Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Quand elle était petite, au moindre chagrin, pour la consoler, je lui chantais "Mon p'tit loup" de Pierre Perret et, au lieu de l'apaiser comme on était en droit de l'attendre de cette chanson, ...cette chanson la faisait pleurer encore plus, d'autant que, pour ne rien arranger, j'avais moi-aussi les larmes aux yeux...
Commençons la semaine si vous le voulez bien, avec ce roman plein d'humour et de tendresse. Il vous fera passer un très bon moment de lecture, si vous êtes sensible à l'humour de l'auteur bien entendu, car rien n'est plus personnel que l'humour.
Ressenti par les uns à des degrés divers, il peut laisser parfois les autres de marbre. C'est ainsi !
De Fabrice Caro dont j'ai découvert l'humour décalé avec ses BD ICI et ICI, je n'ai lu pour l'instant qu'un seul roman "Le discours" présenté ICI sur le blog alors que celui que je vous présente aujourd'hui est son troisième.
Dans "Broadway", le lecteur suit la vie quotidienne et les réflexions d'Axel, un héros comme les aime l'auteur : étourdi, maladroit et fantasque mais adorable et tellement humain.
Axel a tout pour être heureux : une femme, deux enfants, un pavillon dans une banlieue et un travail qui lui permet de vivre normalement.
Il a aussi des rêves qui ne sont pas forcément ceux des autres mais qui suffisent à briser la monotonie de sa vie.
Bref à 46 ans tout allait bien pour lui, jusqu'à ce jour où tout bascule parce qu'il reçoit une petite enveloppe bleue de la Sécurité Sociale. C'est la campagne de prévention pour dépister le cancer colorectal. Il est stupéfait car il n'a pas encore 50 ans, l'âge où ce courrier parvient habituellement dans les boites aux lettres de ses amis et voisins. Au début, cette enveloppe lui rappelle une petite lettre bleue reçue alors qu'il était adolescent et amoureux, mais très vite elle va devenir pour lui une véritable obsession.
Tout s'enchaine alors pour aggraver son ressenti. Axel est convoqué au collège parce que son fils de 14 ans a dessiné deux de ses professeurs dans une pause dégradante ; sa fille de 18 ans déprime car elle est en plein chagrin d'amour, et l'oblige, lui qui est athée à aller brûler un cierge ; des amis de sa femme leur proposent de partir en vacances à Biarritz ensemble, pour faire du paddle ; et leur "gentil" voisin le traque à tous instants car c'est à eux à présent de lancer les invitations pour l'apéro obligatoire trimestriel...Or rien ne va plus, il n'a en pas envie du tout !
Dépassé par les événements et par sa vie familiale, Axel ne sait pas réagir comme il le faudrait.
Il ne peut... aller parler à son fils pour répondre à la demande de sa femme, quasi parfaite, elle, en toutes circonstances ; aller s'excuser auprès des professeurs de son fils ; dire non à ses amis. Il cafouille, se trompe de destinataire quand il envoie des textos, fantasme au lieu d'agir, imagine les rêves des gens qu'il croise, s'imagine lui-même parti Argentine pour fuir cette vie devenue bien trop compliquée pour lui...là-bas il serait un héros admiré par tous !
Pourquoi nous évertuons-nous à n'effectuer que des actes pourvus de sens ? Pourquoi une existence qui n'en a aucun devrait-elle être constituée d'une suite ordonnée de faits rationnels, et pourquoi ne nous mettrions-nous pas subitement à courir dans la rue...
Chaque événement porte en lui sa comédie autant que sa tragédie, tout est affaire de contexte...
Pourquoi Broadway me direz-vous ? C'est le titre d'un spectacle pour enfant qu'il avait été obligé d'aller voir quand sa fille, encore petite, y jouait !
Voici un livre qui invite à rire de nous-même car nous ne manquerons pas de nous reconnaître dans certaines des pensées ou des actes d'Axel. Pas dans toutes heureusement, car Axel est un inadapté social. Il est incapable de dire non, mais dès qu'il fait un choix, il le regrette immédiatement. De plus, il ne peut imaginer aucune situation sans voir aussitôt le pire, et souvent en effet le pire se produit mais quand ce n'est pas le cas, il n'en est pas forcément plus heureux pour autant.
Tout cela vu de notre fauteuil est forcément amusant et je l'avoue j'ai beaucoup ri, ce n'est pas très gentil pour le héros, mais c'est ainsi.
Par contre, je pense qu'il faut apprendre à se laisser aller et à accepter quelques exagérations pour apprécier vraiment cette lecture, entrer dans les délires du héros, le suivre dans ses pensées, ses réactions forcément décalées...
S'il savait accepter la vie comme elle vient et ne pas se faire autant de soucis, ce serait finalement beaucoup moins drôle !
Grâce à beaucoup de finesse, à un ton détaché, à des descriptions réalistes et qui sonnent toujours juste, l'auteur sait provoquer beaucoup d'empathie pour son personnage.
Mais ne vous y trompez pas, c'est aussi un roman plus profond qu'il n'en a l'air car il parle de crise existentielle, de questionnements sur l'existence, de vie en société, et des enfants qui grandissent si vite que les parents un beau matin, découvrent des êtres qu'ils ne reconnaissent pas toujours, et ne savent plus comment gérer.
Un livre qui m'a fait du bien en ces temps de morosité ambiante, j'espère qu'il en sera de même pour vous !
Rien ne ressemble jamais à ce qu'on avait espéré, rien ne se passe jamais comme on l'avait prévu, le résultat est toujours à des années-lumière de ce qu'on avait projeté, nous sommes tous dans une comédie musicale de spectacle de fin d'année, dans un "Broadway" un peu raté, un peu bancal, on se rêvait brillants, scintillants, emportés...on se regarde impuissants et résignés...mais on continue de se persuader qu'atteindre son but est la règle et non l'exception.
...et je roule et je fume la vitre ouverte, la cigarette aux lèvres, et chaque bouffée me rapproche un peu plus de que je suis autant qu'elle m'éloigne de ce que j'ai voulu paraître et je roule sans bien savoir où je vais mais sachant parfaitement où je ne vais pas et ça suffit à me faire sentir vivant pour la première fois depuis longtemps...