Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Sacha s'attache à l'ombre minuscule d'un grain de poussière. Il ne faut pas écouter, c'est le seul moyen qu'il a trouvé pour laisser les mots couler, sans leur donner l'opportunité de s'accrocher à une aspérité. Car les mots font plus de dégâts que les coups. Ils percent les barrières, s'insinuent dans les pensées, fermentent dans des coins cachés d'où ils finissent par s'échapper, plus violents que jamais. Sacha n'a pas le droit à la colère. Ce n'est pas lui qui frappera le premier.
Dès le début du roman le lecteur sait que Sacha, 15 ans, a été emprisonné et qu'à l'occasion d'un transfert, il va réussir à se sauver vers les montagnes qu'il connait comme sa poche.
Le lecteur apprendra ensuite au fur et à mesure de l'histoire que lors d'une première fugue, il y avait croisé Hector, un berger qui avait su l'apaiser et le prendre sous sa protection, à l'époque il n'avait que 11 ans.
Depuis la mort de sa mère, Sacha élevé seul par son père, a en effet dû subir un entrainement sportif intense afin de devenir toujours plus fort. En fait, le père de Sacha est survivaliste. Il est persuadé que la fin du monde est proche et que seuls les plus forts et ceux qui savent survivre dans la nature s'en sortiront.
Personne n'intervient, ni l'institutrice qui croit le père quand il parle de déménagement, au moment où celui-ci décide de le déscolariser, ni les membres du club de boxe qui voient pourtant que l'enfant est maltraité.
L'entrainement en montagne est rude, l'enfant doit se jeter dans l'eau glacé d'un lac, grimper vers les sommets sans manger ni boire ou faire une pause, escalader des parois sans aucune assurance, jusqu'au jour où il fuit et décide de ne plus jamais revenir chez lui.
D'autres personnages sont tout autant importants dans le roman comme Océane que l'on découvre en pleine fête de famille et qui se sent si mal dans sa peau parce que personne ne lui parle et que les gens en général ne regardent que son surpoids...
Et Louise, une journaliste, qui n'en peut plus que son patron ne lui donne que des sujets inintéressants parce qu'il la trouve charmante et la pense superficielle. Elle aussi, comme Océane, voudrait qu'on la remarque au delà des apparences...
Bien entendu, je ne vais pas vous raconter comment ces personnages vont se croiser.
Juste vous dire que lorsque le roman commence, Sacha est en prison en attendant son procès, il est accusé d'être le "monstre des masques" celui à cause de qui tant de gens ont été contaminés pendant le Covid...
On te reconnait bien là ! Toujours la première à vouloir faire la fête. Allez... à ta nouvelle orientation dans le tourisme. Les verres tintinnabulent, chacun buvant à l'avenir d'Océane.
Elle, elle sourit pour dissimuler sa tristesse. Sa famille ne l'a jamais crue capable d'arriver au bout d'un cursus d'études exigeant. Dans leur tête, comme dans les esprits de toute la société, les gros sont des paresseux incapables de se tenir à un régime et à un programme sportif...
D'habitude, le miroir devant lequel elle observe son corps nu la met mal à l'aise. Rien de tout cela ici. Elle se sent libre, vivante, comme si la fin de la dictature des apparences offrait à son être profond de la place pour enfin s'épanouir.
Ici, nue dans la fraicheur de la nuit, elle se sent elle.
Ce roman est un roman magnifique qui nous brosse un portrait peu flatteur de l'espèce humaine et de sa propension à s'enfermer et à enfermer les autres dans des aprioris. Nos trois personnages en font les frais et en souffrent.
Ne vous fiez pas au fait que le covid est en toile de fond, il est juste le point de départ de l'histoire car c'est à cause des masques que le jeune homme est accusé de meurtre et emprisonné.
Sacha sera condamné sans que personne n'ait cherché à prouver son innocence, ni à regarder de plus près la maltraitance dont il a été l'objet, ni sans que personne n'écoute les témoignages affirmant qu'il est incapable de tels actes, ou ne vérifie la chronologie des faits.
Océane, parce qu'elle fait ressortir la "grossophobie" des gens, ne trouve pas de travail et finit par douter tellement d'elle-même qu'elle vit sa jeunesse dans la solitude et sans trouver un sens à sa vie alors que c'est une belle personne.
Louise est malheureuse parce qu'on ne reconnait pas ses talents de journaliste et qu'on ne la prend pas au sérieux. Tout le monde pense qu'elle est superficielle parce qu'elle est charmante et elle est donc toute destinée à aller interviewer des chanteurs, ou autres personnes médiatiques.
Mais ce qui est le plus émouvant dans cette histoire c'est le fait que Sacha, qui a été élevé dans la solitude par un père toxique qui lui a assené que l'amour était une entrave et qu'il ne devait avoir confiance en personne, devra apprendre à lâcher prise.
Ce roman est vraiment une belle découverte. Il sera peut-être difficile d'accès pour les plus jeunes ou ceux qui n'ont pas l'habitude des flashbacks car les événements du passé éclairent peu à peu le présent et toutes les informations réunies forment un puzzle passionnant à découvrir. Cependant il faut noter que chaque chapitre débute par une date précise, et un lieu précis ce qui aide grandement le lecteur à se repérer dans le temps.
Muriel Zürcher est connue pour ses romans jeunesse ou à destination des adolescents, mais bizarrement alors que j'ai découvert dans sa bibliographie que j'avais acheté certains titres dans le CDI du collège, lorsque je travaillais encore (ça date !!) je ne l'avais jamais lu !
Aussi je remercie encore davantage Doc Bird (ICI) pour m'avoir donné envie de le faire avec ce roman pour adolescents à présenter aux plus de 12 ans.
A noter, cette autrice a reçu de nombreux prix littéraires pour plusieurs de ses romans jeunesse ou adolescents.
La solution pour survivre, il la connait. Il lui faut invoquer les souvenirs les plus heureux, fouiller dans sa mémoire pour remonter aux plus anciens, et les faire défiler dans son esprit au ralenti pour absorber les traces d'une existence normale. Sa plus grande peur est d'user ces tranches de mémoire, qu'elles perdent leur pouvoir de réconfort et qu'il se retrouve privé de sa seule raison de vivre.
Son père avait tort, ceux qu'on aime ne nous tirent pas en arrière, ils éclairent l'avenir...