Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Après la seconde guerre, les hauts plateaux calcaires s'étaient dépeuplés extraordinairement vite. Les Trente Glorieuses avaient aspiré le paysan en bas de sa pente, vers la plaine. Certains avaient choisi la ville. Les hommes avaient rêvé d'une existence plus facile et de chemins moins empierrés...
Quand un pays de montagne se modernise, l'homme ruisselle comme une nappe d'eau. Et la vallée, frappée d'Alzheimer, ne se souvient même pas que la montagne a retenti de vie.
Voilà longtemps que je voulais lire ce récit de Sylvain Tesson. C'est un personnage très médiatique, comme vous le savez tous.
Suite à sa chute d'un toit, alors qu'il était sous l'emprise de la boisson, l'auteur se retrouve très diminué. Pour parfaire sa rééducation et aussi se prouver encore à lui-même, et sans doute aux autres, qu'il en est capable, il décide, contre l'avis de ses médecins, de traverser la France à pied, en diagonale, sur les chemins noirs, c'est-à-dire hors des sentiers connus, sur les pistes, les chemins forestiers, les chemins muletiers oubliés.
Il part avec ses cartes IGN au 1/25 000ème, un jour de fin d'été. Il démarre son périple dans la région de Nice, traverse le Mercantour, se dirige vers la Provence, puis ce seront les Cévennes, les contreforts du Massif Central, la Creuse, avant de se diriger presque tout droit vers le Cotentin.
Il est accompagné épisodiquement par des gens qu'il aime, et qui sont proches de lui. Il vit au jour le jour, plante la tente en pleine nature, dort à la belle étoile ou dans un gîte, c'est selon.
Au fil de sa marche, il en profite pour nous livrer ses réflexions sur les conséquences de la politique agricole, la désertification des campagnes, la mondialisation, l'utilisation massive de produits chimiques, l'obligation de rentabilité, le fait que tout était mieux avant, mais un avant qu'il n'a pas connu. Ces réflexions-là sont intéressantes bien entendues, réalistes et justes.
Son propos est étayé de mille références littéraires ou artistiques, montrant comme habituellement l'étendue de sa culture personnelle. Mais à la longue cela me fatigue, quand à chaque détour du chemin il en place une si je puis dire ! Je trouve que c'est trop. Je ressens cet étalage comme un désir de se montrer, de dire qu'il est le plus beau, le plus fort et le plus génial, je ne sais pas pourquoi. Du coup, ses propos pourtant intéressants, m'empêchent d'entrer dans le récit, de me mettre dans l'ambiance du moment, de voir les paysages à travers ses yeux et j'ai l'impression que cela ne peut être que pareil pour lui, car comment apprécier pleinement ce que l'on voit, si on ne vit pas pleinement l'instant et qu'on pense sans cesse à autre chose, qu'on compare toujours tout chose à une autre.
Le point positif c'est qu'il ne s'agit pas d'un récit linéaire, donc il n'est pas répétitif comme le serait un vrai journal de voyage.
Sylvain Tesson est honnête. Il ne cache pas qu'il ne connait pas cette France profonde, que s'il nous livre ses réflexions sur la ruralité, il en a une vision de citadin. Du coup, il découvre cette France et nous la décrit avec beaucoup de spontanéité. Le point négatif est que du coup, sa vision des choses est parfois très caricaturale. Tout est ramené à son ressenti, à ses précédents voyages, et nous n'apprenons rien sur les régions traversées, ni sur les gens croisés, les échanges avec eux sont d'ailleurs d'une grande banalité. Parfois il porte un jugement sur des personnes qu'il ne connait pas, et les compare à des gens de son monde à lui, ce qui est finalement plutôt méprisant pour eux.
J'ai été déçue par la superficialité de l'ensemble et le peu de pages consacrées à autant de lieux magnifiques. Je n'ai pas retrouvé dans les descriptions des paysages, la beauté de nos territoires, ni le plaisir et la magie de leur découverte.
Mais si ce voyage, cette marche a été bien évidemment pour lui une façon de se reconstruire physiquement, et aussi de se libérer des contraintes pesantes liées à l'inquiétude de ses proches, ce qui est important j'en conviens, je ne suis pas certaine, que le Sylvain Tesson d'aujourd'hui soit différent de celui d'avant, car je n'ai pas trouvé qu'il approfondisse beaucoup ce côté "thérapeutique et régénérant" de la marche, ce qui aurait pu être intéressant.
C'est donc un périple à l'épreuve du corps pour lui, d'ailleurs il se plaint beaucoup, bien qu'il ne nomme pas ses problèmes. Il nous conte ses jours de marche, avec son style particulier que je n'arrive pas à aimer, mais je comprends que d'autres apprécient davantage et c'est pour cela que je tenais à vous présenter ce roman.
J'ai noté quelques propos inappropriés : il fait un feu sous les pins en Provence (c'est interdit toute l'année, alors la loi c'est pour les autres ?!) ; il boit un jus frais de cerises en plein mois de septembre en Provence (les cerises murissent en juin au plus tard début juillet) ; il "gueule" un cri de ralliement en approchant d'une forêt, pour quelqu'un qui aime la nature, en voilà un comportement étrange, s'il voulait faire fuir tous les animaux, il ne s'y prendrait pas autrement.
J'ai finalement toujours un avis mitigé sur les écrits de Sylvain Tesson, comme je l'ai déjà dit dans mes chroniques écrites à propos de deux autres de ses livres, présentés sur ce blog.
- La panthère des neiges (celui que j'ai préféré des trois, malgré mes bémols).
Bonne découverte tout de même... à ceux qui ne l'ont pas encore lu !
La semaine prochaine, entre deux lectures, nous allons quitter virtuellement la Provence pour retourner en Haute-Loire, enfin, comme d'habitude...si vous le voulez bien !