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Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...

Minuit dans la ville des songes / René Frégni

Gallimard, 2022

Gallimard, 2022

Je ramasse un mot, je le regarde, le flaire, le caresse, je le mets dans ma bouche, comme un petit galet rouge ou vert de rivière, puis dans l'une des mille poches secrètes que je me suis inventées. Je voyage avec ce bourdonnement de mots qui ne pèse rien, ce nuage d'émotion. Chaque jour je marche, je parle avec tout ce qui bouge autour de moi et je ramasse des mots. Je ne possède que cette maison de mots

Bientôt , il n'y eut plus de murs autour de moi, j'étais sur ces chemins, dans ces hameaux abandonnés, je sentais la chaleur sur mes épaules et la lente infiltration de l'inquiétude...
Jamais je n'avais ressenti une chose pareille, en lisant. Je regardais sur la couverture le nom de l'auteur, Jean Giono...
Par quel tour de magie cet homme m'emportait dans le Sud brûlant où j'avais grandi. Mon corps était traversé de bruits, d'odeurs, de silences, de souvenirs, d'émotions...

 Dans ce roman, encore une fois largement autobiographique, l'auteur revient sur son parcours singulier et nous décrit les années qui ont précédées sa carrière d'écrivain. 

Le roman débute alors qu'il est installé dans un cabanon près de Manosque avec pour seule compagnie sa petite chatte nommée Solex que nous connaissons déjà (voir "Dernier arrêt avant l'automne", présenté ICI), un poêle à bois et la nature alentour. Et bien entendu des livres, beaucoup de livres et ses souvenirs... 

Il revient sur son adolescence dans la banlieue de Château-Gombert à Marseille, une adolescence tumultueuse où il commet beaucoup de bêtises (voir "Le Voleur d'innocence", présenté ICI). Il n'aimait pas l'école et refusait l'apprentissage qu'on y donnait. Malgré plusieurs tentatives, il n'a jamais cessé de finir par être exclu et de préférer la rue et ses copains du quartier. 

Mais sa famille est aimante et malgré sa déception, sa mère ne cessera jamais  de croire en lui.

Parti barouder sur les routes, il arrive en retard au Service militaire (qui je le rappelle pour les jeunes était en ce temps-là obligatoire !). Il est aussitôt emprisonné à Verdun. C'est là qu'il découvre la lecture.

Grâce à un ami de jeunesse corse et marseillais, Ange-Marie Santucci, qui est lui-aussi incarcéré dans cette prison militaire, il comprend l'importance de la lecture et surtout des mots. C'est lui qui l'éveille aussi à la réflexion politique, à l'importance de la rébellion et de la révolution. Il lit des romans que l'aumônier lui apporte, mais suit les conseils d'Ange-Marie et découvre Che Guevara. Mohamed Ali devient l'objet de son adoration. Ensembles, avec Ange-Marie ils projettent de s'évader pour traverser l'Atlantique et se rendre en Bolivie pour combattre aux côtés du Che. Mais rien ne se passera comme prévu, à leur retour d'une escapade de quelques jours dans le sud, Ange-Marie est transféré ailleurs. Il ne le reverra jamais. 

Alors qu'il apprend qu'il va être transféré à son tour, il décide de s'évader. La vraie galère commence alors. Après avoir embrassé sa mère à Marseille, il fuit jusqu'en Corse, la terre de son grand-père, puis hors du pays, jusqu'en Turquie, jusqu'au jour où il n'en peut plus et rentre voir sa mère. Il se cache alors dans le cabanon familial près de Manosque, avant de rejoindre sa sœur, étudiante à Aix-en-Provence. Là-bas, il passe inaperçu et va découvrir des étudiants très engagés en politique. 

On lui prête une chambre dans une cité universitaire et pour payer le loyer, il trouve du travail dans un hôpital psychiatrique marseillais. Les mois passent, il réussit le concours d'infirmier. Mais au moment de la validation définitive, son passé le rattrape : il n'est pas à jour avec ses obligations militaires !  

Il [Ange-Marie Santucci] s'arrêta, se tourna vers moi, planta ses yeux blancs dans les miens.
"Il y a trois ans que je lis un livre par jour. Je suis dans ce piège parce qu'on m'a pris un calibre à la main. J'ai beaucoup mieux qu'un calibre aujourd'hui, j'ai des mots, j'ai leurs mots ! Ils ne savent plus comment m'attraper. On n'attrape pas un type qui a des mots. Ils me craignent parce que je connais leur pouvoir et leurs faiblesse..."

Dans un style unique à la fois grave et léger, l'auteur encore une fois nous invite à le suivre sur ses chemins de vie. Toujours avec un livre à la main, il nous fait passer les frontières en cachette des douaniers, danser dans une boite de nuit en Corse sur des musiques qui ne manqueront pas de vous rappeler votre jeunesse. Nous l'accompagnons quand il soigne des malades dans un hôpital psychiatrique où il travaillera dix ans. Puis nous découvrons son lent cheminement qui lui a permis de devenir écrivain. Si le lecteur le suit en toute confiance c'est parce qu'il sait qu'il trouvera émotion, humour et tendresse au détour de ces chemins. Il sait que l'auteur le fera vibrer lors de ses promenades dans la nature ou l'enthousiasmera à la suite d'une de ses belles rencontres féminines ou pas...à Manosque ou ailleurs. 

De plus, ce qui ne gâche rien, le lecteur est invité au fil des pages à (re)découvrir tous les grands auteurs lus et aimés au cours de sa vie et il n'aura qu'une envie c'est de les relire à son tour, à l'issue de cette lecture.

Ce livre est encore une fois un régal.

Il se lit d'une traite ou presque car, au-delà de l'autobiographie, c'est aussi un livre profondément humain, un récit d'aventure palpitant, une histoire d'amour. Comme toujours, c'est la vie que l'auteur aime avec passion.

Cette lecture me donne à nouveau envie de continuer à relire ses œuvres, et à découvrir celles que je n'ai pas encore lues.

J'espère ne pas vous lasser ! 

Chaque mot que j'avais lu avait aboli les barreaux, les murs, la cour de la prison.
J'étais assis sur une planche, dans une obscurité totale, je compris soudain ce qu'était la lecture, la puissance colossale des mots. Cette journée allait déterminer le reste de ma vie, ce voyage infini vers les mots. Au fond de ce puits d'ombre, j'étais un évadé.

On ne peut pas regretter tout ce que l'on a fait dans une vie, on l'a fait, bousculé par les rencontres, les peurs, les hasards, les désirs...La mélancolie dans le regard de ma mère, ses cheveux blancs...C'est pour elle que j'avais écrit mes premiers romans, pour lui dire que tous ses sacrifices, elle ne les avait pas faits en vain. On écrit toujours pour quelqu'un, un frère lointain, une amoureuse, une maman.
Ce livre, dans la vitrine d'une librairie, un jour de septembre, c'était une façon de dire ce que l'on n'ose plus, quand on est devenu un homme, dire tout simplement "je t'aime plus que tout, maman", comme on le faisait chaque jour, quand on était enfant.

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M
Merci à tous pour vos messages ! Je suis contente de vous donner envie de découvrir René Frégni car c'est un auteur qui mérite d'être davantage lu...
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E
tu l'as bien décrit et ça donne envie de le lire ! Bisous
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E
Coucou Manou ! Tu me donnes vraiment envie de le lire pour mieux le connaitre! Bisous!
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E
Merci de nous avoir présenté ce livre dont je ne connais pas l'auteur ! Donc, une découverte, merci !<br /> Bonne soirée et à bientôt !
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M
Merci de votre passage ici.
M
Je ne connaissais pas cet auteur, merci pour la présentation... (la première citation ne me donne pas trop envie :-(
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M
Tu fais comme tu veux Maggie il en a écrit une bonne vingtaine. Peut-être que tu trouveras ton bonheur dans mes prochaines présentations
D
C'est grâce à Bonheur du Jour que j'ai lu ce livre et que je l'ai aimé <br /> j'ai aimé le parcours de l'homme mais bien entendu aussi son rapport à la littérature tellement magnifique
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M
C'est en effet un écrivain au parcours singulier qui mérite qu'on s'attarde sur sa vie et sur son œuvre...
M
Inaperçu un n... !<br /> Bisous Manou
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M
A noter, cet auteur ne doit pas passer innaperçu il y a tant de livres qui ne me passsionnent pas !
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D
Bonjour Manou, merci pour ce très beau billet d'un écrivain que je ne connais pas du tout. Un homme qui grâce à la lecture aura réussi à devenir écrivain. Et en plus, il est publié chez Gallimard, ce qui n'est rien. Bon dimanche.
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M
Oui tu as raison d'en faire la remarque il a été d'abord publié chez Denoël puis Gallimard...
F
Je n'ai rien lu de cet auteur mais tu donnes envie de le découvrir . Son parcours de vie semble intéressant<br /> Bonne soirée
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F
Je n'ai rien lu de cet auteur mais tu donnes envie de le découvrir . Son parcours de vie semble intéressant<br /> Bonne soirée
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M
Tu en parles avec passion et comme toujours tu donnes envie de lire cet auteur!... Je crois qu'il me faudra une autre vie pour avoir le temps de tout lire
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R
Un livre sans doute intéressant mais, qui ne me tente pas. Gros bisous doux weekend, ( je me repose un peu en venant voir vos blogs)
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M
les passages que tu nous présentes sont trés poétique. mais ais je envie de lire de la poésie ? oui a petite dose. passes une bonne fin de semaine. bisous bisous
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M
c'est promis dés que j'ai fini le livre que je suis en train de lire (constance debré) je découvre cet auteur!<br /> passe un bon week-end<br /> bises
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L
Bonsoir Manou,<br /> Bien commenté. Bonne soirée; Bisous. Huguette
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E
Je vois que ce livre t'a touchée comme les autres et ton ressenti est communicatif.<br /> Belle soirée, bises Manou
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P
Tu donnes envie de le lire, mais ma PAL a dit : non, non et non !
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L
Coucou tu en parles très bien. Bisous
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C
Et bien Manou tu t'es découvert une vraie passion pour cet auteur ! <br /> Et je pense que tu vas donner envie à beaucoup de le lire.<br /> Belle soirée, bisous.<br /> Cathy
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