Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
De cet auteur je n'avais lu jusqu'à présent que son premier roman "To day we live" qui avait été une belle découverte et avait été couvert de Prix (Prix Historia / Prix Edmée-de-La-Rochefoucauld / Prix des lycéens de littérature / Prix Palissy en 2016). Il est présenté ICI sur mon blog.
Dans "Les reines", paru en 2022, qui est le sixième roman de l'auteur, elle nous propose une tout autre histoire, une dystopie post-apocalyptique de plus de 500 pages qui m'a tenu en haleine une bonne semaine, tant il est riche en détails, en rebondissements et en descriptions autant foisonnantes que fascinantes.
Car ce roman est à la fois une épopée, un récit initiatique, et une tragédie grandiose.
La Terre mère avait mis du temps à se guérir de cette époque, à panser ses plaies, seule, dans le grand silence et la nuit qui avaient succédé à la Chute. Mais elle avait fini par se languir de la présence des hommes. Un beau jour lui manqua le frôlement des pieds nus et légers dansant sur sa peau, les chansons et la musique, les rires et les larmes des hommes. Alors elle enfanta de nouveau, et une humanité naquit, dont les Fils du Vent étaient devenus les princes incontestés.
Voici l'histoire
Un Nouveau Monde s'est créé sur les ruines de l'Ancien monde dont le lecteur ne saura pas grand chose, sinon qu'il ressemblait beaucoup au notre et qu'il n'a pas survécu à ce que les hommes ont appelé "la Chute".
Les êtres humains ont renoncé au progrès matériel et les femmes ont pris le pouvoir. Elles sont devenues les Reines, réduisant les hommes à de simples géniteurs ayant perdu leurs anciens privilèges, voire à des esclaves, à présent à leur merci. Les Cinq royaumes du Nord sont gérés par des femmes devenues les maîtresses du monde, les "gardiennes de toute forme de pouvoir", qui se transmettent la couronne de mère en fille.
Sur les routes d'autrefois toujours existantes, se croisent des peuples d'origine diverses, les survivants sont devenus chasseurs, nomades, artisans. Les livres sont bannis car ils ne contiennent plus que des choses inutiles pour la vie d'aujourd'hui.
Parmi ces peuples, les Fils du vent, les gitans d'autrefois, sont devenus les "enfants chéris de la Terre". Ils sont les seuls à avoir gardé de nombreuses coutumes ancestrales. Milo Gray appartient à la tribu des Britannia. C'est un magnifique jeune homme roux et très charismatique. Faith qu'il a recueilli après la disparition de ses parents, alors qu'elle était toute petite, est devenue une belle et attirante jeune femme. Ils sont inévitablement tombés amoureux au fil des ans, mais la communauté interdit leur union, la considérant comme un inceste.
Un jour Faith commet l'irréparable et Milo est banni à vie de la communauté. Il part sur les routes et commence alors pour lui un long voyage fait de découvertes et de solitude. Il est attiré par les Terres du Nord où vit la Reine Alba, isolée sur une île battue par les vents au large de l'Ecosse, avec pour seule compagnie, son servant. Alba est la sybille de l'Ouest, elle est la seule à avoir accès à des livres de l'Ancien Monde. Elle connait tout du passé et de l'Histoire de l'Ancien Monde et peut prédire ce que le nouveau monde va devenir. Elle possède le don de vision et peut délivrer des oracles à ceux qui s'aventurent jusque dans son domaine, une terre hostile et prise la plupart du temps dans les glaces. Avant de s'isoler sur son île, elle a été la Reine des Hautes Terres, une reine renommée et puissante. Désormais c'est Helle, son Amazone, et amante qui règne à sa place. Mais cette dernière va bientôt mourir et elle détient un secret...
Pendant ce temps, Faith se sauve et rejoint une troupe de théâtre qui va l'emmener avec eux sur les routes en direction du Royaume d'Edda, le royaume des Amazones, des femmes qui la fascinent depuis qu'elle est toute petite par leur force et surtout leur grande liberté.
Mais Edda est cruelle, jalouse et possessive. Elle est persuadée d'être investie d'une mission : établir une société qui élève les femmes et relègue les hommes au rang d'individus inférieurs. Pour elle, les femmes ont été suffisamment méprisées dans le passé et tiennent à présent leur revanche. Elle va tomber folle amoureuse de la jeune femme...ce qui scellera à jamais son destin, ce que Milo et Faith ignorent, et ni elle ni lui n'y pourront rien changer...
Les femmes sont-elles plus aptes à exercer le pouvoir ? Ont-elles véritablement , comme veulent nous le faire croire les mythes de la Renaissance, plus de jugement, d'empathie, davantage le sens de la justice et de l'équité ? Sont-elles, sinon exemptes, du moins plus affranchies que les hommes du désir de puissance, de l'orgueil, de ce que dans le Très Vieux Monde on nommait l'hubris ?
De toute éternité, sommeille en chacune d'entre nous un démon, le monstre de l'amour. Cette perversion prend possession de nous à la seconde où le nourrisson vagissant sort de ses entrailles et atterrit sur notre poitrine, tout contre notre peau. Ce premier contact a un caractère foudroyant, il nous submerge, nous métamorphose, nous arrache des émotions inconnues, violentes, originelles, qui nous relient, tels d'infinis cordons ombilicaux, à toutes les femmes que la Terre a jamais portées, toutes les femmes qui, depuis l'aube des temps humains, ont donné la vie. C'est une beauté et une malédiction.
La peur est un moteur nécessaire au bon fonctionnement de la plupart des êtres humains ; elle seule leur permet de rester fiables, cohérents, de réfléchir plus utilement.
Voilà un roman très prenant qui ne nous lâche plus une fois planté le décor dans ce monde nouveau où les femmes ont pris le pouvoir. Les personnages sont bien présents. L'auteur a des talents de conteuse et sait décrire de manière très réaliste mais néanmoins poétique, l'univers qui entoure ses personnages.
L'histoire est dense mais facile à suivre. Le roman nous questionne sans cesse sur la place de l'homme et de la femme dans nos sociétés, leurs réactions face au pouvoir et à l'amour. Le lecteur n'a qu'une envie, connaître le destin qui attend chacun des personnages, enfin pour être honnête j'ai surtout eu envie de connaître celui de Milo, car Faith n'est pas un personnage attachant, elle a un caractère détestable, on ne comprend pas vraiment où elle veut en venir, elle est bien trop instable et imprévisible à mon goût.
Deux voix s'entremêlent : celle du récit de la vie de Milo et Faith, entrecoupé de leurs aventures, de légendes, de brefs retours vers les coutumes conservées ou pas de l'Ancien monde. Et une voix off, transcrite en italique qui est, le lecteur le devine très vite, celle d'Alba, seule sur son île hostile des Terres du Nord, prise par les glaces.
Vous vous en doutez cette dernière nous apprend beaucoup de choses qui ne sont pas dites ou qui sont survolés dans la première.
Le théâtre est bien présent dans une grande partie du roman. C'est finalement ce qui reste de l'Ancien Monde, qui permet aux hommes de revivre et de rêver. A la cour d'Edda, la troupe à laquelle Faith appartient, joue Othello, une pièce considérée comme un "plaidoyer contre la tyrannie des hommes" qui condamne leur jalousie, "leur assimilation de l'amour à la possession", mais une belle histoire d'amour. Mais au fil du récit on retrouve aussi Antigone, Macbeth et de nombreuses références à la mythologie.
Les personnages sont tous bien décrits et présents. Bien entendu Milo et Faith tiennent le haut du pavé mais Helle, Alba et Edda ne sont pas en reste tout comme les personnages secondaires auxquels le lecteur s'attache aussi comme Novak, devenu l'ami de Milo, lui qui se sent femme dans son corps d'homme, Erwan, le servant d'Alba, et bien d'autres.
L'auteur ne fait appel à aucun cliché. Elle observe les êtres qu'elle a elle-même créés et cherche à comprendre comment l'amour peut mener ces femmes à commettre l'irréparable : infanticide, torture, jalousie et j'en passe pour vous laisser découvrir tous les détails et rebondissements de ce roman.
Car c'est bien l'amour qui est au centre du roman et l'espoir de retrouver l'être aimé, d'être aimé, de connaître une vie paisible.
Mais le monde n'est pas meilleur parce qu'il est question d'amour et que les femmes le dominent à présent. L'amour provoque lui aussi des trahisons, de la déception, de la colère, de la passion, du ressentiment et des envies qui mènent à la cruauté.
Le lecteur découvre les tensions entre les peuples, les coutumes des uns et des autres, les jalousies, les secrets de famille, et les prophéties. Il vit avec les personnages, les suit dans leur périple sur terre ou sur mer, a froid avec eux dans les châteaux mal chauffés d'Ecosse, a peur dans l'arène. Il passe par de nombreux ressentis parfois contradictoires, il s'interroge, pourquoi tant de cruauté, pourquoi faut-il que la femme réplique les défauts des hommes pour finir par se connaître enfin et par savoir ce qu'elle veut faire de sa vie ?
A la lecture de certains passages, j'ai trouvé quelques longueurs... mais toujours j'ai eu envie de poursuivre, de connaître le destin de Faith et de Milo pour savoir ce qu'ils allaient devenir. La fin est ouverte et n'apporte pas de réponses précises à certaines de nos questions.
Merci à Marion du blog "Journal d'une bibliothécaire" de m'avoir donné envie de découvrir ce roman après avoir lu sa chronique.
Pour ma part je vous dis, à vendredi !
Qu'est-ce au fond que l'amour, sinon un miroir qui nous renvoie notre image transfigurée ? Peut-être l'objet de notre passion n'est-il rien d'autre que notre propre personne ? Peut-être l'être humain, narcisse invétéré, est-il incapable d'autre chose quand il dit aimer ?