblesse ne puisse apparaître.

Marie, une jeune femme âgée de 23 ans, vient de quitter pour quelques jours sa maison près de l'océan, pour rendre visite à sa grand-tante "Marie du Var". Celle-ci s'est installée depuis plus de vingt ans près du village de Bargème, à la Rouvraie exactement, une maison appelée ainsi car de magnifiques chênes rouvres bordent la propriété. Ce sont ces chênes, tout comme le magnifique pré qui les borde qui ont conquis le cœur de Marie, la grand-tante, quand elle a débarqué-là, avec son sac à dos. Elle a tout de suite décidé d'acheter la maison, alors en ruine, pour la retaper...

Marie la petite-nièce, découvre la Rouvraie, juste après un violent orage, au moment où la lumière est la plus belle et magnifie la nature environnante. Elle est subjuguée par tant de beauté.  

Les voilà réunies, Marie la grand-tante émue, Marie, la petite-nièce plus distante, presque surprise car elle ne se souvient de rien de ce qu'elle a vécu-là quand elle était petite, ou de si peu. Elle imaginait sa grand-tante, très seule, pensait qu'elle avait besoin d'elle, maintenant qu'elle était âgée et qu'elle venait de subir une grave opération. Elle pensait la ramener avec elle à Saint-Anne, s'occuper d'elle, lui poser des questions sur la famille, sur les disparus. Car les deux Marie ne sont plus que toutes les deux à présent, les uniques survivantes de leur grande famille. En treize ans, la famille a en effet connu treize décès, dramatiques, inattendus, ce qui a créé beaucoup de souffrances. 

Marie, la petite-nièce, découvre une maison accueillante, chaleureuse un peu bohême, et une grand-tante comblée car entourée de gens bienveillants, d'amis, de voisins toujours prêts à lui rendre service...une parente qui en fait, n'a pas véritablement besoin d'elle car elle a quitté sa famille sciemment, et reconstruit sa vie comme elle l'entendait, librement, qui n'a pas une seule photo de famille dans ses tiroirs, car pour elle tous les souvenirs sont dans son cœur avant tout, et cela lui suffit pour être heureuse. 

Marie, la petite-nièce, ce qu'elle cherche surtout, en venant ici, c'est combler les manques, savoir la Vérité sur la famille...sur "Nous".  Elle se rebiffe, pense que Marie, sa grand-tante, a toujours menti à la famille, ne disant rien de ses passions et cachant ses conditions de vie quand elle venait les voir en visite, ou pour un des enterrements. La jeune femme se sent bafouée, incomprise, seule au monde et très en colère que sa grand-tante se soit exclue ainsi de leur famille, de "Nous".

Mais la vérité que recherche  Marie, la petite-nièce, existe-t-elle ? Ou n'est-elle qu'une vue de l'esprit qui évite de songer à la douloureuse solitude, au deuil difficile ou impossible à faire, à l'héritage émotionnel ?

Face à face, les deux femmes vont s'affronter, car Marie, la petite-nièce cherche le conflit, un conflit qui lui permet d'extérioriser sa souffrance (et le fait qu'elle se sente tellement seule). Elle ne peut pas (et ne sait pas) exprimer ses sentiments autrement que par des hurlements, de la casse, de la culpabilité qu'elle renvoie sur l'autre, l'autre qui ne peut pas la comprendre, elle, la pauvre victime. 

Marie la grand-tante, cherche à lui faire comprendre que ce n'est pas si simple, ni tout blanc ou tout noir, que ce qu'elle sait (ou croit savoir) c'est surtout ce que les autres membres de la famille ont voulu lui laisser croire, que la vérité nous appartient, et que chacun a la sienne.  

Petit à petit, grâce des extraits de son journal intime, des souvenirs qui remontent à la surface, son monologue ou ses prières, le lecteur comprend par quoi Marie la grand-tante, est passée, ce qu'elle a vécu enfant de violence verbale et psychologique dans cette famille, ce qu'elle a du traverser et quitter pour trouver enfin la paix, loin de "Nous", de cette famille unie en apparence, et de tous ceux qui sont morts...

Perfide mais vaillant, toujours prêt, le désespoir fondrait sur elles comme sur des proies qu'elles se seraient laissé aller à être. La mort, c'est du chagrin, oui. La mort, c'est de la douleur, oui. La mort, c'est de la violence, oui. La mort, c'est des pleurs, oui. Mais pour Marie, celle du Var, ce n'était pas poser des questions sans réponses, trouver la bonne raison à la mort d'un homme ou d'une femme, voire d'un enfant, comme si cela pouvait exister, de bonnes raisons de mourir...

Marie voulait savoir et c'était certainement pour cela, aussi, qu'elle était venue jusqu'ici. C'était normal. C'est normal de vouloir savoir. Mais savoir quoi ? Savoir pourquoi ? Savoir pour en faire quoi ? Savoir. Que voulait-elle savoir exactement ?
- ...Je voulais te demander de me dire la vérité.

La vérité. Quelle vérité ? Personne ne possédait la vérité, l'unique, la seule, la vraie...

L'auteur démarre en douceur en nous décrivant la quiétude du lieu, les retrouvailles et la fête au village avant que le lecteur comprenne que le conflit ne peut qu'éclater entre les deux Marie parce qu'elles sont parties sur un malentendu et que Marie, la petite-nièce, veut trouver une raison à tout ce qu'elle a vécu. Pourtant la grand-tante fait tout pour en repousser ce moment, elle sait par expérience que la famille a toujours fonctionné ainsi dans la violence et les cris. Et elle ne veut en aucun cas que la présence de sa petite nièce réactive des souvenirs qu'elle a enfouis elle-aussi au plus profond d'elle-même, car trop douloureux. 

L'auteur décrit avec beaucoup de finesse la psychologie des deux Marie, mais aussi celles des autres membres de leur famille aujourd'hui disparus ainsi que les différentes attitudes provoquant les conflits familiaux. 

J'ai été touchée par sa description du "tyran domestique" qui ne supporte aucune contradiction, a toujours raison, fait du chantage affectif à ses proches, tant il a besoin d'être aimé. 

J'ai été touchée par la jeune Marie qui est bien décidée à aller "jusqu'au bout", à connaître "la Vérité" car elle continue à se battre, à être une "guerrière" qui n'accepte pas qu'il n'y ait plus rien à combattre désormais et qui s'écroulerait si elle n'avait plus ce combat à mener. Elle est prisonnière de ses certitudes, persuadée de trahir ses proches si elle ne vit pas comme eux, ne pensent pas comme eux et elle en veut à sa grand-tante d'avoir pu et surtout su, se détacher de la famille. 

J'ai été touchée par toute cette violence, par les non-dits et les silences, par les drames de cette famille qui se déchire à chacune des générations, les plus jeunes cherchant des modèles dans les ancêtres, mais n'arrivant jamais à les surpasser, se sentant donc diminués, meurtris, floués, cherchant toujours des explications aux disparitions, accidents, suicides, maladies qui ont touchés leurs proches. 

Le lecteur a l'impression d'être avec elles deux dans la maison, la voiture, la fête ou en train de prendre le repas sur la terrasse. Mais il ne se sent pas voyeur du tout pour autant, non il est dans leur cœur, dans leur ressenti, enfin pour moi dans celui de la grand-tante Marie, pas dans la jeune femme, même si j'ai ressenti de l'empathie pour elle, je n'ai pas vécu ce genre de colère, celle qui détruit tout, qui rend aveugle et sourd à ce que l'autre cherche à nous dire, ni ce genre de lendemain, où il faut faire comme si rien ne s'était passé... à cause du "quand-dira-ton" parfois, mais surtout pour ne pas avoir à accepter, à culpabiliser ou à s'excuser...tout en culpabilisant l'autre, celui qui a subi.

Le fait qu'à toutes les générations, ils portent tous les mêmes prénoms, Jean ou Marie, est un peu déstabilisant au tout début du roman mais, suffisamment d'indices sont semés au fil des pages, pour que le lecteur s'y retrouve. Par contre, cela en dit long sur la famille qui par les prénoms, prouve ainsi son envie d'empêcher les différents membres eux-mêmes, d'avoir leur propre personnalité, leur propre vie, leur liberté.

Ce roman nous interpelle sur le poids du passé et l'héritage familial, sur le sens du devoir et la reproduction de certains comportements par les générations futures, ainsi que sur les blocages qui en résultent. Cela parait évident que dans cette famille, dans ce "Nous" dont il est question ici, personne n'est libre de choisir sa propre vie, sans avoir rien à prouver à quiconque, ni aux parents, ni à la fratrie, ni aux enfants, et que chacun se retrouve enfermé dans une vie qui n'est pas la sienne, ni celle dont il rêvait. 

Je sors de cette lecture enrichie de tous ces mots magnifiques employés par l'auteur, enrichie de l'analyse qu'elle fait des relations entre ces deux femmes de la même famille, enrichie aussi par la sérénité du lieu de vie, par cet idéal de vie simple. Toutes les relations se font dans le partage et l'amour de son prochain, sans porter de jugement, sans rien attendre en retour. C'est l'amour inconditionnel, prôné par de nombreuses religions mais que tout un chacun peut trouver au fond de lui, même s'il n'est pas croyant...cet amour qui nous mène vers le bonheur, un bonheur bâti chaque jour à petit pas. 

"...il est toujours possible d'avoir son propre chemin et de construire sa propre histoire si on s'en donne le droit" pense Marie, la grand-tante, des propos plein de sagesse quand on pense à tous ces jeunes qui n'arrivent pas à trouver leur voie.

J'ai retrouvé avec grand plaisir, dans la personnalité de Marie du Var, l'amour de la littérature, de la poésie et de la nature, le bonheur de l'écriture, l'amour des autres, la tolérance, le plaisir du partage et la croyance en Dieu et dans les hommes... des thèmes chers au cœur de Marie Gillet, et des thèmes dont elle nous parle dans son joli blog, intitulé "Bonheur du jour", que je vous invite à aller visiter ICI. D'ailleurs de nombreux clins d'œil dans  le roman m'ont fait penser que par moment, elles sont toutes les deux, Marie du Var et Marie Gillet, une seule et même personne.

Merci infiniment à l'auteur de m'avoir si gentiment proposé son livre. Cela m'a beaucoup touchée de le recevoir, je la remercie aussi pour sa confiance et pour sa gentille dédicace et j'espère que "Nous" aura beaucoup de succès auprès des lecteurs. 

Sur mon blog, vous trouverez la chronique de son premier roman, "Journal d'une seconde vie", ICI, que j'avais beaucoup aimé.

Marie Gillet est aussi l'auteur d'un autre roman intitulé "Avec la vieille dame" que je compte bien entendu lire un jour. En attendant, vous pouvez aller lire la chronique de Quichottine ICI, et celle d'eMma ICI. 

Si vous voulez en savoir plus sur l'auteur, je vous propose enfin, d'aller écouter, l'interview  ci-dessous. 

Le chagrin de l'enfance, tout tapi qu'il est, a la puissance des tsunamis : quand tout devient trop dur il ressurgit comme la mer se retire à des kilomètres avant de revenir si violemment qu'il est impossible de la contenir et c'est seulement quand elle s'est retirée enfin qu'on peut constater ses terribles dégâts.

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