Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Quelles que soient les routes que l'on prend, l'ombre de ce que nous avons été nous poursuit avec la ténacité d'une malédiction.
Juan Belmonte pensait couler enfin des jours tranquilles avec Veronica, sa compagne en s'établissant dans un coin isolé de la Patagonie. Elle a connu la torture dans les geôles de Pinochet mais, malgré les soins apportés depuis sa sortie, elle reste prostrée et mutique, comme "brisée de l'intérieur". Lui, après être sorti des meilleures écoles militaires, avoir combattu dans sa jeunesse en particulier en Bolivie, est devenu tireur d'élite dans les Services Secrets russes, puis a pris une retraite bien méritée. Ils vivent tous les deux dans une ferme isolée, gardée par Pedro de Valdivia, un homme fiable et armé, et deux chiens fidèles.
Mais voilà que les Services Secrets le rappellent et que Juan ne peut refuser une dernière mission : retrouver deux anciens agents du renseignement disparus, qui ont été formés par le KGB.
Quelque part dans le nord de la Russie, un groupe de Cosaques met au point une opération visant à libérer de prison par la force, un certain Miguel Krassnoff. Cet horrible personnage est le descendant du dernier ataman (=chef des Cosaques). Il a combattu durant la Seconde Guerre mondiale aux côtés des SS. Il a été également général de l’armée de Pinochet, et a été pour cela emprisonné à vie à Santiago pour différents chefs d'accusation cumulés, dont les crimes contre l'humanité. Ce tortionnaire avait en effet participé activement à la répression pendant la dictature militaire. C'est lui qui supervisait les tortures.
Le lecteur suit les différents personnages, écoute les commanditaires, prend connaissance des ordres de Stanislav Sokolov_ dit Slava_ et de Kramer qui cachent bien leur jeu.
Pour Juan Belmonte, il y a forcément quelque chose qui cloche car retrouver ces deux hommes s'avère être un vrai jeu d'enfant pour lui.
Vous vous en doutez, les histoires se rejoignent et rien ne se passera comme prévu...
Ils avaient fait le serment de nier les égorgements, les assassinats déguisés en accidents ou les étudiants brûlés vifs en représailles à l'attentat qui, il s'en était fallu de peu, avait failli coûter la vie à Pinochet. Ce serment s'étendit ensuite aux simples soldats, et un second pacte du silence fut même signé, cette fois entre les militaires et des civils pressés d'occuper le pouvoir. Ce pacte stipulait " pour protéger les victimes"...que les noms des officiers et des soldats impliqués dans les assassinats, les vols d'enfants et les disparitions ne devaient pas être divulgués avant cinquante ans.
Ce thriller est considéré comme une suite de celui intitulé "Un nom de Torero" que je n'ai pas lu. Au début, le roman fait également référence à "L'ombre de ce que nous avons été"...cette ombre qui poursuit notre héros au nom de torero. Et cela me donne envie de lire ces deux titres que je n'ai jamais lu, même si ne sera pas pour tout de suite, car j'ai envie de lectures un peu plus légères à présent.
"La fin de l'histoire" est un polar noir très politique qui retrace l'histoire de la dictature chilienne et de ses conséquences. Le passé revient donc planer au-dessus des personnages alors qu'eux-mêmes pensaient l'avoir oublié.
Le roman est court ( 198 pages) mais il traverse l'histoire du monde au XXe siècle. Le lecteur se retrouve en effet dans la Russie de Trotski, puis au Chili avec Pinochet, en passant par l'Allemagne d'Hitler...L'auteur nous emmène donc d'un pays à l'autre, et jusqu'en Patagonie où vit le héros aujourd'hui. J'ai été obligé de revoir mes connaissances historiques pour certains des événements relatés, en particulier en ce qui concerne les cosaques sur lesquels j'ai très peu lu dans ma vie.
La construction du roman est déroutante car les différents éléments forment autant de pièces d'un gigantesque puzzle qui démarre en 1917 pour se terminer de nos jours, et les pièces ne sont pas si évidentes que cela à remettre à la bonne place. De plus, les personnages sont nombreux et je reconnais qu'au tout début du roman je me suis un peu perdue parmi eux. Mais cela n'a pas duré...
Ce polar est une manière pour l'auteur d'aborder, par la fiction, les douloureux souvenirs du passé du temps des années Pinochet. Il nous parle donc au cœur du roman des horribles tortures qui étaient pratiquées dans la sinistre "villa Grimaldi" située à Santiago du Chili et il dédie son roman :
"A Carmen, "Sonia" Yanez, la prisonnière "824" [sa femme, son grand amour qui a subi ces tortures...]
A toutes celles et ceux qui ont connu l'enfer de la "Villa Grimaldi".
Miguel Krassnoff, comme d'autres personnages ayant violé les droits de l'homme, cités dans ce roman (il cite aussi Ingrid Olderock par exemple...), est un personnage réel et vous pouvez retrouver différents articles à leur sujet sur internet. Lui est à ce jour toujours emprisonné pour Crime contre l'humanité. Il était réellement un descendant de l'ataman des cosaques.
L'auteur a simplement pris un peu de liberté avec la réalité pour étayer sa fiction.
Luis Sepulveda est un auteur très engagé dans ses écrits, comme il l'a été dans sa vie. Très tôt engagé en politique, il a en effet lui-même été emprisonné pour ses idées durant la dictature de Pinochet, alors qu'il était jeune étudiant. A sa libération, il sera contraint à l'exil...
Vous pouvez facilement retrouver sa biographie complète sur internet, si cela vous intéresse d'en savoir plus à son sujet.
"La littérature raconte ce que l’histoire officielle dissimule", nous dit-il et dans ce roman ces propos se vérifient au fil des pages.
Une note de l'auteur en fin d'ouvrage, donne des informations précises sur les faits et lieux réels qui apparaissent dans le roman.
Il est difficile pour moi de trouver les mots justes pour parler de ce polar qui est un prétexte pour l'auteur à revivre le douloureux passé qui a été le sien. Un titre prémonitoire en plus...car c'est le dernier roman de l'auteur, écrit peu avant sa disparition en 2020, suite au Covid.
Sa lecture me permet de participer encore une fois au Printemps Latino, chez "Je lis, je blogue". Et si vous voulez voir ce qu'elle-même a pensé de cette lecture, c'est ICI.