Les livres et moi, mes coups de coeur, mes découvertes, mes créations ou mes voyages : intellectuels, spirituels, botaniques ou culinaires...
Toutes les premières années de notre vie professionnelle, on les a construites ensemble, côte à côte, soudées comme une forteresse contre un monde dont nous devinions les difficultés, les injustices, la rudesse des coeurs, et dont la principale cruauté était de ne pas nécessairement récompenser les meilleurs. Je me foutais de jouer dans des petites salles, de monter les projets sans argent, je me sentais forte à ses côtés car j'étais deux. Indestructible.
Contrairement aux idées reçues, un rôle n'est pas une peau dans laquelle on entre. Vous êtes le personnage dès l'instant où on décide que vous l'êtes. Vous savez, pour nous il s'agit de se laisser traverser par des mots et des situations données.
Elle est comédienne et se sent souvent très seule et incomprise. C'est la plus jeune de la famille et elle s'occupe assidûment de son père.
Il était peintre mais il réside désormais dans une maison de retraite, la Maison des Artistes. Atteint d'Alzheimer, elle assiste à son déclin qui l'éloigne d'elle chaque jour davantage. La réalité et la fiction se mêlent dans sa tête. Il est persuadé qu'il est en affaire avec des japonais qui veulent lui acheter un de ses tableaux pour une somme exorbitante, certain que bientôt il pourra retourner à Marseille où il habitait avant, ou partir ailleurs. Elle ne démentit pas. A quoi cela servirait-il de briser ses rêves ? Il lui téléphone sans cesse pour lui poser les mêmes questions...mais l'amour qu'elle lui porte, efface toutes les contraintes et elle ne peut se passer d'aller le voir.
Elle est comédienne mais n'arrive pas à percer, n'a que des petits rôles sans importance. Alors, quand son amie Victoire vient lui proposer d'écrire une adaptation de "Eugène Onéguine" de Pouchkine, la jeune femme s'imagine tout de suite incarner le superbe rôle de Tatiana. Elle va se donner à fond dans cette réécriture, au départ avec Victoire puis, celle-ci étant prise ailleurs comme toujours, toute seule.
Mais la vie rêvée et la vie réelle sont souvent très différentes et la narratrice en paiera les frais...ce qui la fera grandir !
Quand on a honte, c'est toujours trois fois : de l'objet de la honte, du sentiment lui-même, et enfin de la culpabilité qui en résulte. Ce sont toujours les gens que nous aimons le plus qui nous font honte.
La justesse, c'est le pire mot que l'on peut dire à une actrice. Toutes les actrices veulent être plus, spéciales, différentes, singulières, rares, uniques, extraordinaires. Elles peuvent même dans certaines circonstances souhaiter être moins, ou trop, mais justes, non...
Juste n'inspire qu'ennui, fadeur et insignifiance.
Le jardin du Luxembourg a été élu à l'unanimité par Victoire et moi comme étant le meilleur, le plus vivifiant, le plus pratique pour travailler...
Tout en tournant on discute de nos idées et nos idées tournent à leur tour autour du bassin et ça fait de grandes lianes que l'on s'efforce de suivre et parfois de démêler car elles vont très vite et parfois bien plus vite que nous, alors on est obligées de leur courir après.
Mon avis
L'auteur nous fait découvrir avec beaucoup d'humour et de recul le milieu des artistes dans lequel elle a été élevée et continue à évoluer de par son métier. Elle est en effet comédienne dans la vie réelle.
J'ai beaucoup aimé la fraicheur de ce roman. La petite fille brune qui s'envole sur ses patins à roulettes... c'est elle ; les souvenirs des moments partagés avec son père... c'est encore elle. Ce roman est donc largement autobiographique.
C'est sa vie de comédienne qu'elle nous raconte, les moments où la comédie et les rôles s'entremêlent avec la vraie vie, souvent pour la compliquer encore davantage. En effet, comment trouver ses marques, prendre confiance en soi quand la vie est si compliquée et le monde des artistes si cruel ?
Elle nous raconte donc les soirées entre artistes, ses échanges avec ses amies, les moments de solitude et de fantasmes.
En parallèle des faits quotidiens qui constituent sa vie, de la connaissance de plus en plus approfondie de cette œuvre de Pouchkine que je n'ai jamais lu je l'avoue, des interviews fictifs avec un journaliste de France Culture, totalement savoureux tant ils sont réalistes, ponctuent le roman.
Mais c'est avant tout un livre qu'elle a écrit en hommage à son père, Georges Arditi (1914-2012) qui était peintre.
Ce n'est pas un livre triste même si elle nous raconte les derniers mois de vie de son père, âgé de 96 ans, ses visites, les contacts et les échanges avec les médecins. Il a un "Alzheimer plutôt joyeux" comme je l'ai vu écrit ici ou là dans la presse. Elle dresse un portrait plein de tendresse de celui qui l'a élevé et qu'à l'adolescence elle n'osait pas présenter à ses camarades de classe car elle le trouvait trop vieux.
J'ai été émue par certains passages, amusée par d'autres, et j'ai trouvé qu'en plus de l'humour et du beau portrait qu'elle dresse de son père, il y avait toujours beaucoup de poésie dans leurs échanges. Tout ceci n'a pas manqué de me rappeler ce que j'avais vécu avec ma propre grand-mère, elle-aussi atteinte de cette maladie (sous sa forme joyeuse) alors que j'étais adolescente et qu'elle vivait à la maison.
Le titre fait référence à ce que lui dit son père quand il lui parle du prochain tableau qu'il veut peindre et qu'elle lui propose de lui apporter toile et peinture...mais je vous laisse découvrir la suite tant elle est magnifique.
Le ton sonne juste, sans aucun atermoiement, et la lecture est d'une grande fluidité, ce qui fait de ce court roman une lecture fort plaisante.
C'est donc un premier roman très réussi que j'ai été ravie de découvrir grâce à la dernière Masse critique de janvier dernier. Merci à l'éditeur pour cet envoi.
Je suis toujours étonnée que des personnes que j'identifie moi-même très bien me saluent. Il ne m'est tout simplement pas concevable qu'on puisse se souvenir de moi, que je puisse imprimer les mémoires et laisser une trace dans le souvenir.
Je sais que toute la tristesse, la joie, la maladresse, toute la violence dont nous usons pour accomplir nos actes, apprivoiser nos défaites, adapter nos rêves ou parfois les abandonner nous rapproche encore et encore de notre humanité.
Comme j'aime soudain cet homme capable de se comparer au Soleil, à la Lune et aux étoiles. Aucune prétention dans cette alliance avec les astres. Ils sont ses frères. A leur exemple, il est empli de grandeur, cette véritable humilité qui élève l'âme de ceux qui plient.