Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Ma mère m'a doucement repoussé par les épaules, m'obligeant à me détacher d'elle. Nous nous sommes regardés comme si nous allions être séparés pour toujours. J'ai dû m'accrocher à l'idée que j'étais un homme pour ne pas fondre en larmes. Mais est-on vraiment un homme à seize ans ?
Puisque aucun vivant ne lui avait fermé les yeux, mon père n'était peut-être pas mort. Cette pensée, que nous n'exprimions jamais, nous causait beaucoup de souffrance. Elle nous empêchait de recoudre notre peine et de l'ensevelir.
Durant le XIXe siècle, Camille 16 ans, doit cette année quitter sa Creuse natale, pour partir "limousiner" à Lyon pendant neuf mois, avec Gerbeau, son oncle, et tout un groupe d'hommes de sa région. C'est ainsi qu'on nomme le travail des maçons qui unissent leurs forces pour bâtir les prestigieux monuments, et réparer les anciens édifices de la nouvelle ville en plein essor.
C'est là-bas, lors de la crue exceptionnelle du Rhône de 1856, que son père a disparu quatre ans plus tôt, emporté par les eaux en furie, sorties de leur lit. Depuis la tristesse s'est installée dans la maison malgré l'amour dont l'entoure sa mère.
Pierre son père, était un ouvrier habile et renommé. Tout le monde se souvient bien de lui et les hommes font bon accueil à Camille.
Celui-ci doit travailler dur, onze heures par jour, et porter en haut des échelles un panier empli de mâchefer. Mieux vaut ne pas avoir le vertige pour redescendre !
Les premiers jours sont difficiles pour Camille d'autant plus qu'il comprend très vite que la disparition de son père est entourée de mystère...qu'en fait il ne serait pas mort mais se serait volatilisé au bras d'Emilia, une belle italienne qui travaillait comme ovaliste en soie.
Le choc est rude pour lui qui adorait son père, et qui a le cœur empli des souvenirs de leurs retrouvailles passées.
Il aurait donc décidé de les abandonner !
Peu à peu les langues se délient et lorsque sa mère lui demande de faire établir un certificat de décès pour qu'elle puisse se remarier, Camille décide de partir sur les traces supposées de son père.
Ce sera un voyage initiatique mouvementé qui le mènera sur des routes enneigées et semées d'embûches, mais il rencontrera l'amitié et l'amour, et fera de belles découvertes. Il ira ainsi, à pied, jusque dans le Comté de Nice, aux confins de la toute nouvelle frontière italienne en création...
Malgré la fatigue, la difficulté des leçons, la faiblesse de ses connaissances, Camille ne se décourage pas. Il accède à cette forme de sérénité que procure le bonheur, peu à peu, de comprendre.
L'auteur lui-même originaire de la Creuse, connaît bien l'histoire de sa région et de ces hommes qui pendant des décennies, parce qu'ils ne pouvaient vivre uniquement de leur terre, partaient donner leurs bras pour une bouchée de pain et quittaient leur femme et leurs enfants pendant neuf mois dès qu'arrivait le printemps.
Le roman est précis et bien documenté. Le lecteur apprend beaucoup de choses sur la vie de ces maçons, ainsi que sur la vie quotidienne des immigrés italiens, mais aussi sur le travail qui était proposé aux femmes.
On assiste en direct à l'évolution de la condition ouvrière, les premiers cours du soir, les premières revendications syndicales...
La plume de l'auteur est légère et précise. Il nous invite à entrer dans un pan de l'histoire sociale de France que je ne connaissais pas du tout, celle des maçons migrants de la Creuse (et du Piémont) qui ont participé à la refonte totale et aux nombreuses constructions haussmanienne de Lyon.
Le roman nous parle aussi des événements consécutifs au traité de Turin et du remaniement des frontières qui en découle, la France ayant à la suite du traité, rattaché la Savoie et le Comté de Nice.
L'alternance entre les chapitres où Camille parle (emploi du "je) et ceux où l'auteur emploie la troisième personne, donne beaucoup de rythme au roman...
Camille est un jeune homme attachant. Il est très intelligent, sait lire, écrire et compter ce qui n'était pas le cas de tous à l'époque. Il sait donc attirer la chance car il va très vite travailler aux côtés des ingénieurs qui n'hésitent pas à lui donner des cours du soir. Évidemment sa quête nous touche car il a du mal à comprendre la double vie de son père, veut en savoir plus, tout en ayant très peur de ce qu'il va apprendre, et il est évidemment en quête de sa propre identité.
C'est un roman social et initiatique agréable à lire et touchant que j'ai lu quasiment d'une traite.
Il peut être proposé aux adolescents qui découvriront ainsi la vie de l'époque.
Je vous invite à lire l'avis de Binchy sur son blog en cliquant sur le lien ci-dessous...
LE VOYAGEUR DES BOIS D'EN HAUT - JEAN-GUY SOUMY - Binchy and her hobbies
Le Voyageur des Bois d'en Haut - Jean-Guy Soumy : L'émigration saisonnière dite "des maçons de la creuse", qui a duré plusieurs siècles et façonné le destin de populations rurales vivant not...
http://binchy.canalblog.com/archives/2020/01/23/37965132.html