Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Prix Littéraire Le Monde 2019.
Le Paradis, c'était la propriété d'Émilienne, une ferme perdue à la campagne, tout près d'un petit village.
Maintenant, c'est Blanche qui en est propriétaire. C'est elle-même qui se surnomme "la bête".
Elle a 80 ans et se souvient...
Blanche, très vite, se tint droite. Elle n'avait pas besoin de beaucoup travailler pour être parmi les meilleurs...
Elle avait hérité du bon sens de sa grand-mère : apprendre vite ou mourir.
Blanche et Gabriel sont élevés par leur grand-mère Émilienne depuis que leurs parents se sont tués dans un tragique accident de voiture, dans l’épingle à cheveux juste à côté de la ferme.
Ils ont compris très vite qu’ils ne devaient pas se plaindre et qu’ils devaient bien travailler à l’école et aider le plus possible leur grand-mère, dont les produits de la ferme sont la seule source de revenus.
A la ferme, il y a aussi Louis, maltraité par son père, qui est venu se réfugier-là, un jour, et y est resté. La grand-mère ne pourrait s’en sortir sans lui, seule avec deux jeunes enfants. Il fait à présent presque partie de la famille.
Blanche admire sa grand-mère qui lui apprend tout ce qui est nécessaire pour pouvoir la remplacer un jour. Elle adore la ferme et ses alentours et aime se réfugier dans la nature, ce qui la relie aussi à sa mère qui aimait les lieux et à son père, poète à ses heures, qui avait accepté de s’installer au domaine. Gabriel se montre plus fragile, toujours larmoyant, et incapable de se défendre face aux attaques fréquentes qu’il subit à l’école. Émilienne fait tout pour l’endurcir mais n’arrive pas à ses fins. C’est pourtant une femme forte et souvent dure, qui aime profondément ses petits-enfants, mais qui a été obligée d’oublier ses peines, pour avancer dans la vie.
Mais l’adolescence de Blanche arrive trop vite...
Louis souffre de la voir ainsi grandir car il en tombe amoureux et a du mal à cacher son trouble. Il souffre d’autant plus que Blanche n’a d’yeux que pour Alexandre, un camarade de sa classe, très charismatique et qu’elle va succomber à son charme et vivre avec lui son premier amour, passionné et dévastateur.
Le petit couple adorable qu’ils forment, est envié par tous au village.
Mais l’année scolaire de terminale arrive à sa fin.
Alexandre décide de poursuivre ses études à la ville, pressé de quitter sa famille trop sombre, trop triste, trop pauvre et sans intérêt pour lui dont l’ambition dévorante ne peut attendre.
Blanche qui aurait pu, au vu de ses résultats scolaires brillants, faire de même, décide de rester au Paradis, qu’elle est incapable de quitter. Elle ne peut abandonner ni Gabriel, bien trop fragile, ni sa grand-mère qui vieillit, ni le domaine auquel elle est viscéralement attachée.
Pour elle, le départ d’Alexandre est un véritable déchirement dont elle ne se remettra jamais...
Des années après, lorsqu’il décidera de revenir au village pour mettre en œuvre son machiavélique projet, elle retombera sous son charme, consentante, prête à tout pour lui, et ce sera le drame…un drame dont bien entendu je ne vous dirai rien.
Alexandre était un homme impatient dont les rêves dépassaient les contours du Paradis, et l'amour qu'il portait à Blanche, son amour d'adolescent, vif, éblouissant, ne suffisait pas à l'immobiliser en ces terres, près de ses pauvres parents, de leur maison étroite, près de la vieillesse d'Émilienne, et du regard noir de Louis, près de la mélancolie quotidienne de Gabriel, qu'il évitait à tout prix, craignant d'être contaminé par elle.
Vous l'aurez compris ce roman est noir, très noir. C'est une tragédie. Je ne vous cache pas que je l'ai trouvé très fort.
La vie à la campagne est rude. Les gens taiseux comme c'est souvent le cas quand il s'agit des affaires des autres, dont on se ne mêle pas.
Blanche est une adolescente très attachante et j'ai eu beaucoup d'empathie pour elle tout au long du récit. Elle aime le Paradis où elle a vécu, et qui la rattache à ses parents. Elle s'accroche pour avancer dans sa vie, protéger son frère si fragile et aider sa grand-mère qu'elle admire.
Elle choisit de rester à la ferme car elle ne peut faire autrement, mais espère de tout son cœur qu'Alexandre un jour la comprendra, ce qui ne sera pas le cas. Mais elle l'aime avec un cœur trop pur, et forcément le lecteur pressent le drame. Elle, si forte pour gérer sa vie, se montre d'une très grande faiblesse quand il s'agit d'amour, tant elle a peur de la perte, de l'abandon, déjà vécu lors de la disparition de ses parents.
Lui, si charismatique, apparaît finalement comme un véritable monstre, capable de mentir pour mettre ses projets à exécution, et de tromper son monde sans un seul instant se mettre à la place de celle qu'il a pourtant semble-t-il aimé dans sa jeunesse. Sa lâcheté et son ambition sont immenses et nous le rendent peu sympathique.
J'ai aimé ce portrait de femme libre et forte, forgé par sa grand-mère, mais qui entre peu à peu dans la folie tant elle est viscéralement attachée à la terre de ses ancêtres.
J'ai aimé ce huis-clos que j'ai trouvé tout de même étouffant, même si le lecteur admire souvent le ciel, la nature et ce qui l'entoure.
Ce roman est tellement bien écrit et prenant, que lorsqu'on commence sa lecture, on ne peut le lâcher jusqu'à la tragique fin, surprenante mais qui nous permet de vérifier nos intuitions.
Je n'ai qu'une envie, c'est de découvrir d'autres œuvres de l'auteur. Et ça tombe bien car je viens d'emprunter à la médiathèque, "Trois saisons d'orage", dont je vous parlerai donc très bientôt.
Depuis Alexandre, la moindre caresse ouvrait en elle un puits sans fond, le moindre tremblement, même amical, même bienveillant, réveillait des cauchemars d'abandon. Seuls Émilienne et Gabriel pouvaient, en de rares occasions, la tenir tendrement, frôler sa main, lui dire une parole douce. Mais toujours d'une voix très basse, pour la protéger de ce qui couvait en elle, de cet ogre impossible à nommer, échafaudage de douleur et de peine, de fierté et de résignation.
C'est donc cela, les pleurs, les vrais. Les sanglots déferlaient, à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit, remontaient les profondeurs de son coeur, noyaient tout sur leur passage, écrasaient ce corps que les travaux des champs avaient rendu solide, dévastaient méthodiquement toute pensée claire...