Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Tout le paysage vibre dans la fournaise. Pas âme qui vive dans ce silence. Il hésite. C'est une chose d'arriver quelque part. C'en est une autre de s'y arrêter sans hasard avec, pour possible sésame à une vie nouvelle, cette clé de malheur qu'il trimballe avec lui depuis la guerre. Parce que s'il franchit le pont, c'est bien un peu de cette guerre lointaine qu'il va planter au coeur des gens de ce village avachi sous le cagnard...
Nous sommes en 1955, dans un village fictif des Alpes de Haute-Provence, le Mazet-sur-Rourle situé dans le roman près de Moustiers. Fictif mais typique, avec sa place ombragée et sa fontaine, son bistrot tenu par César Magnan, les chasseurs et les joueurs de carte qui ne quittent pas leur table. Il y a aussi le père Benoit, bon vivant et bedonnant qui fait son possible pour gérer ses ouailles. Et puis, il y a Lisou la jolie institutrice récemment endeuillée que tous les hommes du village rêvent d'épouser ou de mettre dans leur lit, y compris le Pabeu, (= pas beau, prononcer pabèou), le simplet du village qui lui écrit des poèmes et Jean Biagio, le directeur de l'école qui attend patiemment son heure en la dévorant des yeux.
Au cœur de ce mois de juillet caniculaire, alors que les enfants sont tout juste en vacances et que le village s'apprête à fêter le 14 juillet comme il se doit, un homme descend de l'autobus. Personne ne le connait. Il observe tout, s'installe à la terrasse du café et parle peu. On arrive à lui soutirer quelques mots : il arrive tout droit de Marseille, mais est d'origine arménienne ; il s'appelle Bogdan et il cherche un peu de travail en échange du gîte et du couvert.
César Magnan le dirige aussitôt vers le curé qui a toujours quelque chose à faire et ce dernier lui propose d'aller s'installer dans le vieux moulin du village, un peu à l'écart, mais inhabité depuis que le meunier s'est pendu.
Dans ce village où tout le monde se connait, les questions fusent et tout le monde se méfie.
Déjà, le bomian a rencontré en chemin Lisou qui lavait son linge au lavoir et il a gravi la côte aux côtés du Pabeu qui depuis, ne le lâche plus d'une semelle. Il propose même au bomian, tout blond qu'il est, d'aller faire un tour à la chasse avec lui !
Lisou, depuis qu'elle a perdu Quentin, son homme, mort durant la guerre d'Indochine, se méfie des hommes...
Personne ne se doute un seul instant qu'il n'est pas venu là par hasard mais qu'il lui faut un peu de temps avant de mener à bien sa tâche : en Indochine, il a en effet bien connu Quentin et s'est même battu à ses côtés et, il lui a fait une promesse...
Mais quand l'étranger s'interpose pour éviter une bagarre entre des gitans venus de Moustiers et le directeur de l'école, tout le monde pense qu'il ferait mieux de se mêler de ce qui le regarde d'autant plus que les hommes sont déjà jaloux avant même de le connaître et que les femmes l'admirent en secret. Elles rêvent toute de liberté et il faut dire aussi qu'il ne manque pas de charme.
Mais, ce qu'il ne peut pas deviner, c'est qu'il rappelle aussi un peu trop à certains, le drame qui a eu lieu au village il y a juste 17 ans, lorsque le dernier étranger a débarqué.
Sa présence va bouleverser la tranquillité apparente de ce petit village perdu dans les collines provençales, car il faudra bien mettre au jour ces secrets douloureux bien trop longtemps enfouis...
- Oui, je te mens. Les soldats parlent de leur femme ou de leur fiancée, mais presque jamais de leur mère. Une mère, c'est un jardin secret. A la guerre, on y pense chaque jour, mais on le garde pour soi, sauf au moment de mourir. C'est le signe qu'on l'aime plus que tout.
Le mot "bomian" en Provence viendrait de "boumian" un nom donné à celui qui n'a pas de maison, qui traine de village à village au gré de ses envies et du travail trouvé, un étranger donc, souvent d'ailleurs ce nom est également donné de façon très péjorative aux gitans (il proviendrait sans doute du mot "bohémien"). A noter le boumiam est aussi représenté sous forme de santon dans la crèche provençale.
Page Comann est en fait le pseudonyme de deux auteurs qui écrivent à quatre mains : Ian Manook que nous connaissons bien pour ses polars entre autres et Gérard Coquet que je ne connaissais pas. Ils n'en sont pas à leur premier roman écrit en commun ce que je découvre en rédigeant ces lignes.
Dès la couverture, colorée avec des lavandes au premier plan, nous savons que nous sommes bien en Provence. Dès les premières pages le décor est également planté : le patois local, l'ambiance, la chaleur de l'été, les rencontres, les jeux de cartes à l'ombre sur la place du village devant une anisette... nous sommes bien dans un décor à la Pagnol.
De plus, les ragots, les non-dits, les secrets et les jalousies qui entourent certaines des relations d'anciens amis d'enfance, ou de couples adultérins ou pas, nous immergent aussitôt dans l'ambiance des petits villages d'antan. Les dialogues sont savoureux, l'humour est omniprésent et le mystère qui entoure l'histoire de ce bomian trop bel homme, ajoutent au plaisir de la lecture, tout comme les révélations qui attendent le lecteur au fil des pages et lui feront voir les personnages différemment. D'un peu sauvages au début du roman comme beaucoup de personnes de l'arrière-pays, et même méfiants, ils s'avèreront nettement plus humains au fil des pages quand on fait leur connaissance.
C'est une lecture parfaite pour les vacances, si vous êtes en manque de ciel bleu, ou des odeurs de garrigue, de thym et de lavande, d'orages, de feux d'artifice du 14 juillet ou encore d'histoires d'amour impossibles.
Les auteurs ont une plume imagée et même carrément cinématographique et nous offrent une belle galerie de personnages un peu caricaturaux parfois (c'est le moins qu'on puisse dire !) mais qui cachent bien leur jeu. Mais, avec leurs quatre yeux mis en commun, les auteurs posent aussi un regard empli de tendresse et d'humanité sur leurs actes et leurs pensées les plus secrètes.
Les hommes ne nous apparaissent pas du tout comme des personnages sympathiques que ce soit César Magnan le bistrotier, Jean Biagio, le directeur de l'école, véritable coureur de jupons, ou bien encore les joueurs de cartes. Seuls le père Benoit, bien qu'il doute parfois de sa foi et de l'humanité entière, et le Pabeu moins bête qu'il y parait, sortent du lot.
Les femmes, elles par contre, ont toute un sacré caractère, que ce soit Madeleine, la mairesse, capitaine de la résistance et femme sans concession, Lisou l'institutrice ou Mathilde (la mère de Quentin)...elles sont attachantes et le lecteur a du plaisir à faire leur connaissance.
J'ai aimé aussi les courses dans la garrigue, de nuit comme de jour, les odeurs qui se dégagent de ce roman du sud, la lenteur qui permet au lecteur de s'imprégner des lieux et de l'ambiance d'un été en Provence.
La tension monte lentement et si le final était pour moi prévisible, je me suis tout de même laissée surprendre par les dernières pages.
Un véritable plaisir de lecture à ne surtout pas bouder et surtout Bonnes vacances à tous ceux qui en prennent...
Ce qui s'est passé après, eux seuls pourraient le dire, même si au pays tout se sait toujours un peu. Un vent bavard. Des oiseaux rapporteurs. le murmure de la Rourle. Un pays, ça sait tout, même si ça se tait. Un village c'est pareil.
- Je ne connais pas le raccourci.
- C'est pas compliqué...Dans le raidillon, après le peloux, tu prends la draille à gauche dès que tu vois l'agachon des oiseaux. Plus loin, il y a un clapier de couches pour marquer la direction. C'est un sentier de bauque blonde qui suit le tracé des saumades. Après la cinquième restanque, tu devrais apercevoir le ponchon qui mène vers Moustiers. ça monte mais ça reste à l'ombre des roules et des fayards. t'as compris ?
- Rien, mis à part d'aller à gauche et de continuer tout droit.
- Cré bordille de bomian ! ça sert à quoi que je gaspille ma salive ?