Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Je m'appelle Saul Indian Horse...
Les Anciens disent que nos longs cheveux raides viennent des herbes ondulantes qui tapissent les rives des baies...
Notre parole s'écoule et se déverse comme les rivières qui nous servent de routes...
Ces gens, ici, veulent que je raconte mon histoire. Ils disent que je ne peux comprendre où je vais si je ne comprends pas où j'étais avant. D'après eux, les réponses sont en moi.
En racontant nos histoires, nous, buveurs invétérés de mon espèce, nous pouvons nous libérer de la bouteille et de la vie qui nous a menés là.
Voilà un roman poignant, lu avant les vacances, et qu'il est temps que je vous présente.
Au Canada, alors que devenu trentenaire, il est admis dans un centre de désintoxication pour alcoolique, Saul Indian Horse, finit par accepter de raconter son histoire, comme on le lui conseille pour aller mieux. Ne voulant pas parler devant tout le monde, il décide de l'écrire.
Elevé dans la pure tradition du clan des Poissons, choyé par sa famille et initié aux coutumes des indiens Ojibwés, Saul vit une enfance heureuse jusqu'au jour où il voit sa sœur, puis son frère, être enlevés par des Blancs pour être conduits dans un pensionnat, où ils seront éduqués et christianisés, afin d'effacer toute trace d'indianité en eux.
Saul ne reverra jamais sa sœur, mais son petit frère, un jour, réussit à se sauver et rejoint le campement. Il est atteint de tuberculose et bien que la famille soit partie rejoindre le berceau des ancêtres, il ne survivra pas. Alors que ses parents, détruits, retournent à la ville pour lui donner une sépulture décente, Saul reste seul avec Naomi, la grand-mère qui, voyant l'hiver arriver, tente de regagner la petite ville où habite son propre frère. Mais elle meurt d'épuisement et de froid en chemin...
Saul qui n'a que 8 ans, est retrouvé blotti dans ses bras. Il est alors emmené à son tour dans un orphelinat catholique. Il est terrorisé et ne voit autour de lui que de la souffrance, des privations, des enfants devenir fous ou même mettre fin à leurs jours, parce qu'on les a torturés ou enfermés au sous-sol pour avoir désobéi. Tout est fait pour les éloigner de leur culture. Lui, cherche à se rendre invisible le plus possible, il ne fait pas de vagues et a la chance de savoir déjà lire et écrire.
Un jour, le père Leboutilier lui parle du hockey sur glace, l'initiant malgré sa petite taille et son tout jeune âge à ce sport fabuleux sur une patinoire à ciel ouvert. Il lui propose dans un premier temps d'aider à l'entretenir. Mais, en cachette, le jeune Saul va s'entrainer tous les matins avec du crottin de cheval bien sec, et une crosse de sa fabrication. Ce faisant, il intègre les règles et les stratégies. Il va tellement mettre tout son cœur à la tâche, que le hockey va devenir pour lui, une véritable passion, au point que le jeune garçon quittera le pensionnat, pour rejoindre dans un premier temps l'équipe amérindienne des Moose, puis intégrer la prestigieuse "Ligue nationale canadienne de Hockey".
Mais très vite, il est confronté au racisme et à la violence. Tout ce qu'il subit, l'éloigne du plaisir de jouer. Un jour, il va lui falloir se défendre et devenir violent lui qui était la bonté incarnée. En fait, dans les années 60-70, même dans le sport et une équipe nationale, les Blancs étaient racistes et ne voulaient garder ce jeu que pour eux (d'où le titre du roman) ! Après avoir été admiré dans son équipe amérindienne, Saul comprend qu'il ne le sera jamais, malgré ses prouesses et son succès, ni par le public ni par ses coéquipiers, dans une équipe canadienne.
Il a de moins en moins prendre de plaisir à jouer. Il quitte alors l'équipe, perd pied et plonge dans l'alcool, ce refuge dans lequel tous les espoirs d'une vie meilleure sont permis.
Même maintenant, quand je repense à cette journée, je revois le chatoiement du sillage qu'ils laissèrent derrière eux, le V qu'il dessinait et les lignes divergentes qui léchaient la rive. Je vois encore le dos voûté de mon père en train de pagayer, la forme affalée de ma mère à la proue, faisant onduler l'eau avec sa pagaie. Je revois le canot qui transportait le corps de mon frère au moment où il franchit le cairn de pierre et où il disparut à ma vue pour toujours...
Quand on t'arrache ton innocence, quand on dénigre ton peuple, quand la famille d'où tu viens est méprisée et que ton mode de vie et tes rituels tribaux sont décrétés arriérés, primitifs, sauvages, tu en arrives à te voir comme un être inférieur. C'est l'enfer sur terre, cette impression d'être indigne. C'était ce qu'ils nous infligeaient.
St. Jerome était l'enfer sur terre. Où qu'on aille il fallait marcher au pas...
Ils appelaient cela une école, mais ce n'en fut jamais une. Nous passions le plus clair de nos journées au labeur.
Le roman débute durant les jeunes années de Saul, alors qu'il vit heureux avec sa famille.
Mais très vite le lecteur plonge dans l'horreur. Les pages concernant la vie au pensionnat sont très dures et l'auteur ne cache rien des morts accidentelles, ni des suicides, d'autant plus terribles qu'il s'agit de jeunes enfants, désespérés d'avoir été enlevés à leur famille. Le comportement despotiques des prêtres et des sœurs, leurs manières d'abuser des enfants et de les maltraiter m'a totalement horrifié.
Je connaissais les conséquences terribles pour les indiens de ces tentatives d'éducation dans lesquelles après les avoir enlevés à leur famille, on leur a interdit de parler leur langue, de vivre selon les rites des ancêtres. Ils sont totalement exploités dès l'enfance car on les fait travailler au lieu de les éduquer. Ils sont victimes de violences, sexuelles, verbales et psychologiques. Ils sont affamés et maltraités en permanence par des prêtres et des sœurs, dans ces institutions pourtant catholiques. Ils y perdent non seulement leurs repères, mais aussi leur identité, ce qui les laissera meurtris pour toujours.
L'auteur a le don de nous conter cette terrible histoire avec finesse et réalisme, tout en apportant par-ci par-là quelques touches poétiques qui allègent un peu le récit.
Il a réussi à me faire aimer les pages consacrées au hockey alors que c'est un sport auquel je ne m'intéresse pas du tout. Heureusement pour les néophytes comme moi, une page à la fin du roman explique les différentes règles.
J'ai aimé aussi durant l'enfance de Saul, puis lorsqu'il part à la recherche de ses ancêtres, la description des paysages, la poésie qui se dégage de cette vie simple et paisible, imprégnée des croyances et légendes indiennes et du savoir-faire familial. Les détails autour de la récolte du riz sauvage, par exemple, ou des journées de pêche, nous donnent l'occasion de lire de magnifiques pages, imagées et colorées.
J'ai aimé les moments de partage et d'amitié, l'accueil qui est réservé à Saul, après le pensionnat, dans une famille aimante et compréhensive, les parents "adoptifs" étant passés par le même pensionnat des années auparavant, et ayant subi les mêmes violences que lui.
J'ai aimé aussi le parcours difficile qui va ramener Saul sur le chemin de ses ancêtres et qui lui permettra de découvrir qui il est vraiment. Heureusement, il a un don particulier, il voit ses ancêtres et les entend l'appeler et lui parler...
C'est un roman magnifique et le lecteur ne peut sortir que bouleversé par cette lecture, tout en se demandant quelle est la part d'autobiographie qu'il contient. Il a obtenu le "Burt Award for First nations, Métis and Inuit Literature", qui est un Prix Littéraire canadien qui désigne chaque année la meilleure œuvre publiée par un auteur autochtone.
Dans la blogosphère, vous pouvez aller lire la chronique de Violette ICI.
De cet auteur, vous trouverez sur ce blog, présenté ICI, "Les étoiles s'éteignent à l'aube", un très beau roman que j'avais beaucoup aimé.
Dans l'alcool, je découvris une antidote à l'exil...je découvris qu'être quelqu'un que l'on n'est pas est souvent plus facile que de vivre sa propre vie...
Je ne pouvais pas courir le risque que quelqu'un me connaisse parce que je ne pouvais pas courir le risque de me connaître moi-même...