Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Quand cette obsession d'épargner le chagrin et la déception à ses enfants s'installa-t-elle ? Un parent pouvait-il y parvenir ? Était-il souhaitable qu'il y parvienne ?
Eleanor connaissait les raisons de son incapacité à supporter les petites déceptions de ses enfants. Dans sa vie de mère, elle réécrivait et créait pour les enfants qu'elle élevait avec Cam l'enfance qu'elle n'avait pas eue.
Parfois il faut partir de chez soi pour devenir la personne qu'on doit être.
De Joyce Maynard, je n'ai lu que "L'homme de la montagne", présenté ICI sur le blog, un roman que j'avais beaucoup aimé et après la lecture duquel je m'étais promis de continuer à suivre l'autrice. Cinq ans ont passé !
Le roman démarre alors que toute une famille est réunie pour un mariage, lorsqu'un bruit terrible retentit...on retrouvera la même scène à quelques détails près dans le dernier chapitre. Entre-temps, le lecteur aura beaucoup appris sur les différents protagonistes et la vie de la famille.
Eléanor est orpheline depuis quelques années lorsqu'elle rencontre le succès grâce à ses talents de dessinatrice. Elle décide alors d'acheter une maison dans le New Hampshire où elle va pouvoir se consacrer à ses dessins, loin du tumulte de la ville. Là, au cœur de la nature, elle espère enfin oublier son douloureux passé. Trois ans plus tard, elle rencontre Cham, sculpteur sur bois et entre eux deux... c'est le coup de foudre.
Cham s'installe très vite chez elle et ils auront trois merveilleux enfants : Alison, Ursula et le petit dernier, Toby. Le bonheur est là dans les joies simples partagées en famille, les enfants, la vie quotidienne...Eléanor en oublie son travail qu'elle aimait tant, et ne se consacre plus qu'à des créations gagne-pain.
Mais la vie n'est jamais un long fleuve tranquille et un drame survient touchant le petit Toby et par ricochet toute la famille...la vie d'Eleanor s'effondre. Rien ne sera plus jamais comme avant.
Le couple n'arrive pas à surmonter ce drame et se sépare. Eléanor pour ne pas perturber les enfants, laisse la maison qu'elle aimait tant et qui lui appartient, pour s'installer ailleurs, les enfants pensent que c'est elle qui quitte leur père et lui en veulent. Il ne démentira pas, par lâcheté, laissant les enfants détester leur mère et peu à peu ne plus vouloir même aller la voir durant le weekend...
Elle n'avait plus le temps pour elle et depuis si longtemps qu'elle ne savait plus ce qu'elle en ferait si ça lui arrivait.
L'art de Cam pour refuser de s'encombrer de tristesse ou d'inquiétude ressemblait à un don. Eleanor aurait aimé l'imiter. Parfois elle avait l'impression que le poids du monde reposait sur ses seules épaules.
C'est un roman très émouvant qu'on ne peut plus lâcher quand on a commencé à le lire. L'autrice suit de près ses personnages tout en inscrivant les différents événements dans le contexte d'une époque (entre les années 1970 et aujourd'hui). Elle reconnait dans les interviews qui ont suivi la publication de ce roman, qu'elle s'est largement inspiré de ce qu'elle a vécu elle-même pour raconter cette histoire, comme elle le fait le plus souvent dans ses romans, tout en inventant totalement ses personnages.
J'ai retrouvé avec plaisir l'écriture toute en finesse et en pudeur de l'autrice. Elle sait particulièrement bien décrire la psychologie de ses personnages, leurs émotions, leurs désirs, leurs ambivalences...
Eléanor est une femme extraordinaire qui est prête à tout sacrifier de sa vie pour subvenir non seulement à la vie quotidienne des siens mais surtout à leur bonheur. Elle n'a pas eu la chance d'avoir une vraie famille et elle a été une enfant tellement solitaire qu'elle commet l'erreur de trop aimer ses enfants. Voir jusqu'où elle est capable d'aller pour que ses enfants soient heureux est stupéfiant parce qu'il s'agit en fait d'un véritable renoncement à son propre bonheur.
La vie se chargera de la punir de ce trop-plein d'amour qui sera ressenti par ses enfants comme un fardeau. Elle le comprendra bien trop tard à ses dépends, elle qui a dû oublier ses fantômes toute seule, sans que personne ne lui montre la voie à prendre, aura du mal à comprendre qu'elle ne peut protéger ses enfants de tout ce qui doit advenir.
L'autrice décrit également de manière très réaliste le comportement des enfants qui se sentent partagés entre leur père et leur mère, après leur séparation, toujours prêts à ne croire que ce qu'ils voient, trop jeunes pour faire la part des choses, mais aussi la manière dont ils évoluent au fil des années.
Ce qui est marquant dans ce roman, c'est la justesse du ton et des propos, la sincérité et le ressenti de cette famille pas comme les autres et l'attitude des deux parents, tellement égoïste pour le père qui vit au présent sans jamais se soucier de rien, et de la mère trop attentive parce qu'elle a manqué de tout, y compris d'amour, durant son enfance.
Les thèmes du pardon et de la tolérance sont mis en avant. Il faut apprendre à abandonner les vieux griefs pour ne pas finir sa vie dans l'amertume. Sont abordés aussi dans le roman les différents thèmes de société comme par exemple l'émancipation féminine, la liberté sexuelle, le viol, l'avortement, le travail des femmes, la notion de genre.
C'est un roman très beau même s'il est empreint d'une certaine tristesse. L'autrice avec beaucoup de finesse psychologique sait rendre réaliste et émouvante cette histoire de famille, et de secrets, et la dérive de ce couple aimant, ne sachant plus comment continuer à vivre.
Ce roman a reçu le Grand Prix de Littérature américaine en 2021. Une autrice à suivre assurément !
Vous pouvez aller lire l'avis de Brigitte (Ecureuil bleu) ICI, qui en a fait un coup de coeur et celui d'Alex, ICI, plus mitigé...
Eleanor avait déjà appris au fil des ans que les enfants de parents divorcés étaient comparables aux citoyens de deux pays ennemis : ils respectaient les lois et les coutumes de chacun, selon le lieu où ils se trouvaient. Ils traversaient les frontières, passaient la douane. Ils abandonnaient la langue, les vêtements et les usages culturels d'un pays en entrant dans l'autre, et inversement quand ils revenaient. Ils devaient rester en harmonie avec l'endroit où ils se trouvaient...
Un amour trop grand pour ses enfants avait peut être provoqué leur désamour. Savoir que pour leur mère ils représentaient ce qui comptait le plus dans sa vie pesait trop lourd sur eux trois...
Être responsable de son propre bonheur est bien suffisant. Aucun enfant ne voulait être responsable également du bonheur de sa mère.
Eleanor avait appris au fil des années que les pires événements, ceux qui faisaient vraiment mal, n'étaient presque jamais ceux qu'on craignait.
...
Finalement on survit à beaucoup de choses. On est transformé. Mais on continue.