Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
"Devenir". Ce verbe m'avait toujours obsédée, mais c'est en cette circonstance que je m'en rendis compte pour la première fois. "Je voulais devenir", même sans savoir quoi. Et j'étais "devenue", ça c'était certain, mais sans objet déterminé, sans vraie passion, sans ambition précise. J'avais voulu devenir quelque chose- voilà le fond de l'affaire- seulement parce que je craignais que Lila devienne Dieu sait quoi en me laissant sur le carreau. "Pour moi, devenir, c'était devenir dans son sillage". Or je devais recommencer à devenir mais pour moi, en tant qu'adulte, en dehors d'elle.
Après "Enfance, adolescence" et "Le nouveau nom" présentés sur ce blog depuis longtemps, il était temps que je poursuivre la tétralogie de "l'amie prodigieuse" commencée en 2016 et que je la présente ici.
En fait, j'ai profité des vacances pour me replonger dans la saga et enfin la terminer.
Je me souvenais de beaucoup de choses, mais lors de ma relecture, j'ai trouvé encore plus subtil la manière dont l'auteur parle entre les lignes de cette amitié passionnelle entre les deux petites-filles, puis de son évolution quand elles grandissent et deviennent jeunes filles, puis adultes.
Et pourtant, même lorsque je vivais dans d'autres villes et que nous ne nous voyions presque jamais, même lorsqu'elle ne me donnait pas de nouvelles selon son habitude, et que je m'efforçais de ne pas lui en demander , son ombre me stimulait, me déprimait, me gonflait d'orgueil ou m'abattait, sans jamais me permettre de trouver l'apaisement...
Je voudrais que Lila soit là, et c'est pour ça que j'écris
Dans ce troisième tome, nos deux héroïnes sont rentrées dans l'âge adulte à présent, elles ont 30 ans et chacune suit son destin mais si elles restent liées par un lien qui apparaît comme indestructible, la vie néanmoins les sépare, et Lénù fait tout pour s'éloigner de l'emprise psychologique que Lila a sur elle, sans toutefois y parvenir.
Si vous désirez lire la saga et que vous ne l'avez pas encore fait, rendez-vous plus bas dans la page pour lire seulement mon avis !
Eléna (Lenù) qui a terminé ses études à l'Ecole Normale de Pise, vient de publier son premier roman. Le succès est à sa porte. Elle se marie et s'installe à Florence avec Pietro, devenu professeur d'université, tandis qu'Adèle sa belle-mère, s'occupe de la promotion de son livre, qui s'avère être très vite un succès.
Dans ce roman, elle décrit ses premières expériences sexuelles et Lenù est stupéfaite de voir que pour ses lecteurs, il semble se résumer à ces passages -là, choquants pour certains _vu le puritanisme ambiant en Italie à cette époque. Dans une société bien pensante et surtout très croyante où aucune jeune fille n'est sensée connaître les relations sexuelles avant le mariage, son roman apparaît particulièrement d'avant-garde.
Mais Lénù se retrouve enceinte et incapable d'aligner trois mots pour continuer à écrire. Pas facile d'être auteur à la maison tout en élevant ses filles (elle en aura deux). Elle se sent coincée, inutile, incapable de poursuivre sa carrière littéraire.
Les révoltes féministes se profilent à l'horizon et grâce à la sœur de Pietro, Mariarosa, Lenù se retrouve sur le devant de la scène, bien décidée elle-aussi à participer à sa manière.
Pendant ce temps-là, Lila qui a quitté Stefano et s'est enfuit avec Enzo en emmenant son fils Gennaro, trouve du travail dans l'usine de Bruno Soccavo, un ami de Nino Sarratore rencontré lors de leur vacances au bord de la mer. Elle se fait exploitée et harcelée comme les autres employées de l'usine de salaison : les conditions de travail sont inhumaines, et la révolte gronde parmi les ouvriers. Mais Lila veut rester en retrait, elle ne veut pas risquer de perdre son travail. Elle rejette en bloc, les petits bourgeois qui mènent le mouvement de leur maison remplie de livres "avec vue sur la mer".
Ses rencontres avec Lenù sont teintées d'agressivité. Toujours aussi directe et cruelle, Lila a le don de pousser son amie à bout pour la faire réfléchir car Lenù est plus indolente. En agissant ainsi, Lila pense l'obliger à donner le meilleur d'elle-même.
Lenù à l'inverse, admire toujours aussi passionnément son amie, qui a toujours été brillante et elle la jalouse souvent, ce qu'elle regrette bien entendu ensuite, mais sa sincérité nous touche.
Leur amitié sonne juste : elles ont été élevées dans le même quartier pauvre et ont cherché à s'en sortir par des moyens différents mais en accord avec ce que le destin leur a réservé et ce que leurs parents ont accepté. Pas facile de franchir l’ascenseur social pour Lenù, qui sans cesse doit se mesurer aux autres comme elle l'a fait durant sa jeunesse avec Lila. C'est avec Nino à présent, qu'elle a retrouvé par hasard, qu'elle se compare, redoutant de ne jamais arriver à avoir autant de connaissances que lui, ni arriver à sa hauteur...ce faisant elle oublie qui elle est, tout comme l'orgueilleuse Lila, va renoncer peu à peu à ses propres rêves.
Les deux amies bien qu'éloignées géographiquement ont renoué une relation passionnelle, parfois chaleureuse, parfois destructrice...elles se rapprochent et se déchirent au gré des événements et de leur personnalité.
Engagées dans la lutte des classes et le mouvement de libération des femmes, les deux jeunes femmes sont obligées d'avancer dans leur vie coûte que coûte, et surtout d'assumer leur choix.
Les années 60-70 ne vont pas être de tous repos pour elles deux !
Lila éprouva encore une fois le plaisir anxieux de la violence. Oui, pensa-t-elle, tu dois faire peur à ceux qui veulent te faire peur, il n'y a pas moyen, c'est coup pour coup, ce que tu me voles je te le reprends, et ce que tu me fais, je te le fais à mon tour.
Mon avis
Dans ce tome, le lecteur suit encore une fois avec passion le destin des deux amies.
C'est un roman plus politique, engagé, très féministe qui montre bien les difficultés pour Lenù de concilier vie de couple, enfants et métier. Pour Lila, la vie quotidienne n'est pas rose non plus, maintenant qu'elle n'a plus l'argent de Stefano et qu'elle doit travailler en usine, tout en faisant garder son fils. Toutes deux se posent des questions sur leur condition de femmes.
C'est un roman très réaliste qui sent le vécu. L'auteur a elle-même du traverser des années difficiles en même temps que son pays. En Italie, ce sont les années de plombs et à travers le récit de la vie quotidienne de nos deux héroïnes, le lecteur va découvrir toute une partie de l'histoire de ce pays : les contestations au travail et dans les Universités, les mouvements féministes, la violence qui devient la seule manière de s'exprimer (la situation dégénère entre les fascistes soutenus par la mafia et les gauchistes).
Dans ce contexte politique et social agité, l'auteur sait nous parler avec finesse et sensibilité de cette amitié, complexe, parfois pesante et tumultueuse, mais néanmoins sincère et qui dure depuis l'enfance. Elle sait aussi nous décrire avec intelligence et pudeur, les difficultés vécues pour se sortir d'un milieu social et d'un quartier qui vous collent à la peau, quoi que vous fassiez pour chercher à améliorer votre condition.
Malgré les difficultés de la vie, Lenù (donc l'auteur) nous livre ses plus belles pages sur l'amitié, une amitié qui n'est pas cependant dans ce tome-ci, au centre du récit.
Vous l'aurez compris, c'est encore un tome très prenant, certes plus politique que les précédents mais qui nous rappelle que les années 60 en Europe et donc aussi en Italie ont été des années de remaniements importants de nos modes de vie et de nos traditions.
Un tome indispensable qui nous donne envie de poursuivre la série en lisant le quatrième opus, ce que j'ai fait dans la foulée, profitant des vacances d'été.
Au fil des ans, il nous était arrivé trop de choses pénibles, parfois même atroces, et pour retrouver le chemin des confidences, il aurait fallu que nous nous disions trop de pensées secrètes. Or moi, je n'avais pas la force de trouver les mots, et elle, qui avait peut-être la force de le faire, elle n'en avait pas l'envie, ou bien n'en voyait pas l'utilité.
Mais je l'aimais toujours autant...
A chaque fois que quelque chose semblait établi dans notre relation, tôt ou tard on découvrait que ce n'était en fait qu'une situation provisoire, et bientôt un changement se produisait dans sa tête, nous déséquilibrant elle comme moi. Je n'arrivais pas à comprendre si ces paroles étaient un moyen de me demander pardon, ou si elles n'étaient que mensonge, dissimulant des sentiments qu'elle se souhaitait pas me confier, ou encore si elles préparaient un adieu définitif...