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Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...

Seule en sa demeure / Cécile Coulon

L'iconoclaste, 2021

L'iconoclaste, 2021

Le domaine Marchère lui apparaîtrait nettement, comme un paysage après la brume. Une fois le brouillard des sapins levé sur la colline, Aimée retiendrait dans sa gorge un hoquet de surprise : jamais elle n’aurait vu un lieu pareil, jamais elle n’aurait pensé y vivre.
Une bâtisse de pierre et de bois, aussi large qu’un couvent, aussi haute qu’une église, trônait au cœur du paysage (...)
Le château se fondait dans la végétation, comme s'il était né de la forêt, protégé par elle sans qu'elle le dévore, habillé par ses feuilles et ses plantes grimpantes, bourdonnant d'abeilles, et pourtant étincelant et propre comme les costumes et chevaux de Candre (...)
Elle ne saurait, en ces lieux, quoi répondre aux silences de la forêt.

Avant Candre, deux autres jeunes hommes s'étaient présentés au clos, désirant parler au père, déroulant la liste de leurs atouts, terres, bêtes, fermes, auberges, magasins, presses, ces hommes-là pesaient lourd à la banque, et dans les yeux noirs des garçons des forêts, le pouvoir luisait férocement. Armand sentait chez eux la violence des forts d'argent, comme on sent chez un jeune chien la morsure prochaine.

A dix-huit ans, Aimée tombe sous le charme discret de Candre Marchère. Orphelin depuis son jeune âge, veuf depuis peu et riche propriétaire d'un grand domaine proche de la forêt d'Or dans le Jura, il va très vite la demander en mariage. Il a vingt-six et aimerait sans tarder avoir un héritier.

C'est un mariage arrangé, mais elle l'accepte sans se révolter car c'était ainsi au XIXe siècle dans les familles aisées. De plus, Aimée est timide et très naïve. Elle n'a donc aucun mal à tomber sous la coupe de son mari, d'autant plus qu'elle se retrouve loin de ses parents et de Claude son cousin, amoureux d'elle, qui a été son compagnon de jeu depuis leur enfance, un compagnon joyeux et taquin avec qui elle s'est beaucoup amusée. 

Son mari est discret, taiseux, et très croyant.  Il semble pourtant ne songer qu'à son bonheur. Il ne la brusque pas et la confie à sa servante Henria en qui il a toute confiance. Leurs débuts de couple ne sont pas très faciles mais il va se montrer doux, aimant et discret. Il va prendre son temps pour apprivoiser sa très jeune femme et lui faire connaître les joies de la vie conjugale. 

Malgré tout, Aimée se sent seule et mélancolique. Elle a du mal à trouver sa place dans cette trop grande demeure (SA demeure à lui) et elle se sent souvent oppressée. Elle a le sentiment que son mari lui cache certaines choses de son passé. De plus, elle se sent épiée et pense de plus en plus fréquemment à la première épouse de son mari, morte après six mois seulement de vie commune. 

Pour la distraire et parce qu'il espère qu'Aimée concevra bientôt un héritier, Candre dépêche sur les lieux un professeur particulier de flûte traversière qui arrive tout droit du Conservatoire de Genève.

En lui donnant des cours, Emeline L'héritier va provoquer sans le vouloir un éveil des sens libérateur chez Aimée qui n'avait jamais été approchée physiquement de la sorte par sa famille. Emeline va même tellement lui inspirer confiance qu'Aimée va se laisser aller à des confidences, énoncer ses craintes et demander de l'aide. 

Mais les deux jeunes femmes sont épiées par Angelin, le fils d'Henria...un fils invisible et silencieux qu'on ne voit que rarement et qui ne parle jamais, parce qu'on lui a coupé  la langue...

En y pensant, elle comprit ce qui se cachait derrière la posture impeccable de son mari : il n'était pas homme de coups, de scandale ou d'éclat, mais il était maître des lieux, maître du corps des autres. Il désignait, choisissait, détruisait, en un seul geste. Il exerçait sur ses sujets une terreur antique : Candre Marchère ne frappait pas, il ordonnait qu'on frappe pour lui, qu'on tue pour lui. Il était au-dessus de tout : du sang, des os brisés, des paumes bleuies, il vivait proche de Dieu et si Dieu disait qu'un tel s'était mal conduit, la punition tombait.

Voilà un thriller prenant et addictif, empli de mystère et de sensualité. Le style délicat et sensible de l'autrice fait partie du plaisir de la lecture et il est très difficile de lâcher ce livre avant la fin tant le suspense va crescendo. 

Dans ce roman, le lieu, le domaine Marchère donc, est un personnage à part entière. L'autrice le décrit si bien et de manière tellement détaillé que le lecteur entre immédiatement dans l'ambiance. Elle sait aussi particulièrement bien explorer l'âme humaine, ses doutes et ses désirs mais aussi ses côtés sombres. 

Ce mariage, comme il y en avait beaucoup durant le XIXe siècle, est empreint de non-dits, de croyances, de secrets bien gardés que je ne vais pas vous dévoiler afin de vous laisser la surprise de la découverte. Tout cela bien entendu, vous vous en doutez, rend l'atmosphère très inquiétante. 

Candre Marchère gère son domaine d'une main de fer. Il respecte pourtant ses domestiques et les ouvriers qui gèrent son domaine et sa forêt et voue en particulier à Henria qui l'a élevé à la mort de sa mère, une confiance sans borne. 

La fin m'a beaucoup surprise mais je la trouve finalement en adéquation avec la vie quotidienne de cette famille pas comme les autres. 

Vous trouverez sur le blog deux romans de la même autrice :

- Trois saisons d'orage, présenté ICI.

- Une bête au paradis, présenté ICI

Aimée s’était habituée aux effluves de bois, elle s’en trouvait désormais rassurée ; comme on s’habitue au parfum d’une mère ou d’une nourrice, elle s’était remplie de ce fleuve invisible. L’air semblait avoir toujours reposé dans ce macérat d’herbe et d’écorces. Les jours d’orage l’odeur donnait le tournis, fatiguait les muscles, brouillait les idées. Les nuits passèrent vite et Aimée eut la sensation de n’avoir jamais connu d’autre parfum que celui des sapins, tout son corps tremblait de contenir ce que les bois laissaient derrière eux. Elle était pleine de la forêt.

Les arbres chuchotèrent jusqu'à l'aube, car tout se passe toujours la nuit, les grands événements se cachent des lumières vives, craignant d'être brûlés.

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