Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Les deux soldats avancèrent dans ce décor de fin du monde, à croire qu'ils étaient les uniques survivants de la catastrophe.
-Ah, ils sont beaux les Français ! disait Raoul.
L'exclamation choqua Gabriel.
- Nous aussi, on s'enfuit...
Raoul s'arrêta en plein milieu de la rue déserte.
- Pas du tout ! Et c'est toute la différence, mon petit père. Les civils s'enfuient, les militaires, eux, font retraite, nuance !
Raoul aimait bien Gabriel. Au pont de la Tréguière, il s'était montré courageux. Lui était colérique, faire exploser un pont était dans son tempérament, toute son enfance il avait dû lutter contre la violence, la bagarre lui était naturelle. Mais de la part de ce petit professeur de mathématiques, c'était plus surprenant, Raoul l'avait trouvé très bien.
Ce roman est le dernier opus de la trilogie intitulée "Les enfants du désastre " qui couvre la première moitié du XXe siècle.
Le premier opus, "Au revoir là-haut", retraçait les années qui ont suivi la Grande Guerre, dont nous commémorons aujourd'hui la signature de l'armistice qui a mis fin aux combats.
Le second opus "Couleurs de l'incendie" nous parlait de la crise des années 30.
Le dernier opus "Miroir de nos peines" se déroule entre avril et juin 1940, durant la très courte période que l'on a surnommée, la "drôle de guerre" (en fait cette drôle de guerre a commencé un peu avant mais je simplifie). La France vient à peine d'entrer dans le conflit mondial, les allemands gagnent Paris et l'exode amène des milliers de gens sur les routes, fuyant la capitale pour se rendre dans le sud de la France .
Le lecteur retrouve Louise la petite fille qui dessinait des masques pour Edouard dans "Au revoir là-haut". Elle est à présent devenue institutrice. Son drame est celui de ne pas avoir eu d'enfants. Le week-end, elle va aider Jules qui tient le restaurant en face de sa maison où elle vit à présent toute seule depuis la mort de Jeanne, sa mère. Jules est très attaché à Louise. Il était très amoureux de Jeanne qui elle, en aimait un autre, ce qui explique son dévouement sans faille et son côté protecteur pour la jeune femme.
Un jour, alors qu'elle aide au service, le vieux docteur qu'elle connait bien, car il vient à la même table chaque semaine, lui demande de venir à l'hôtel avec elle, en tout bien tout honneur, il veut juste qu'elle se mette nue devant lui et il lui dit qu'il la paiera. Elle ne sait pourquoi mais quelques temps après, elle accepte de le rencontrer et il choisit ce moment-là, pour se suicider. Pourquoi l'avoir choisi, elle, pour passer à l'acte. Louise n'en restera pas là...
A peine remise du choc provoqué par le suicide en direct du docteur, et par sa fuite, affolée, traumatisée et nue, dans les rues de la ville, et le scandale qui s'en suivra et entachera sa carrière modèle d'institutrice, elle décide d'en apprendre davantage sur le docteur et sur sa vie. Ce qu'elle va peu à peu découvrir, tout comme les événements qui vont suivre, vont considérablement modifier le cours de son existence.
Le lecteur croise aussi Désiré, sous différentes "casquettes" selon où le mènent ses pas. Nul ne sait d'où il vient ni où il va. On le retrouve, tantôt stratège, tantôt...chut je ne vais pas tout vous raconter !
En parallèle, le lecteur fait la connaissance de Raoul, un petit escroc particulièrement roublard, mais au fond de lui d'une grande sensibilité, même s'il donne plutôt l'impression d'être en permanence révolté. Raoul n'a pas son pareil pour monter des coups incroyables. Il se retrouve proche de Gabriel, un professeur de mathématiques, très droit dans sa vie et dans ses actes, qui lui est totalement opposé. Mobilisés ensemble, ils vont tous deux être fait prisonniers, puis transférés en car tout d'abord, avant de se retrouver avec les autres prisonniers sur les routes, mais les ordres ne suivent pas et les routes sont encombrées par les nombreux civils qui fuient la capitale...
Fernand garde mobile à Paris est chargé d'accompagner les prisonniers tandis que sa femme Alice, qui souffre d'une maladie cardiaque, va se mettre à l'abri chez sa belle-sœur. Jusqu'où sera-t-il obligé de faire son devoir ? Vous le saurez en lisant ce roman.
Evidemment, le lecteur sait par avance qu'à un moment donné tout ce petite monde va forcément se croiser...
...la manière dont s'étaient rassemblés les prisonniers était un autre sujet d'inquiétude. Les communistes méprisaient les anarchistes qui haïssaient les espions présumés qui eux-mêmes vomissaient les insoumis, ajoutez à ça la position respective des saboteurs, des réfractaires, des défaitistes et supposés traîtres qui tous exécraient les droits-communs qui eux-mêmes faisaient clairement la différence entre les voleurs, les escrocs, les pilleurs et les assassins qui pour rien au monde ne se seraient mélangés aux violeurs. Ah oui il y avait aussi quelques spécimens d'extrême-droite que tout le monde appelait les "cagoulards"...
Louise n'avait aucun souvenir de son père, il n'était qu'une photographie désuète, alors que tout la rapprochait de sa mère. Elle avait été aussi aimante qu'elle avait pu, mais la dépression l'avait terrassée, avait fait d'elle un fantôme.
Louise avait passé une partie de son enfance à se préoccuper d'une mère peu vivante, mais dont elle se sentait proche. Parce qu'elles se ressemblaient. Louise n'avait jamais su si c'était ou non une bonne chose. Sur l'image figée qu'elle avait sous les yeux, c'était le même visage qu'elle, la même bouche et, plus que tout, les mêmes yeux d'une clarté rare.
Pour la première fois depuis la disparition de Jeanne, elle eut envie de lui parler, regretta de n'avoir pas su le faire quand il était encore temps.
Les personnages choisis par l'auteur, sont tous issus du peuple et c'est peut-être pour cela, que je les ai trouvé terriblement attachants. Chacun va vivre ce début de guerre à sa façon donnant le pire comme le meilleur de lui-même. L'auteur nous décrit ici une belle fresque sociale. Il a une manière très personnelle de revisiter l'Histoire. Les événements de ce début de guerre, vus de son point de vue à lui, ne manquent pas de sel car son humour et son cynisme, sont toujours bien présents, comme c'était le cas dans les deux premiers opus. L'auteur sait aussi nous émouvoir en nous permettant d'entrer dans la vie de ces personnages, au point que nous nous sentions concernés véritablement par leur destin.
Il s'est encore une fois parfaitement documenté avant d'écrire ce troisième opus. Si je n'ai pas été étonnée d'apprendre que l'émission de radio dont il est question dans le roman a bel et bien existé, et qu'elle avait été conçue pour remonter le moral des troupes et de leur famille, j'ai été par contre surprise de savoir que l'exode de mille détenus, sur les routes aux côtés des familles, étaient un fait réel.
Finalement, si je fais le bilan de ma lecture de cette trilogie, j'avais aimé moyennement le premier. J'avais été déroutée, voire choquée d'ailleurs, par la manière dont l'auteur racontait les faits, sans doute parce que j'y avais mis trop d'affect, et que je trouvais certains de ses propos déplacés quand je songeais à mon grand-père et à l'histoire de ma famille.
Presque à contre-cœur, j'ai fini par lire le second opus car plusieurs personnes de mon entourage sont arrivées à me convaincre de le faire. Je l'avais trouvé beaucoup mieux, même si je n'étais pas arrivée à m'attacher aux personnages autant que je l'aurais voulu.
Et je peux dire sans me tromper que le troisième opus est mon préféré. Comme quoi j'ai bien fait de m'accrocher !
Bonne lecture à ceux qui ne connaissent pas encore cette trilogie, ou cet auteur...un auteur que je continuerai à découvrir.
La diversité des véhicules qui circulaient sur cette nationale semblait une vitrine du génie français. A quoi il faut ajouter la variété de ce que tous transportaient, valises, cartons à chapeau, édredons, bassines et lampes, cages à oiseaux, batteries de cuisine, malles en fer, niches à chien. Le pays venait d'ouvrir la plus grande brocante de son histoire.
L'hospice des Enfants assistés était situé au 100, rue d'Enfer, on se demande parfois où l'administration a la tête...