Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Peut-être que pour eux, on représentait le souvenir d'un ailleurs. Peut-être qu'on incarnait les filles de leur jeunesse, ou bien la première fille dont ils étaient tombés amoureux. On était si propres et si gentilles que j'aurais aimé faire moi-même ma connaissance...
Voilà un roman que je n'aurais sans doute jamais eu l'idée de lire en regardant simplement la couverture, si je ne l'avais pas reçu en cadeau, un cadeau précieux... malgré le fait que j'ai remis à plus tard plusieurs fois de suite sa découverte. Il est donc resté un très long moment sur mon étagère avant que je me décide à l'aborder. Mais une fois commencé, on ne peut plus le lâcher aussi je ne regrette pas de l'avoir lu et d'avoir fait connaissance avec cet auteur.
Chassé de son pays, l'Irlande (encore ce pays vous allez me dire, pourtant c'est une pure coïncidence) et de Sligo, sa ville natale, par la Grande famine (vers 1846 donc) le jeune Thomas McNulty, à peine âgé de 13 ans embarque sur un bateau en partance pour l'Amérique du Nord. Il a vu périr toute sa famille, ses parents et sa sœur, et ses images le hanteront toute sa vie.
Là-bas, du Canada où il a débarqué, le jeune adolescent file jusque dans le Missouri, où il rencontre John Cole qui lui même est venu là pour trouver de quoi subsister. Ils vont devenir amis et amants et ne plus jamais se quitter. Pour survivre, ils répondent à une petite annonce et se font embaucher dans un cabaret tenu par Titus Noone, qui propose un petit spectacle parfait pour divertir les chercheurs d'or : Thomas et John doivent se déguiser en femmes. Thomas, grâce à son physique juvénile et à ses traits fins, est parfait pour apporter un peu de rêve à ces hommes éloignés de leur famille. Mais le corps des deux adolescents changent et il leur faut bientôt arrêter leur travail.
Ils s'engagent alors dans l'armée et partent combattre les Indiens dans les grandes plaines de l'Ouest. Ces Guerres indiennes leur laissent un goût amer, ils n'aiment pas les massacres, ni quand les soldats, obéissant aux ordres, doivent tuer femmes et enfants. C'est d'autant plus difficile pour eux deux que John a du sang indien par sa grand-mère et que Thomas a vu sa petite soeur mourir de faim.
Lors d'un grave affrontement avec les Sioux, durant lequel toute la tribu est massacrée, des enfants sont miraculeusement sauvés et ramenés au Fort. Parmi eux se trouve la nièce du chef oglagla Sioux "Celui-qui-domptait-les-chevaux". Surnommée Winona, elle va s'attacher à eux et ils décident de l'adopter. Ils la ramènent un temps dans le Missouri mais ils devront très vite la laisser au bon soin de McSweny, un vieil homme noir poète, puis auprès de Titus Noone qui va veiller à son éducation, car ils doivent repartir se battre contre les Etats Confédérés sous les ordres du Major Neal : c'est la Guerre de Sécession.
Mais cette fois, rien ne se passera comme prévu, John et Thomas sont faits prisonniers et conduits au Camp d'Andersonville...
J'en étais venu à espérer que des hommes aient eux aussi réussi à survivre, mais peut-être que penser ça, c'était s'attirer des ennuis. L'endroit était si beau, et cette tâche tellement abominable qu'on pouvait pas s'empêcher d'avoir une pensée humaine. La nature vous force à passer l'éponge pour oublier. A vous réfugier dans votre coquille comme une bête dans son terrier.
C'est pas dur de mourir pour son pays. C'est la chose la plus facile qu'on peut commander au menu. Dieu le sait bien.
"Des jours sans fin" est le septième roman de l'auteur. En 2016, il reçoit le Prix Costa. Le roman est souvent considéré comme un western, mais je n'ai pas du tout ressenti les événements ainsi.
L'auteur dit avoir écrit ce roman en s'inspirant de la vie d'un de ses ancêtres (un grand-oncle qui avait participé aux Guerres Indiennes) et de celle de son fils Toby qui fait partie de la communauté gay. Il a déjà parlé de la famille McNulty dans ses précédents romans que je n'ai pas lus, mais cela ne m'a pas dérangé pour la lecture de celui-ci.
Bien entendu, la situation dans l'armée de ces deux hommes amoureux ne peut que surprendre les lecteurs du XXIe siècle. J'ai en effet été très étonnée par la tolérance et l'amitié qui se nouent entre les soldats et ce couple discret certes, mais qui ne cache rien de son homosexualité. L'auteur avoue n'avoir pas pu se documenter sur la situation des personnes gays à cette époque. Il n'existe en effet aucune archive à ce sujet...il a donc tout inventé.
Au delà de ce bémol qui s'oublie facilement lors de la lecture, je vous rassure sur ce point, c'est un très beau roman d'amour qui nous parle avec pudeur et simplicité d'un couple et d'une famille, unie et d'une grande stabilité pour l'époque, qui veut juste se poser et vivre heureuse. Les évenements extérieurs vont les bousculer ce qui donnera encore plus de force à leurs sentiments. C'est aussi un roman qui parle du ressenti propre à chacun quel que soit le contexte dans lequel il vit.
Thomas portera toujours un regard empli de poésie sur la nature qui l'entoure, saura rencontrer de belles personnes, et aidera les autres à devenir meilleurs. Il assurera sa féminité dans un contexte peu propice à son épanouissement et pourtant sera un féroce combattant quand il s'agira de sauver sa peau. Il posera sur les autres un regard plein d'attention et de tolérance et saura comprendre la psychologie des êtres humains qui l'entourent.
La vie ne fait pas de cadeau à ces personnages. Ils s'aiment mais souffrent atrocement car ils ont faim, ils ont froid, ils ont peur de se perdre, ils vivent des moments d'horreur, des doutes, ne savent plus à qui faire confiance.
Bien entendu, vous vous en doutez, les passages sur les massacres des indiens sont absolument atroces et j'ai failli à plusieurs reprises lacher le livre. Mais il y a au coeur de ses pages tellement d'amour, de respect, de tendresse au milieu du chaos que cela nous permet de tenir durant la lecture de ces passages violents.
L'auteur donne la parole à Winona, leur fille adoptive dans une suite intitulée "Des milliers de lune". Bien entendu, j'essaierai de la trouver.
Lire au sujet de ce roman la très belle chronique chez Ingannmic ICI et d'autres avis plus contrasté sur Babelio ICI.
Quelle miséricorde y-a-t-il là-dedans, quel Dieu ? Je l'ignore. Sans doute aucun. Le diable est partout ce jour là. Tuez-les tous. Laissez rien en vie. Alors on les a tous tués. Il en restera même pas un pour raconter cette histoire.
Une grande part de la vie, c'est ça. Quand je me retourne sur ma cinquantaine d'années, je me demande comment elles ont passé. Comme ça, j'imagine, sans que j'y prête vraiment attention. La mémoire d'un homme contient une centaine de jours, alors qu'il en a vécu des milliers. C'est ainsi. On dispose d'un stock de jours, qu'on dépense comme des ivrognes sans cervelle. C'est pas une critique, juste une constatation.