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Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...

Dernier arrêt avant l'automne / René Frégni

Gallimard, 2019

Gallimard, 2019

Je ne sais pas ce que le mot luxe veut dire, ma plus grande richesse est tout ce temps qui m'appartient, que j'ai arraché des griffes des trente-six petits boulots qui mangeaient ma jeunesse. Je suis le seul maître des heures, des jours, des saisons. J'ai passé ma vie à chercher un mot, à tâtonner vers le suivant dans une gare, un port ou au milieu de la nuit.

Pour préparer la rencontre avec René Frégni dont je vous ai parlé ICI, j'ai eu envie de me remettre dans l'ambiance de ses romans, je vous en présenterai donc un certain nombre dans les semaines à venir. 

Alors que le narrateur, un écrivain bloqué sur sa page blanche depuis trop longtemps, cherche désespérément un travail, ses amis Pascal et Alice, libraires à Riez lui dénichent un poste de gardien-jardinier, pour 1 000 euros par mois, dans le monastère cistercien de Ségriès, tout proche de Moustiers-Sainte-Marie. 

Le monastère est magnifique mais très isolé. La seule personne qui le fréquente de temps est temps, est un maçon qui s'occupe de sa rénovation. 

Très vite, le narrateur s'y installe d'abord dans la maison du gardien, puis quand l'hiver arrive dans la bâtisse même où se trouve une gigantesque cheminée. Il s'épuise à la tache, débroussaille, s'émerveille de son quotidien, reprenant peu à peu le goût de vivre dans la simplicité et la solitude. Il prend aussi le temps de se balader dans la forêt proche, de ramasser des champignons, de rêver ou de lire...mais toujours rien côté écriture. 

Son seul compagnon est un petit chaton, une minette en  fait, qu'il surnomme Solex à cause de son ronronnement incessant qui lui rappelle le deux-roues de sa jeunesse. 

Un jour, en débroussaillant le vieux cimetière des moines, orné de très vieilles tombes, le narrateur découvre un soulier. Et au bout de ce soulier, une jambe...inhumée depuis peu. 

Pris de panique, il s'enfuit au village se réfugier chez ses amis. 

Mais lorsqu'il revient sur les lieux avec les gendarmes, tout a disparu...

Est-ce l'œuvre des sangliers qui ont retourné tout le terrain pendant la nuit ?

Ce crime est-il lié à un règlement de compte mettant en cause les gitans, qui ne vivent pas très loin ?

Ou bien, cache-t-il de plus sombres secrets au village ?

Je savais qu'au delà de ces bois le monde était en flammes, attisé chaque jour par l'avidité des hommes, leur insatiable voracité. Ils n'en avaient jamais assez. Pour voir passer à leurs pieds des fleuves d'argent, ils détruisaient tout, les êtres vivants, les forêts, les océans, les rivières et les nuages, ils saccageaient les entrailles de la terre, souillaient le ciel. Toujours inassouvis, aux aguets, jaloux, affûtant nuit et jour les mille ruses de leur égoïsme.

La vie avait filé de vallée en vallée. Sans m'en apercevoir j'avais vieilli, avant de revenir dans ce vallon oublié des Basses-Alpes. Comment aurais-je pu avoir peur maintenant, cette terre était la mienne, ces forêts silencieuses, ces étoiles, qui m'avaient vu grandir. J'aurais pu sortir, marcher, gravir des chemins, traverser sous la lune des plateaux de lavande, reconnaître de loin le chant de ma rivière. J'étais chez moi.

Voilà un roman empli de poésie à chaque page.

Je ne l'avais jamais lu et le découvre avec grand plaisir. J'y retrouve la plume forte et pleine de vie de l'auteur. Comme d'habitude dans les romans de René Fregni tout commence bien et puis tout bascule comme cela se passe souvent dans la vraie vie.

L'enquête n'est en fait qu'un prétexte pour nous faire découvrir ce lieu enchanteur de l'arrière-pays provençal, entre Riez et Moustiers-Sainte-Marie pour ceux qui connaissent. 

Le lecteur se balade dans les forêts et les vallons, admire les paysages et les couchers de soleil. Et la faune sauvage n'est jamais bien loin.

Mais comme toujours le principal sujet de ce roman, c'est la vie, l'amitié, les émerveillements du quotidien qui nous rendent heureux, les souvenirs aussi même si souvent évoqués avec un peu de nostalgie, surtout lorsque l'auteur nous parle de son enfance, des étés heureux, des baignades dans la Durance proche, du voyage en solex (qu'il faisait en réalité à vélo !).

Forcément, étant native de Provence, et y habitant la plupart des mois de l'année, je ne peux qu'être touchée par ses descriptions tellement poétiques où je retrouve l'ambiance de lieux connus, et la lumière si particulière de la région qui change au cours des saisons.

Les personnages sont décrits avec beaucoup de tendresse, de douceur et de réalisme. J'aime le regard toujours tolérant et empli d'humanité que l'auteur porte sur les hommes sans jamais n'émettre aucun jugement de valeur.

C'est un livre sensible qui nous invite à aimer la vie... tout simplement. 

 

Une petite remarque :

Il faut savoir que le Pascal de l'histoire est bien le Pascal de la librairie de Riez, l'auteur ayant voulu lui dédier son livre pour son anniversaire. Je précise aussi que même si ce roman est comme toujours largement autobiographique, certains faits sont de la pure fiction. Vous comprendrez aisément lesquels en le lisant. 

Ce livre a reçu  le Grand Prix Littéraire de l'AFJET (Association de Journalistes et Ecrivains de Tourisme) 2020. 

J'écris le mot tilleul et je suis tout de suite sous un tilleul, le mot lessive et je revois ma mère étendre des draps dans la lumière du jardin et la joie de sa jeunesse. Rien n'est plus magique que l'écriture, elle va chercher des débris de vie dans des replis secrets de nous-mêmes qui n'existaient pas cinq minutes plus tôt. On croit avoir tout oublié, on allume une lampe, on se penche sur un cahier et la vie entière traverse votre ventre, coule de votre bras, de votre poignet dans ce petit rond de lumière, un soir d'automne...

Un jour, on se met à écrire, pour entendre la voix lointaine de nos mères. Lorsque j’écris, j’entends la voix de la mienne. Elle me lisait le soir, devant le poêle à charbon de notre cuisine, des livres qui me faisaient rêver, pleurer, découvrir le monde… Je n’entends sa voix que lorsque j’écris, dans le silence de la page blanche.

J'ai caressé la peau douce et blanche de mon cahier, et mon stylo s'est mis en marche.
J'ai écrit sans presque relever la tête, en ne regardant que ma main. Pendant des jours, j'ai écrit une histoire qui n'avait rien à voir avec ce que je venais de vivre, et cependant tout y était, les soirs d'été, la tiédeur des murs, la respiration des forêts, la peur, la lumière des saisons sur les toitures brûlées du monastère, le besoin d'aimer, la solitude, la neige, l'amitié, le visage des morts, l'or des jours qui s'éteint doucement...
Ma main dessinait le mystère et la force de chaque mot.

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