Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Engels a gardé de ce jour la conviction vissée que toutes les bondieuseries n'étaient que des fadaises, qu'il n'y avait pas de destin, qu'il n'y avait pas de providence, que toutes les prières du monde n'étaient que des comptines bonnes à berner les sots, à rassurer les faibles, comme les superstitions. Adieu le bon Dieu ! Adieu ses anges !
Le printemps est passé. C'était il y a trois ans.
L'argent règne sur l'Europe. Il fait et défait les empires. Les insurgés sont retournés à l'usine.
La Ligue des Justes est morte et le Manifeste communiste qu'ils avaient écrits ensemble est la proie des souris et des rats.
Mais ce n'est que partie remise. Le Maure guette le moment. Il est à pied d'oeuvre pour fonder une autre ligue...
Voici le second roman d'un auteur que j'ai découvert récemment avec "Ces rêves qu'on piétine", son premier roman, présenté ICI sur le blog.
Dans celui-ci l'auteur nous fait découvrir la vie à Londres dans les années 1860, au temps de l'Angleterre Victorienne.
Dans les rues c'est la misère, les maladies, la drogue et, face aux conditions de vie des travailleurs, la révolte gronde.
Pendant ce temps, les riches se remplissent les poches. Les patrons exploitent leurs ouvriers qui s'épuisent à la tache. L'argent est roi et brise les hommes.
Un jour Charlotte, qui a fui son Irlande natale et la misère qui allait avec pour vivre à la ville, alors qu'elle était enceinte, et qui vient de perdre dans des circonstances tragiques son bébé, voit arriver le Docteur Malte, un médecin qu'elle connaît bien. Il l'emmène à l'étage d'une maison de banlieue. Là, une jeune bonne l'attend pour lui mettre dans les bras son nouveau-né. C'est Freddy, le fils illégitime de Karl Marx, déjà célèbre à l'époque et poursuivi par les polices d'Europe et qui ne peut avouer à sa famille sa trahison et ne veut pas s'occuper ni de la mère ni de l'enfant...
Charlotte qui a du lait, va pouvoir le nourrir et s'occuper de lui comme si cet enfant était le sien.
A Londres où il s'est réfugié avec sa famille, Karl Marx est aidé financièrement par son ami Engels, directeur d'une prestigieuse usine de coton, qui malgré la crise a largement de quoi mettre son ami et sa famille à l'abri. En effet, malgré son exil, Karl Marx que tout le monde surnomme le Maure, tient à faire vivre sa famille avec un certain standing, "comme des bourgeois".
Charlotte va tout faire pour rendre son "fils" heureux, sans aucune aide extérieure. Elle volera, trompera et ira même jusqu'à vendre son corps, sera obligée de déménager, mais elle ne révélera jamais à personne le secret de sa naissance... au péril de sa propre vie.
Tandis que Karl Marx écrit avec ferveur ses théories sur la Révolution, tout en vivant une existence agréable, son fils qui ne connaît que la misère et le travail dans les usines de coton, va prendre les armes aux côtés du peuple irlandais qui se révolte contre le chômage et la faim.
En effet, la Guerre de Sécession au loin, a entraîné une crise du coton sans précédent....le pays est exsangue.
"Voilà un des secrets du plus beau bleu du monde. Et ne me demande pas pourquoi. J'en sais rien. Je sais juste que c'est vrai. C'est vrai depuis que mon père fait ça. Et mon grand-père aussi."
Freddy se déboutonne devant les cuves de tête, celles du premier rang. Toute la nuit, il va boire et pisser et parler avec Saltz.
Freddy aimerait lui ressembler.
L'auteur part d'une histoire vraie mais bien cachée. Karl Marx aurait eu en effet un fils illégitime avec sa gouvernante, Helene Demuth. L'enfant, Frederick, né en 1851, et mort sans descendance en 1929, aurait été reconnu par l'ami de Karl Marx, Friedrich Engels, Karl Marx n'ayant jamais assumé sa paternité.
"Le cœur battant du monde", c'est la Bourse de Londres où les investisseurs affluent et misent sur les actions ferroviaires, mais aussi la révolte des pauvres et des opprimés, sur fond de violence policière.
Le lecteur découvre la relation particulière quasi névrotique de Karl Marx avec l'argent. Le lecteur est étonné de son mode de vie bourgeois, alors qu'il s'avère incapable de travailler, et de la légèreté avec laquelle il accepte d'être aidé par son ami, certes riche industriel par héritage, mais tout de même, c'est Engels qui paie le loyer et les dépenses pas toujours justifiées d'une famille nombreuse.
Le contraste entre les idées et les actes est tout à fait surprenant et pendant ce temps les dettes s'accumulent et l'ami doit toujours et encore les régler...
Engels apparaît d'ailleurs comme le personnage masculin le plus sympathique du roman. Certes il profite de son argent, il est considéré comme "le roi du coton", les banquiers tiennent compte de son avis, il est respecté pour ses décisions. Il participe aux chasses à courre, mène la belle vie, mais...à côté de ça, il pousse ses ouvrières à la révolte, les écoute, leur offre de meilleures conditions de travail, et entretient lui-même deux sœurs dont il est tombé amoureux.
Engels aime ces slogans, ces appels à l'union, la plus large possible. Il l'encourage chez lui, dans sa propre usine. Ses ouvrières sont syndiquées. Elles sont probablement parmi les mieux payées du Lancashire et elles travaillent seulement treize heures par jour.
Karl Marx et Engels rêvent pourtant tous deux, et avec sincérité, de faire tomber le système capitaliste.
Freddy, le fils est un personnage attachant, mais qui ne tient pas dans le roman, la place à laquelle je m'attendais. Finalement comme dans sa vraie vie, il ne trouve pas sa place dans ce monde, d'abord parce que sa mère adoptive le cache, mais aussi parce qu'il est jeune et inexpérimenté.
Par contre, Charlotte qui est un personnage totalement fictif, puisque dans la vraie vie, elle n'a pas de visage car on ne sait pas qui a réellement élevé Freddy lorsqu'il a été enlevé à sa mère biologique, ne peut que susciter notre admiration.
Donc, le coeur du roman est bien l'histoire d'une époque dont je ne savais presque rien, et l'étude psychologique des personnages réels ou fictifs, qui ont entouré Karl Marx, tandis que celui-ci écrivait avec difficulté, son ouvrage majeur.
Moi qui ne suis pas particulièrement attirée par les romans historiques, je l'ai lu en quelques jours avec un grand plaisir. D'abord on apprend beaucoup de choses du contexte de cette époque. L'Angleterre était alors je le rappelle, le plus grand empire colonial du monde.
J'ignorai beaucoup de choses comme par exemple que les Irlandais avaient été nombreux à partir pour s'engager auprès des Yankees, parce qu'on leur avait promis des terres qu'on ne leur a bien entendu jamais donné. Je ne savais que peu de choses des révoltes des fénians (ou féniens), ces nationalistes irlandais qui ont été si violemment réprimés.
Par contraste forcément, on ne peut qu'être touchés de redécouvrir comment vivaient les plus pauvres.
Il faut dire que l'auteur a une belle plume et qu'il nous donne ici un roman captivant, sans faille, au rythme soutenu, véritable fresque sociale et historique, romancée et que j'ai trouvé, passionnante.
Pour l'heure, elle dispose d'une adresse, à Eccles. C'est celle de l'usine qui porte son nom : Ermen &Engels.
Elle va bientôt savoir combien vaut son secret.
Charlotte arrache un peu de bourre au matelas. Elle la malaxe et la tasse pour en faire deux masses rondes qu'elle glisse dans sa chemise. Elle la referme puis la lace très serré pour gonfler sa poitrine.
"C'est mieux" pense-t-elle en remontant ses seins. Elle se trouve un peu plus digne et presque désirable. Il faut ça pour qu'un homme ouvre sa porte sans raison. Elle palpe ses hanches et sent le manche de son couteau de Sheffield. On ne sait jamais...
Le cimetière est comme lui : en creux. il a été bâti un peu plus bas que le reste de la ville pour échapper au regard des vivants.
Freddy rassemble les fleurs balayées par le vent. Demain, ses violettes auront probablement roulé sur la tombe d'à côté. Quelle importance ! Il ne croit ni aux messes, ni aux cierges, ni aux cieux. Les prières sont pour lui des aveux de faiblesse et les fleurs, une sottise. Aucune pelletée de terre, aucun chant même sacré ne pourra combler le vide que Charlotte laisse.